Avec le dégel du printemps, les routes du Québec sont pleines de trous, un vrai chemin de croix. Quand je suis allée à la campagne avec mon frère, sa voiture s’est abîmée dans un nid-de-poule, on a dû appeler CAA pour revenir en ville.

Nous avons été remorqués jusqu’à Montréal par une sympathique femme accompagnée de son fils avec qui nous avons jasé pour passer le temps. Assez pour apprendre qu’elle avait perdu son conjoint six mois plus tôt dans un tragique accident et que, parce qu’il était « l’homme de [sa] vie », elle avait choisi d’élever ses deux filles à lui nées d’une union précédente.

Elle caressait avec tendresse la tête de son garçon qu’elle surnommait son « helper ».

J’étais pleine d’admiration. À la voir manœuvrer une remorqueuse, mais surtout parce que devenir chef d’une famille monoparentale de trois enfants du jour au lendemain, alors qu’on est en plein deuil, je ne sais trop comment on fait pour passer au travers sans perdre pied.

Vos enfants, vos hommes, vos femmes, vos amis, vos chats et vos chiens, c’est ce qui est le plus revenu dans vos réponses à ma question de dimanche dernier : « Qu’est-ce qui vous empêche de vous disloquer par les temps qui courent trop vite ? »

L’amour, crisse ! comme disait Louise Latraverse. Il n’y a rien de mieux pour rester centrés quand tout bouge autour de nous. Je me suis couchée le soir en faussant dans l’oreille de mon chum L’amour existe encore de Céline, mais ça le dérange quand il veut dormir.

La création, la lecture, la nature. L’autre trio essentiel de votre bien-être. Tout ce qui vous ramène au moment présent, pour ne pas dire dans la « pleine conscience », sans pour autant être aveugles à ce qui se passe autour, car il y a l’engagement aussi qui fait du bien.

Mais certains d’entre vous préfèrent éviter les réseaux « asociaux » et les mauvaises nouvelles à répétition, c’est ainsi que monsieur Ouellette a troqué ICI Première pour ICI Musique : « Je commence à tirer la plogue en orientant mon attention vers ce qui est beau et bon », résume-t-il.

Pour madame Girard, « le maintien de l’harmonie dans la famille et avec les amis se paie souvent au prix d’un silence, écrit-elle. Les valeurs, ça ne se discute pas. Par contre, l’amour se partage ». Pour un lecteur qui signe BP, c’est autre chose. « Ce qui empêche de se disloquer, c’est la colère. Et le goût d’une vraie justice par tous les moyens. »

La colère peut effectivement être tonifiante, mais elle peut aussi user. Un monsieur m’a écrit pour me reprocher une phrase dans ma chronique, quand je disais que je refuserais de débattre avec quelqu’un d’anti-choix « de peur de lui mettre mon poing sur la gueule avant même qu’il s’ouvre la trappe ». Ce qu’il fallait retenir de cette phrase est « de peur de ». J’ai peur de perdre mon équilibre sur ce sujet. J’ai beaucoup moins de patience que Justin Trudeau, qui a répondu calmement à un jeune anti-choix dans une vidéo qui a circulé sur Instagram.

En fait, ce qui vient me chercher, ce sont les idées tordues de retirer des droits fondamentaux à d’autres êtres humains. Après tout, la beauté du droit à l’avortement est qu’une personne qui est contre ne sera jamais forcée d’interrompre sa grossesse.

J’ai déjà écrit aussi il y a quelques années que ce débat revenait comme des punaises de lit, et depuis ce temps-là, j’échange gentiment à l’occasion avec M. Berard qui est contre l’avortement parce qu’il est croyant. Il commence toujours ses courriels avec « c’est moi, la punaise de lit », et je ris chaque fois. On s’entend sur tout le reste. « Je suis convaincu que la morale de l’un n’a pas à devenir la loi de l’autre », écrit-il.

Pour ne pas perdre l’équilibre, il y a des gens plus terre à terre, comme monsieur Lavigne, qui ont des solutions bien simples : « couper du bois, faire du sirop d’érable et surtout ma grande passion, faire du vélo ». Vrai qu’il faut être concentré quand on coupe des bûches, mais on peut aussi seulement lever son verre, comme madame Pinard, qui porte bien son nom : « Le bon vin, ma chérie, le bon vin. Juste pour en rire. »

Enfin, il y a la spiritualité, la religion et le cosmos. Il est rare que les gens qui ont la foi soient parfaitement désespérés, et il est vrai que nos chicanes et nos angoisses doivent paraître insignifiantes vues du Cosmos ou même d’un arbre.

Pour madame Poirier, il n’y a rien qui bat la perfection de la nature et de l’univers. « Je n’en connais rien ou si peu, et ça m’émerveille », écrit-elle. L’émerveillement. Je n’avais pas pensé à ce sentiment depuis longtemps, et je me rends compte qu’il manque beaucoup en ce moment, après avoir usé à la corde le mot « bienveillance ».

En résumé, ce que vous dites est que pour garder l’équilibre, il faut : aimer, créer, se fâcher, se taire, bouger, s’émerveiller, rêver. Je crois que ça fait joliment le tour.