(Bogota) Le téléphérique traverse Ciudad Bolivar, quartier pauvre et enclavé du sud de Bogota. Chaque dimanche, ses cabines troquent leur flot d’ouvriers qui se rendent quotidiennement sur les chantiers du centre de la capitale, contre quelques groupes de touristes audacieux.

Après avoir survolé une dizaine de minutes le quartier tentaculaire, où se succèdent bidonvilles à flanc de montagne et maisonnettes aux couleurs vives, les cabines du TransMiCable larguent les visiteurs à El Paraiso, où un petit centre touristique les accueille.

C’est en 2016 que May Rojas et Luisa Sabogal, deux artistes colombiens, choisissent ce quartier offrant une vue panoramique sur Bogota pour lancer leur projet artistico-touristique. À cette époque, la réputation de Ciudad Bolivar n’est que boue, misère et violence.

PHOTO ALEJANDRO MARTINEZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le guide May Rojas (au centre)

« On voulait contribuer à mettre fin à la stigmatisation de Ciudad Bolivar, par le biais de l’art comme vecteur de transformation sociale du territoire », raconte Luisa Sabogal, 24 ans, qui a grandi dans le quartier.  

Les deux entrepreneurs font venir des dizaines de « street artistes », locaux et internationaux, pour peindre « La Calle del color » (la rue de la couleur), un ensemble de fresques murales racontant l’histoire et la culture locales, entre visages souriants et animaux emblématiques de la riche biodiversité colombienne.  

Nouvelle « Comuna 13 » ?

Depuis, plusieurs commerces, agences de tourisme et même un musée de cinq étages, le « Musée de la ville autoconstruite » (MCA, une métaphore en référence aux bidonvilles de tôles), ont ouvert.  

Mais le quartier continue de souffrir d’une image péjorative qui l’empêche de populariser son offre touristique, notamment auprès des habitants de Bogota.

Plus de la moitié des 660 000 habitants de Ciudad Bolivar sont en situation de pauvreté, vivant avec un revenu inférieur à 536 000 pesos par mois (environ 190 $).  

C’est également le quartier avec le plus d’homicides (188) en 2023, selon les données du secrétariat à la sécurité de la mairie (SIEDCO).

Avant de venir, « j’étais inquiet à l’idée de prendre en photo les graffitis, je me demandais s’il était prudent de sortir mon téléphone », confesse Tomas Velasquez lors d’une visite guidée du quartier. Ingénieur, il vit à Chapinero, un quartier bourgeois-bohème du nord la ville.

Malgré quelques craintes, en moyenne 400 visiteurs se rendent à Ciudad Bolivar chaque mois, selon la municipalité locale. Un tourisme embryonnaire, mais suffisant à réjouir la mairie de Bogota, qui en voit déjà les retombées positives.  

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« La rue des graffitis était autrefois appelée “le chemin du crime”. C’était une rue où l’on tuait, où l’on assassinait, où l’on volait… Cette année, nous n’avons pas eu un seul crime recensé dans la zone », se félicite Andrés Santamaria, directeur de l’Institut du tourisme (IDT) de Bogota.  

La nouvelle mairie, élue en octobre 2023, veut faire du tourisme communautaire l’un des fers de lance de sa politique de développement, avec « l’objectif que Ciudad Bolivar se convertisse en l’un des principaux sites de tourisme de la ville de Bogota », sur le modèle de la désormais célèbre Comuna 13 de Medellín.

Ce quartier populaire, sous le joug de la violence pendant les années de règne du cartel de Pablo Escobar, depuis pacifié, s’est transformé en destination de choix pour les touristes de passage dans la deuxième ville de Colombie.  

« La pauvreté demeure »

Pour Ciudad Bolivar, la mairie dit soutenir actuellement la formation de 40 nouveaux guides locaux officiels et l’ouverture d’un centre des visiteurs près de l’arrivée du téléphérique.  

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Attirée par la transformation économique du quartier, Maria Sandoval a ouvert, il y a quatre mois, une petite boutique vendant des tamals – papillote traditionnelle d’origine indigène.  

La commerçante, dont l’échoppe est située en face du débarcadère du téléphérique, voit d’un bon œil l’arrivée des touristes, qui représentent « environ 50 % » de son chiffre d’affaires.  

Mais quelques mètres plus loin, hors du corridor balisé où déambulent les visiteurs, les répercussions positives peinent encore à se voir.  

Sur le pas de leur modeste logis, Nadia Rojas et sa fille observent, sceptiques, les visiteurs passer dans la rue perpendiculaire à la leur.  

« C’est positif parce que le tourisme crée des emplois […]. Mais je vois toujours le même jeune homme faire la visite à tous les touristes. Tout est concentré entre les mains de quelques-uns », constate Nadia. « Les façades sont peintes, mais la pauvreté demeure », lâche-t-elle.