Il y avait de l'excitation dans l'air chaud et humide des Fermes Lufa, cette semaine, lors des premières visites officielles de la serre de 31 000 pieds carrés, sur un toit près du Marché central. La ferme urbaine livrait ses premiers paniers à la communauté cette semaine et recevait les chefs des meilleures tables de Montréal - Le Club chasse et pêche, Le Filet, Le St-Urbain, Lawrence, DNA, etc. -, intéressés par ses produits ultra-locaux.

Dans la structure deux fois grande comme la patinoire du Centre Bell, divisée en plusieurs climats et microclimats, on fera pousser plusieurs variétés de tomates, de concombres, de poivrons et d'aubergines, ainsi qu'un grand nombre de verdures, d'herbes et de micropousses.

Mohamed Hage, jeune idéateur de ce projet complètement hors-norme, ne vise aucune certification biologique. «Ironiquement, cela nous obligerait à faire des compromis, sur le plan environnemental.»

Même sans certification, les Fermes Lufa se disent aussi bios que les bios, aussi écolos que les écolos, avec des mesures de gestion d'eau et d'énergie à la fine pointe de la technologie... et de l'écologie (pour en savoir plus: lufa.com).

Pour limiter la présence d'insectes nuisibles, par exemple, on applique le principe de lutte biologique. Plutôt que d'utiliser des pesticides, il suffit d'introduire dans la serre des insectes utiles, comme la coccinelle. Et comme les légumes n'auront pas à voyager (ou si peu, le territoire de livraison se limitant à 5 km), pas besoin d'avoir recours à des engrais chimiques ou à des OGM qui les rendraient plus robustes et résistants.

L'équipe des Fermes Lufa se limite pour l'instant à une dizaine de personnes qui travaillent très fort. «Mais presque tout est automatisé dans la serre. Mohamed peut même déployer à distance les écrans thermiques qui conservent la chaleur, à partir de son iPhone», explique Yourianne Plante, responsable des programmes communautaires d'agriculture urbaine mis sur pied par Lufa.

Des restaurateurs enthousiastes

Marc Cohen et Sefi Amir, copropriétaires du restaurant Lawrence, s'extasiaient en goûtant aux mélanges de microlaitues bien piquants, au cresson, à la roquette, aux tomates et aux poivrons qu'on offrait en dégustation à la fin de la visite. Hon Tsai Tai, Komatsuna, jeune Mizuna, tatsoi et autres variétés moutardées étaient au menu. Le chef brit est même reparti avec une caisse d'aubergines impeccables.

«C'est sûr que si j'ai le choix d'acheter mes légumes ici, l'hiver, plutôt que de les faire venir de Californie, je vais le faire», a déclaré Claude Pelletier, chef du Club chasse et pêche et du Filet. Marc-André Royal, chef du St-Urbain et de la toute nouvelle Bête à pain, est si enthousiaste qu'il a offert le sous-sol de sa boulangerie comme point de chute dans Ahuntsic.

Cinq pour cent de la serre seront consacrés aux cultivars spéciaux destinés aux restaurateurs. «Nous sommes ouverts aux demandes sur mesure», assure M. Hage.

En revanche, pendant la belle saison, les chefs semblent avoir l'intention de continuer à encourager les fermes plus traditionnelles de nos campagnes.

Bien qu'il ait apprécié la dégustation, le chef du DNA, Derek Damman, s'éloigne peu à peu des pousses et microlégumes qui font fureur par les temps qui courent. Celui qui fait son nom dans le milieu de la restauration en utilisant toutes les parties des animaux dont personne ne veut s'intéresse également aux légumes négligés, voire trop poussés, oubliés dans les champs. Cette philosophie sera-t-elle compatible avec l'approche ultra-méticuleuse des Fermes Lufa? C'est à suivre.

Du reste, la priorité de Mohamed Hage sera d'offrir à l'année des légumes d'une fraîcheur inégalable aux membres particuliers, ces 2000 personnes qui se seront inscrites au service de paniers. «Nous visons d'abord à servir le consommateur, explique Mohamed Hage. Pour l'instant, nous avons plus de demandes de paniers que de production, mais la situation devrait se renverser bientôt.»

Le rêve du jeune mordu d'agriculture et d'informatique? Voir des serres pousser sur des dizaines, voire des centaines de toits de la métropole et d'ailleurs. On sait pour l'instant qu'une deuxième serre Lufa verra le jour à Montréal et sera probablement intégrée directement aux plans d'une construction neuve. «Ce sera beaucoup plus simple de travailler de cette manière-là», affirme M. Hage.

Après 2 millions de dollars en investissements et quatre ans de recherche et développement avec des ingénieurs, des agronomes, des nutritionnistes et d'autres experts de l'Université McGill, l'équipe des Fermes Lufa détient aujourd'hui une expertise qui fait envie.