Au mois de mai dernier, le journaliste Patrick Lagacé révélait que, pour faire la promotion du Bixi, Morrow communica­tions avait créé le blogue «À vélo citoyens», alimenté par de faux blogueurs, avec de faux noms et de faux profils Facebook.

Mais ce qu'on ne savait pas, c'est qu'il y avait sur les réseaux sociaux des stratégies encore plus tordues que celle-ci. Enquête.

En juillet 2009, j'ai reçu une demande d'amitié sur Facebook au nom de «CathetOli». Avant d'accepter, j'ai soumis leur profil à un petit test de vérification, comme j'ai l'habitude de le faire lorsque je reçois un friend request de la part d'un inconnu.

J'ai d'abord consulté leur fiche d'info. J'ai alors découvert que Cath et Oli était un couple dans la vingtaine, originaire de Saint-Bruno, qui trippait sur La Vie, La Vie, Eric-Emmanuel Schmitt et... Urbania.

Rien de suspect à déclarer.

Après coup, je suis allée jeter un coup d'oeil à leurs amis. Sur une centaine d'entre eux, j'en avais sept en commun avec le petit couple. Un nombre très respectable.

Finalement, juste avant de cocher «confirmé», j'ai parcouru leurs photos. Dans leur galerie, j'ai pu admirer des portraits d'eux, posant en skinny jeans dehors devant des murs de briques et dans la cuisine, devant leur webcam.

Check.

Cath et Oli avaient passé mon security test.

Le jour suivant, j'ai reçu une deuxième demande de la part de Cath et Oli. Cette fois, mes nouveaux amis me proposaient de devenir fan du site «Ici, c'est mieux». J'ai cliqué sur l'hyperlien, comme ça, par curiosité.

Je suis alors atterrie sur le site de Pepsi, où je suis tombée sur des vidéos de... Cath et Oli.

C'est à ce moment que j'ai réalisé que Cath et Oli n'étaient pas seulement un petit couple cute qui habite en banlieue et qui n'est jamais revenu de La Vie, La Vie. Non. Cath et Oli étaient les deux têtes d'affiche d'une nouvelle campagne publicitaire de Pepsi, ayant pour but de répandre du bonheur à travers le Québec.

Je n'en croyais pas mes yeux. Mon profil avait-il été ciblé par de vilains marketeurs? Cath et Oli existaient-ils pour vrai? Avaient-ils voulu profiter du fait qu'on soit devenus amis pour voler mes informations personnelles et les revendre à Pepsi? Dans ma tête, les questions fusaient.

Dans les minutes qui ont suivi, j'ai retiré Cath et Oli de mes amis Facebook et j'ai crié à l'injustice devant toutes les filles du bureau, puis sur le blogue d'Urbania, où le sujet a créé un vif débat. Après tout, je ne serais jamais allée sur «Ici, c'est mieux» si j'avais su qu'il s'agissait du site de Pepsi. Je n'aurais jamais accepté la demande d'amitié Facebook de Cath et Oli si j'avais su qu'ils étaient deux personnages publicitaires ou si j'y avais découvert la moindre trace du logo rouge et bleu.

Quatre jours plus tard, j'ai reçu un courriel de Toronto, de la part de la VP Consumers Marketing de Pepsi, Cheryl Radisa, dans lequel elle me disait (en français) que sa compagnie avait pris «les mesures nécessaires pour que Pepsi soit bien identifié dans toutes les communications se rapportant à la campagne Ici C'est Mieux et qu'il n'était nullement dans ses intentions d'induire le public en erreur.»

Je suis retournée sur la page Facebook de Cath et Oli.

Pepsi avait ajouté des logos.

Quelques mois plus tard, j'ai reçu une autre demande d'amitié d'un inconnu. Cette fois, c'était de la part d'un certain «Jay Louis», l'adorable mascotte du blogue What-up-gangstars.

Avant de l'accepter, je lui ai fait passer mon petit test maison, à lui aussi, ce qui m'a permis de découvrir que nous avions une vingtaine d'amis en commun. M'appuyant sur le principe «les amis de mes amis sont mes amis», je l'ai accepté.

Dans les semaines qui ont suivi, j'ai reçu une invitation par courriel pour un party What Up Gangstars, organisé par Jay Louis. Dans le bas du flyer, j'ai alors reconnu le petit logo de Jos Louis.

Jay Louis, Jos Louis, Jay Louis, Jos Louis...

Disons que j'ai compris assez rapidement qu'il y avait un lien entre Jay Louis et le célèbre gâteau Vachon. Mais lequel? Pour y répondre, j'ai posé directement la question à la mascotte par courriel. Voici ce qu'il m'a répondu: «Jos Louis commandite mon blog, je ne le cache pas. Mais je veux pas non plus fendre les oreilles du monde en leur disant: «Mangez des Jos Louis! mangez des Jos Louis!». Tout ce que je fais, c'est fournir du contenu fresh sur mon blog, et chez Jos Louis, ils sont assez cool pour ne même pas me demander de mettre leur logo nulle part.»

Comme sur Facebook.

Aurais-je accepté la demande d'amitié de Jay Louis si j'avais su qu'il était la mascotte d'un blogue commandité par Jos Louis? Certainement pas. D'un autre côté, aurais-je dû prendre mes précautions et refuser la demande d'amitié d'un inconnu? Probablement. Une chose était sûre, par contre, c'est que mes amis n'étaient pas tous des amis.

Alors, qui étaient-ils?

Pour répondre à la question, j'ai décidé de mener ma propre petite enquête.

Mon premier réflexe de journaliste a été de taper les mots «faux profils» dans mon engin de recherche Facebook. J'ai atterri sur le groupe «Griller qui se cache derrière les faux profils qui t'ont invité sur FBK!», qui regroupait principalement des Européens. Même si je ne comprenais pas nécessairement le sens du titre, j'ai laissé un message sur le wall, disant que j'étais journaliste et que je cherchais des gens qui, comme moi, étaient tombés sur des profils publicitaires.

Le soir même, j'ai reçu un message de la part d'un certain Gregory Mabile, modérateur du groupe. Après 2-3 échanges de messages inbox, il a accepté de me laisser son numéro de téléphone. Je l'ai rejoint, en France. À ce moment, j'étais loin de me douter que j'étais tombée sur le maître parisien du faux profils.

Au téléphone, Gregory, 29 ans, m'a raconté qu'il était promoteur de partys dans les plus grosses boîtes de Paris.

Pour promouvoir ses soirées, il m'a avoué avoir créé une vingtaine de faux comptes FB. Il a eu cette idée il y a à peine un an, après que Facebook ait fermé son compte pour des raisons qu'il dit ignorer. Au lieu de s'en ouvrir un nouveau, il a décidé d'en inventer : des filles, des gars, des Blancs, des Noirs et même un profil de Bob l'éponge. «En tout, ça me fait presque 30 000 amis ! explique-t-il. Et ça, c'est sans compter mes pages Fans. Quand on les additionne, ça me fait presque 250 000 contacts.»

Ces contacts, c'est de l'or en barre pour Gregory, puisqu'ils lui permettent d'envoyer des invitations à un maximum de personnes, en un minimum de temps. «C'est le principe du spamming, explique-t-il. Une fois que les invitations sont envoyées, les gens parlent de mes soirées sur leur statut et ça me permet de créer un buzz et de remplir mes salles.» Et grâce à ses faux profils, Gregory peut non seulement rejoindre un grand bassin de population, mais cibler directement sa clientèle, les 20-30 ans, puis vendre son réseau à des compagnies. Pour la somme de 20 000 $, il fournit 15 000 nouveaux membres à la page Fan d'une discothèque, en plus de remplir sa salle, le temps d'une soirée. À l'heure actuelle, il est également en pourparlers avec un important distributeur de boissons énergisantes qui est intéressé à faire de la promo via ses faux profils.

Pour rendre ses comptes les plus crédibles possible et ainsi éviter que ses amis Facebook découvrent le pot-aux-roses, Gregory a développé de fins stratagèmes. Primo, il s'assure que ses profils communiquent toujours entre eux : qu'ils aient des conversations sur Facebook et qu'ils commentent sur leur mur respectif. Deuzio, il leur a construit une personnalité respective. «Disons que c'est un moyen de rentabiliser ma schizophrénie. Si j'ai un côté macho, par exemple, ça me permet de l'exprimer», dit-il.

Mais vingt profils, avec vingt personnalités différentes et vingt styles d'écriture différents, ça peut devenir difficile à gérer pour un seul homme. C'est pourquoi, malgré tous ses efforts, il n'est pas rare que Gregory se fasse prendre les culottes baissées et qu'il se retrouve dans des situations dignes de films hollywoodiens. «Sur Facebook, un de mes fakes féminins avait une très grande cote de popularité, dit-il. Pendant un de mes partys, il y a beaucoup des gens qui étaient venus pour la rencontrer et j'ai dû embaucher une nana expressément pour qu'elle se fasse passer pour elle !»

Et de vraies personnes qui se font passer pour de fausses personnes, qui ont de fausses conversations et qui font semblant d'aimer Quand je l'ai retrouvée au Laïka, Michelle était dans tous ses états. Le jour même, elle avait découvert qu'elle était la cible de menaces de mort de la part de néo-nazis sur YouTube. Rien de moins. Pour lui changer les idées, je lui ai parlé du petit jeu de Gregory, puis de Cath et Oli. «C'est la première fois que j'en entends parler. Je trouve ça scandaleux ! C'est des osties de trous d'cul ! En plus, c'est illégal ! C'est contre les politiques de Facebook ! s'est-elle indignée en buvant un Cosmopolitan de la même couleur que son chandail.

Selon elle, la création de faux profils peut avoir de graves conséquences pour une marque. «Si les utilisateurs découvrent qu'une compagnie a créé un faux profil, le client va perdre son investissement et il va devoir dépenser beaucoup d'argent pour réparer son erreur», dit l'une des twitteuses les plus populaires au Québec. D'après elle, la clé du succès marketing sur les réseaux sociaux serait au contraire la transparence. À titre d'exemple, elle cite la fois où elle a reçu un cachet de la part de la compagnie Deloitte pour bloguer et twitter pendant un de leurs événements.

Payer pour twitter, vraiment ?! Existe-t-il des gens qui sont aussi payés pour mettre à jour leur statut Facebook ! «Je sais que ça se fait ailleurs, mais je ne crois pas que ça se fait ici», affirme Michelle.

Sûre, sûre ?

Ce soir-là, avant de me coucher, je suis retournée sur mon profil Facebook pour une énième fois dans la journée. J'ai parcouru mon fil de nouvelles et j'ai réalisé que plusieurs statuts ressemblaient à du contenu publicitaire. «Martin s'en va à New York dépenser 2000 $ en vêtements Lacoste» ou encore «Si tu guess quel est le commerce, tu pourrais gagner un certificat cadeau de 100 $» ou encore «Cette pub de la NHL est géniale !». J'étais devenue complètement parano. J'avais l'impression que tous mes amis étaient contrôlés par des marques. Comme dans 1984, mais en pire.

C'est à ce moment que j'ai réalisé que, si je désirais avoir l'heure juste concernant la commandite de statuts, j'allais devoir poser la question à des influenceurs de mon entourage, des membres de Facebook qui ont un large bassin d'amis et qui sont des cibles intéressantes pour les annonceurs parce qu'ils disposent d'un grand réseau.

Le lendemain matin, première heure, j'ai appelé Julien Roussin-Côté, fondateur de 33 MAG - un webzine urbain dont le public se situe entre 15 et 33 ans - et qui a plus de 1000 amis sur Facebook. À brûle-pourpoint, je lui ai demandé s'il avait déjà entendu parler de gens payés pour twitter ou pour parler d'un produit sur leur statut.

À bâtons rompus, Julien m'a raconté que, il y a quelques mois, 33 MAG a été approché pour créer un buzz sur les réseaux sociaux autour d'une nouvelle série de webtélé portant sur des produits contre l'acné. La stratégie ? Impliquer des blogueuses, mais aussi des filles influentes pour en parler sur leur statut Facebook, en échange d'un certain montant d'argent. En d'autres mots, payer des gens pour faire de la plogue sur leur profil. «La série a été une risée sur les réseaux sociaux, mais nous, on a livré la marchandise : les gens en ont parlé et ont visionné le vidéo.»

Selon lui, ce genre de pratique est chose courante dans le monde du marketing, surtout quand il s'agit de rejoindre les jeunes. «Aujourd'hui, les bannières publicitaires n'ont plus d'impact sur le web. Les jeunes n'écoutent plus la télé et ne s'informent même plus sur Cyberpresse. Tout se passe sur Facebook. Et pour un annonceur qui veut faire de la pub, c'est le meilleur endroit pour les rejoindre.»

En parlant avec le blogueur de hockey JT Utah, un autre de mes amis qui jouit d'une grande popularité sur Facebook, j'ai découvert que cet exemple était en effet loin d'être un cas d'exception. Au mois de janvier dernier, il a reçu une proposition de la part d'une compagnie dans le domaine du sport. En échange de 1500 $, il a invité ses centaines et centaines d'amis FB à se joindre à l'événement que l'entreprise organisait, en plus de leur proposer de se joindre à leur page Fan. «Je ne force personne à rien. Sur Facebook, les gens ont toujours le choix de la refuser, dit-il. Moi, je trouve qu'il n'y a rien de mal là-dedans comparé à Reader's Digest, par exemple, qui imprime des millions de lettres et qui envoie ça par la poste pour faire croire à des femmes qu'elles ont gagné un million de dollars. Ça, c'est de l'arnaque ! Ça, c'est intrusif !»

Aux yeux du jeune blogueur, la vente de statuts ou de tweets est un moyen comme un autre de faire de l'argent et de rentabiliser un métier qui demande beaucoup d'investissement de temps et qui génère très peu de revenu. «Aujourd'hui, les gens ne veulent plus payer pour le contenu papier, ni pour le contenu sur Internet. En plus de ça, ils ne veulent plus voir de pub... Il faut bien que je trouve un moyen de faire du cash à un moment donné !» Malgré l'appât du gain, JT Utah a ses limites : il n'accepterait jamais, par exemple, de se faire dicter le message ou son opinion. «Je vois une grande nuance entre donner une info sur une promotion de Starbucks et dire que le café est vraiment bon, dit-il. Tout dépendant du message, de la façon dont c'est dit.»

En repensant à mes deux derniers statuts Facebook («Ne manquez pas le prochain numéro d'Urbania en kiosque !» «Regardez cette nouvelle vidéo d'Urbania»), j'ai réalisé que la ligne entre statuts commandités et statuts non commandités était plus difficile à tracer que je ne le croyais. Ainsi, pour m'aider à distinguer le Bien du Mal, j'avais besoin d'un expert avec un grand «E» : en googlant «expert + marketing + réseaux + sociaux», je suis arrivée sur le site d'Adviso, une firme spécialisée en stratégie et marketing Internet. Un de ses fondateurs, Jean-François Renaud (ex-associé de Michelle Blanc), a accepté de m'aider à séparer le bon grain de l'ivraie.

«Sur les réseaux sociaux, la ligne n'est jamais noire ou blanche, dit le jeune entrepreneur. Je vais te donner un exemple. Parfois, ça m'arrive de parler de mes clients sur mon compte Facebook. Parmi eux, il y a les Bains Scandinaves. Des fois, je profite de leurs installations  installations pour me relaxer et après, j'écris sur mon statut que j'ai aimé mon expérience. Est-ce que je me prostitue pour autant ? Je crois pas. Si je disais que j'aime les tampons Tampax, là, je prendrais les gens pour des imbéciles.» Par ailleurs, selon lui, ce n'est pas le sponsor qui manque de transparence dans les cas de commandites de statuts, mais bien l'usager des réseaux sociaux qui accepte d'être payé en échange d'un tel service.

D'un côté, il y a les méchants publicitaires qui achètent des statuts. De l'autre, les méchants utilisateurs de Facebook qui sont prêts à vendre leur statut au diable en échange de quelques dollars. Fine. Mais au final, il y a quand même un poisson pour mordre à l'hameçon. Les statuts Facebook commandités et les faux profils ont-ils de réelles retombées auprès des consommateurs ? Un individu qui lit sur le profil d'un ami qu'il utilise du Tide va-t-il vraiment se «garocher» pour en acheter à l'épicerie ?

«Quand tu acceptes quelqu'un que tu ne connais pas comme ami Facebook, tu t'en fous de ce qu'il dit. Tu t'en fous qu'il aime ou non un produit !» croit Jean-François Renaud. Ça n'a pas de retombées, au même titre que ton voisin dans le wagon de métro qui te dit qu'il aime la gomme ou non. Et c'est la même chose sur Twitter. «Si quelqu'un parle de son produit un tweet sur trois, tu ne le liras plus et tu vas arrêter de le suivre.»

D'après lui, c'est la qualité de la relation qu'on entretient avec un individu et non le message qu'il nous livre qui a des répercussions sur le consommateur. Et c'est la même chose pour le spamming. «Ce n'est pas parce qu'un individu a réussi à t'envoyer une pub de Viagra dans ton inbox que tu vas en acheter !» Envers et contre tous, Jean-François fait confiance à l'intelligence humaine sur les réseaux et croit que chaque usager a les outils nécessaires pour identifier si, oui ou non, il s'agit d'un faux statut ou encore d'un faux profil.

Après avoir raccroché d'avec Jean-François Renaud, j'ai réalisé que, finalement, la vraie amitié triomphait toujours : dans les films de Walt Disney comme sur les réseaux sociaux.

Même chose pour le bon sens et le jugement.

C'est vrai.

Et c'est pourquoi, quand on y réfléchit quelques secondes, toutes ces stratégies trompeuses élaborées par des wizz du marketing sur les réseaux sociaux n'ont pas de grande valeur. C'est du vent.

J'aurais beau être fan du groupe Facebook de Pepsi, lire 15 statuts d'affilée qui disent «Aujourd'hui, c'est Pepsi» sur mon fil de nouvelles et être amie avec Cath et Oli pour l'éternité, je ne me mettrais pas à trouver que le Pepsi goûte bon pour autant et à en acheter. Du Pepsi, ça reste du Pepsi: du liquide brun avec des bulles, that's it. Et ça ne goûte pas plus bon sur les réseaux sociaux que dans la vraie vie.