Xavier Caféïne a la réputation d'être un oiseau de nuit invétéré. Lorsqu'on l'a croisé par hasard aux Îles de la Madeleine - où il donnait une série de spectacles - on s'attendait à faire le party avec lui jusqu'aux petites heures du matin. Mais non. Le plus célèbre des Aylmerois nous a plutôt conviés à un bbq-croquet et à une saucette en boxer moulant. Récit d'un après-midi (quasi) bucolique avec le punk samouraï.

Samedi 16 heures. En plein après-midi, à la lumière du jour, Xavier Caféïne est loin de passer inaperçu au dépanneur de Cap-aux-Meules, avec sa camisole noire, son choker et son sex-appeal naturel. Même quand il zieute un étalage de gommes Bazooka, il le fait avec la rock attitude. Pendant qu'il fait le plein de cigarettes au comptoir, j'en profite pour acheter un six-pack d'Écume, la bière locale des Îles, en prévision de notre barbecue de requin chez Julien Livernois, ex-membre de WD-40 et drummer d'adoption pour le show aux Î- Ça fait 19,95 $, me dit la caissière.

- Vingt piastres pour un six-pack? Comment ça c'est cher de même?

- C'est de la bière forte.

- Ah, bon.

En tendant un billet de vingt, j'aperçois derrière la caisse une copie d'un magazine à potins, mettant en vedette Priscilla de Loft Story. Avant de partir de Montréal, j'avais appris de sources plus que sûres que Caféïne était un fan fini de la télé-réalité de tqs.

- Y paraît que t'es membre privilège du site et que tu suis les lofteurs sur Internet sans arrêt. C'est vrai?

- C'est vrai, sauf cette année, répond-il sans aucun malaise.

- Pourquoi? Qu'est-ce qui te fait tripper? Il me semble que ça fitte pas avec ton côté punk...

- C'est sociologique. Ces gens-là, ils sont tellement loin de moi et de ma réalité. J'en ai jamais côtoyés de ma vie. Je suis fasciné par eux, par leur mode de vie, comment ils s'habillent, leur auto. Tout!

Faut dire que Caféïne a longtemps été le prince de la scène underground montréalaise. Ce n'est certainement pas au Saphir ou au Café Chaos qu'il aurait croisé Mathieu Baron et ses gros bras.

À l'extérieur, le chanteur s'allume une cigarette avant d'embarquer dans ma voiture de location orange brûlé. «Je peux fumer en-dedans?» demande-t-il. Même si la petite madame chez Hertz m'a bien spécifié que c'était interdit, je lui réponds oui. Parce que ça fait plus «road trip».

En chemin, j'allume la radio pour écouter la station locale, l'un des seuls postes des Îles. La veille, j'étais tombée sur une entrevue de la rockstar. En ondes, l'animateur - le beau Dany - lui avait parlé de son célébrissime passage à Tout le Monde en Parle.

- C'est fou quand même les retombées que ça a eues pour toi. On t'en parle encore, souvent?

- Avant, tout le temps. Aujourd'hui, ça s'est calmé.

- As-tu l'impression d'être entré dans la case « chanteur engagé » depuis ce temps-là?

- Après l'entrevue, plein de gens m'ont appelé pour que je donne mon opinion sur tout et rien, mais j'ai refusé. Je me suis protégé. Ça fait longtemps que je donne des entrevues, je me fais pu pogner par les journalistes. Je me méfie toujours.

On a tendance à l'oublier, mais avant de commencer sa carrière solo, Xavier Caféïne a roulé sa bosse pleine de studs pendant plus de 10 ans dans le paysage musical québécois. D'abord avec son groupe Caféïne, de 1997 à 2002, puis avec la formation de rock anglo Poxy, jusqu'en 2004. De nouveau avec Caféïne, jusqu'à la sortie de son premier album solo, Gisèle, en 2006.

Depuis son passage remarqué à la Saint-Jean sur les Plaines et ses nombreuses nominations au gala de l'adisq, l'auteur-compositeur-interprète a parcouru le Québec presque aussi souvent qu'Yves Corbeil et sa roue de fortune. De Chibougamau à Val-d'Or, en passant par Chicoutimi et Gaspé, il en a bouffé des kilomètres. «Au Saguenay et en Abitibi, le rock, c'est la grosse affaire. C'est sûr que c'est toujours le fun d'aller y jouer, dit-il. Sinon, j'aime beaucoup la Gaspésie. J'aime bien les endroits sur le bord de l'eau. Je suis vraiment un gars de mer.» Un gars de mer qui vient de l'Outaouais, c'est pas un peu weird? «Je suis un ancien nageur. J'ai passé mon adolescence dans l'eau, justifie-t-il. Si j'avais vécu en Californie, j'aurais sûrement été surfer!» Caféïne en wet suit? Like it.

Devant nous, les plages de sable blanc se dessinent à perte de vue et Xavier est hypnotisé par l'horizon. Je brise sa séance de méditation en lui demandant ce qu'il a découvert sur le Québec en le parcourant de long en large, lors de ses tournées. «J'ai réalisé qu'il y avait plusieurs moules de Québécois, dit-il. Le Québec, c'est pas juste du monde comme dans les Invincibles. Y a des gens beaucoup plus simples et beaucoup plus vrais que ça. Mais c'est pas juste des gauchistes éduqués non plus. Y a une partie du Québec qui a de la difficulté à accepter l'autre et qui a peur de perdre son identité. Moi, je pense que pour avoir peur de perdre son identité, il faut être déficient mental!»

Quand il est question de nationalisme, Xavier Caféïne ne mâche pas ses mots. Depuis qu'il a prêté serment d'allégeance au punk, il se méfie de toutes les formes de patriotisme. «Moi, je comprends pas ça, la fierté nationale. Je comprends pas pourquoi quelqu'un peut être fier d'être né à quelque part ou d'une histoire qui s'est passée avant qu'il soit au monde, lâche-t-il. C'est comme si je disais que j'étais fier d'être Blanc. Ça a pas rapport!»

En écoutant son discours, à des années-lumières de celui des Piché et des Vigneault, on devine que ses voyages en Asie et en Europe ont largement influencé sa vision du Québec. «Quand tu voyages, tu te rends compte que c'est partout pareil. Un enfant, c'est un enfant. Un vieux, c'est un vieux, dit-il. Ce qui nous rend différent en tant que peuple, c'est notre culture. Notre langue n'est pas plus belle que l'anglais ou le chinois. C'est juste notre langue.»

Après une demi-heure de route, on emprunte un petit chemin de campagne pour accéder au chalet où a lieu le BBQ. La route se transforme tranquillement en chemin de terre, puis en périlleux chemin de gravelle. On se croirait dans une annonce de Suzuki. «Crime, c'est donc ben creux! On s'en va dans un shack ou quoi?», que je lance en chantant mentalement Je m'en vais chasser le lion pour me donner confiance. On s'enfonce pendant une quinzaine de minutes avant de rebrousser chemin et de tomber miraculeusement sur le chalet en bois pas-rond de Julien Livernois. Avec ses fleurs sauvages et sa vue sur la mer, l'endroit est digne d'un épisode de Nos Étés.

Il est 17 heures et les autres membres du groupe de Xavier - qui ont terminé le BBQ et englouti le stock de requin - sont sur le deck en train de trinquer. Il y a d'abord son petit protégé, Alex Crow, guitariste, claviériste et bleaché à temps plein. Vincent Peake: bassiste exceptionnel, homme aux cheveux longs et ex-leader de Groovy Aardvark. Ainsi que le technicien de son et le directeur de tournée.

Après s'être précipité sur le labrador noir de Julien pour le flatter, Xavier enfile une mitt et échange quelques balles avec le tech. Le reste de la bande attrape des bâtons de croquet et commence une partie dans la cour. Je décapsule ma bière à 3,33 $ et m'assois par terre pour les observer. La scène est hautement surréaliste. Je ressens une folle envie d'updater mon statut Facebook pour écrire: «Catherine a vu Vincent Peake de Groovy jouer au croquet avec un chandail de Voivoid. C'est fou.»

Je jette un coup d'oeil à Xavier: y a pas de doute, le gars est plus cut que jamais. Probablement parce qu'il s'entraîne à la boxe depuis la sortie de Gisèle. Il participe même à des combats comme dans Fight Club. L'analogie est trop facile, mais je ne peux m'empêcher de lui poser la question: le stage, le ring, même combat? «Je sais pas, mais ça fait beaucoup plus mal dans le ring en tout cas, dit-il. Recevoir des coups de pied, c'est pas normal. Surtout quand on est habitué de vivre dans le confort. Mais moi, le confort, ça me tue. Je préfère me mettre en danger. Le pire qu'il peut m'arriver pendant un combat, c'est de mourir.»

Ce qui se dégage lorsqu'on discute avec Xavier Caféïne, c'est sa grande force et sa grande spiritualité. Pas une spiritualité à deux balles de fille qui fait du yoga sur le Plateau Mont-Royal et qui se fait tatouer Carpe Diem sur le sein droit. Non. Une spiritualité inspirée des écrits martiaux et du Bushido, le code d'honneur du samouraï. «Dans le Bushido, ça dit qu'il faut toujours vivre avec la mort à nos côtés, comprendre qu'on n'est pas éternel pour être conscient des choix qu'on fait», explique-t-il.

Parlant de choix, la bande décide d'aller faire un tour à la plage pour une saucette.

Et je n'ai pas apporté mon maillot.

Ça tombe bien, les gars non plus.

À peine arrivé sur le bord de l'eau, Xavier enlève ses caps d'acier. Puis sa camisole. Puis ses jeans. Sans attendre, il part à courir dans la mer en boxers stretch, précédés des autres membres du groupe, qui ont préféré garder leur short. Même si ça faisait «tellement Urbania» d'enlever ma robe et de me baigner avec eux en g-string, je décide de rester sur la plage, pour observer les garçons torse nu, dans la lumière du soleil qui descend.

C'est beau comme dans un vidéoclip de Ima.

Une fois sortis de l'eau, les musiciens s'assoient sur la plage, le temps de fumer quelques cigarettes imbibées d'eau. Alex Crow enterre ses pieds dans le sable comme un kid de cinq ans, pendant que les autres se racontent des histoires de lendemain de brosse. Conteur hors pair, Xavier est le centre d'attention. Il gesticule, parle fort, rit franchement. Un vrai lead singer.

Comme une mère qui veille sur ses enfants, le relationniste fait signe qu'il est temps d'y aller. Si Xavier veut être prêt à temps pour le spectacle qu'il donnera ce soir, c'est le temps de se rhabiller.

Sur le chemin du retour, toujours en écoutant la radio des Îles, Caféïne - probablement l'un des plus grands mélomanes québécois - en profite pour faire mon éducation musicale.

- Cette chanson-là, c'est du bluegrass ou du country?

- Du bluegrass.

- Et celle-là, c'est du bluegrass?

- Non, c'est du country.

- Ok, ça, c'est du bluegrass.

- Non, du country.

Entre deux chansons de bluegrass, il me glisse quelques mots sur son prochain opus Bushido. Après avoir cumulé méga-succès par-dessus méga-succès (Montréal, La fin du monde, 1-2-3-4, Corbillard, alouette) depuis la sortie de Gisèle, disons que la barre est haute pour son nouveau disque.

- Je pense pas à ça, dit-il.

- Eille, come on!

- C'est vrai! Même avant Gisèle, la barre était haute. J'avais un standing dans l'underground et je devais faire attention pour ne pas devenir

trop pop.

- Comment tu fais, alors?

- J'écris des chansons que j'aime, c'est tout.

S'il avait composé son premier album solo dans la chaleur du nid familial en Outaouais, Caféïne a concocté le dernier en squattant chez des amis. C'est seulement après s'être déchiré un ligament qu'il s'est remis à l'écriture. «J'ai vu ça comme un signal de Dieu, dit-il. Comme s'il m'avait dit de m'asseoir parce que j'avais un album à faire. Avant, j'étais pas capable de m'y mettre, parce que je focussais trop sur le combat et les arts martiaux.»

Après l'écriture est venu l'enregistrement. Multi-instrumentiste et autodidacte, c'est lui qui a enregistré la guitare, le drum et la basse sur son album. À quoi peut-on s'attendre? «Il est plus glauque et un peu moins accessible que le dernier, dit-il. Il y a plus de place pour la musique, les déconstructions de chansons sont plus longues et les dynamiques sont plus prononcées. Mais, il est tout aussi catchy!» Ça, on serait fou d'en douter.

Il est maintenant 20 heures. Je laisse Xavier Caféïne devant le bar Les Pas Perdus (le Divan Orange des Îles), où il sera en spectacle ce soir pour la première fois. Il me quitte en me tendant une poignée de main ferme. Après le non-BBQ et les boxers moulants, j'aurais pu m'attendre à deux becs, mais non. Le rocker garde ses distances et se protège.

Même aux Îles, pas facile de percer l'armure du punk samouraï.