En 2002, l'écrivain très canadien Douglas Coupland a entrepris de répertorier les symboles qui incarnent l'identité canadienne. De la bouteille de vinaigre aux boîtes de Capitaine Crunch bilingues en passant par le symbole du Nunavut et l'architecture des bonnes vieilles maisons canayennes, il a rassemblé ses trouvailles dans un ouvrage intitulé Souvenirs of Canada. C'est en feuilletant les pages de ce livre à saveur de feuille d'érable et de Timbits qu'Urbania a eu l'idée de mener sa propre enquête et de partir à la recherche des symboles (objets, logos, emballages) qui représentent notre québécitude, ceux qui nous font sentir le plusse «Queb'». La réponse en cinq chapitres.

Chapitre 1 : Quels sont les symboles de l'identité québécoise?

Après avoir regardé en rafale toutes les reprises de la Petite Vie, les Raquetteurs de Michel Brault au ralenti et manger 15 boîtes de gâteaux Vachon, on a lancé un appel à différentes personnalités québécoises (Richard Desjardins, Marie-France Bazzo, Fred Pellerin, Hugo Latulippe, Michel Tremblay, Lorraine Pintal, Marie Saint Pierre...) pour avoir leur version de la québécitude : pour savoir ce que sont, selon elles, les 10 symboles de l'identité québécoise.

Les réponses que nous avons reçues se sont avérées aussi variées que les saveurs de crème glacée disponibles au bar laitier du village. Côté bouffe, on nous a suggéré: le fromage en crottes, le Jos. Louis, la tire sur neige, l'enseigne « Belle Province », le sac de sucre Lantic... Pour les logos, celui des Rôtisseries St-Hubert est revenu à plusieurs reprises, aux côtés de ceux des Caisses Desjardins, des pharmacies Jean Coutu, d'Hydro-Québec, de Kanuk et du Parti Québécois. Certains sont allés puiser dans notre folklore en ressortant les cuillères, la ceinture fléchée, la chaise en babiche et le ruine-babines. D'autres nous ont soumis des propositions bien de notre temps, comme le CD de Karkwa, les sacs en fourrure de Rachel F, la Tohu ou le bumper sticker de CHOI FM, proclamant l'importance de la liberté d'expression.

Photo: Mathieu Lévesque, Urbania

Après coup, on a formé un comité urbanien pour procéder au même exercice et ainsi créer notre propre liste. Pendant des heures, on a bu de la liqueur aux fraises Kiri, mangé des chips Humpty Dumpty et débattu afin d'identifier les objets qui nous titillent la fibre nationaliste. Notre choix s'est arrêté sur les dix merveilles du monde suivantes : la carte d'assurance maladie (pour la Révolution tranquille et le système des soins de santé public), 
la canne de sirop d'érable (parce que le Québec est le plus important exportateur de produits de l'érable de la planète), le logo du Canadien (pour Maurice Richard et notre passion pour le hockey), la ceinture fléchée (pour les Patriotes), la chemise de bûcheron (pour nos forêts et Roy Dupuis dans les Filles de Caleb), le crucifix (pour notre passé clérical), le pylône électrique (parce qu'on est les plus grands producteurs d'hydro-électricité de l'univers), la bouteille de Laurentide (pour notre côté party animal), le fromage P'tit Québec (pour la fleur de lys et l'expression «p'tit» qu'on utilise à tort et à travers) et finalement la motoneige de Bombardier (pour la touchante histoire de Joseph-Armand et notre nordicité).Une fois toutes ces belles choses rassemblées sous nos yeux, plusieurs questions continuaient de nous démanger:pourquoi certains objets étaient-ils immédiatement proclamés «symboles» et d'autres pas?Que révélaient nos choix sur notre identité?Pourquoi avions-nous opté pour autant d'objets folkloriques alors que nous ne connaissons de l'époque des bûcherons que ce qu'Ovila Pronovost a bien voulu nous en apprendre et que nous ne pouvons pas vraiment faire la différence entre une ceinture fléchée tissée à la main et une autre fabriquée en usine et vendue chez Zellers?

Photo: Mathieu Lévesque, Urbania

Chapitre 2 : Comment un objet devient-il un symbole?

Dans la culture québécoise, certains objets ont connu une trajectoire digne du parcours de Céline Dion et sont devenus des symboles indéniables; le Jos. Louis pourrait compter parmi ceux-là. D'autres sont restés dans l'ombre ou sont entrés et sortis de nos vies, comme les participants d'Occupation double à la fin de la saison. Qui se souvient du stylo-montre, qui a bénéficié d'un certain succès dans les années 80?

Selon Anouk Bélanger, professeure au département de sociologie de l'UQÀM et spécialiste de la culture populaire, il existe plusieurs raisons pour expliquer qu'un objet se taille ou non une place au panthéon de notre identité.

La première (et la plus évidente) est sa continuité dans l'histoire : la façon dont il survit aux années. Si certains objets n'ont pas sombré dans l'oubli et ne sont pas devenus des has been, contrairement à la gomme au savon et aux superbes lampes en vitrail fabriquées par Jocelyne la voisine, c'est parce que les Québécois se sont approprié leur histoire : ils l'ont réécrite, réinterprétée et passée dans le blender Walt Disney. La motoneige en est un bon exemple. «On a fait de Joseph-Armand Bombardier un héros national. C'est un petit gars du peuple, un génie qui sortait de nulle part et qui a produit un projet novateur, qui est à la base de l'une de nos grandes industries, indique Anouk Bélanger. Aujourd'hui, on continue de se représenter à travers la motoneige, parce qu'elle nous rend fiers. C'est notre american dream québécois.»

Photo: Mathieu Lévesque, Urbania

À l'instar du ski-doo, d'autres objets connaissent des parcours un peu moins glamour avant de devenir des icônes de la culture populaire. «On s'attache à eux parce qu'ils font partie de notre environnement naturel ou de notre entourage immédiat, tout simplement. On n'a qu'à penser au pylône ou à la carte d'assurance maladie qu'on voit tous les jours», remarque la professeure de socio.

Il y a aussi tous ces produits qui sont devenus des légendes à cause de la massification. Après la Deuxième Guerre mondiale, la consommation a explosé sur le territoire québécois. Certains biens se sont vendus en masse et, parce qu'on les trouvait dans toutes les chaumières, ils ont marqué l'imaginaire québécois. «Le P'tit Québec est un très bon exemple, explique Anouk Bélanger. Dans les années 50, le cheddar est devenu un standard dans les lunchs de toutes les mamans et c'est demeuré dans notre culture populaire.»

Or, une fois que l'objet a atteint le convoité statut de symbole, il se doit d'être constamment réactualisé. «Les gens doivent toujours être en train de se le réapproprier, note Mme Bélanger. Le logo du CH, par exemple, on ne le lâche pas! L'actualiser, c'est un signe de respect envers lui. L'identité se construit en s'actualisant.» Ça signifie donc que si on veut que la ceinture fléchée demeure un symbole typiquement québécois, il va falloir s'arranger pour la réintégrer dans notre quotidien, en moderniser l'usage. Il y aurait sûrement moyen de la transformer en belle mini-jupe pour pré-adolescente.

 

Photo: Mathieu Lévesque, Urbania

Chapitre 3 : Est-ce acceptable que des logos commerciaux soient des symboles de l'identité québécoise?

PJC, Bombardier, Garneau, Kanuk, Vachon, La Presse, Labatt 50, le coq des Rôtisseries St-Hubert, le fromage Oka, l'enseigne de La Belle Province... Lors de notre appel à tous, les répondants ont été nombreux à nous soumettre des logos de compagnies privées, symboles des méchants capitalisss qui pourtant représenteraient bien le Québec.

Mais est-ce que l'identité de la province de la poutine et du hockey bottine peut véritablement être résumée par l'image de ces marques déposées et autres registered copyrighted patented machins? La réponse du cinéaste engagé Hugo Latulippe est sans équivoque : «Franchement, je serais catastrophé si on me disait que des logos ou des emballages incarnent l'identité québécoise. Juste l'idée me scie en 10 : pour moi, ça équivaudrait à dire que des vendeurs de patentes et leurs poubelles ont pris la place de la culture. Triste idée.» C'est ce cri du coeur qui a lancé le débat: est-ce que le M de Metro-profession-épicier et les deux O en forme de lunettes du logo de Lunetterie New Look peuvent devenir des piliers de notre identité?

Pour la professeure de socio Anouk Bélanger, leur présence dans notre imaginaire collectif est loin d'être étonnante. «Il n'y a rien de pur dans la culture et l'identité! dit-elle. Tout est une construction. On l'oublie souvent, mais le drapeau du Canadien n'est pas sorti de nulle part : c'est une construction commerciale. Il n'a pas été fabriqué par des Québécois, mais par des propriétaires anglophones qui cherchaient à conquérir le public francophone et à faire du profit en implantant une équipe à Montréal! Y a rien de pur là-dedans.»

Si les Québécois ont développé un attachement particulier pour certains logos, c'est pour deux raisons, selon le designer Pierre Léonard, de Co création & gestion de marque (qui a entre autres travaillé sur le logo de la Ville de Montréal). Primo : «Quand on aime un logo, c'est parce qu'on aime ce qu'il représente et ce qu'il raconte sur notre identité, dit-il. Le logo des Caisses Desjardins est un bon exemple. À l'époque où les banques étaient contrôlées par le milieu anglophone, Alphonse Desjardins a fondé les caisses pour ne plus que nos grands-pères aient à donner leur argent aux Anglais. On aime cette histoire, elle nous rend fiers de cette institution.»

Deuzio, notre attachement à certains logos est intimement lié à l'expérience que nous avons connue avec la marque. «Par exemple, j'aime Tony le Tigre sur les boîtes de Frosted Flakes, parce que ce sont les céréales que je mangeais dans mon enfance, explique Pierre Léonard. C'est évident que je ressens plus d'attachement envers lui qu'envers le logo d'une compagnie d'assurances. Même chose pour les logos sportifs. Quand on va voir un match, on trippe, on vit une expérience très intense pendant deux ou trois heures. Ça marque l'imaginaire.» Si nous sommes aussi attachés à tous ces logos, c'est donc parce que nous projetons sur eux des souvenirs heureux, des anecdotes cocasses et des fantasmes, assouvis ou non. Cela dit, les gars, on ne veut pas savoir pourquoi vous trouvez que la petite ménagère sur les bouteilles de Old Dutch est une bonne ambassadrice du Québec...

Photo: Mathieu Lévesque, urbania

Chapitre 4 : L'identité québécoise est-elle figée dans le passé?

Une canne de sirop d'érable, de la tire sur la neige, une chemise à carreaux de patriote, la ceinture fléchée... En regardant la liste des objets que nous avons établie, tout porte à croire que nous ne nous sommes jamais remis de notre passé de Menaud maître draveur et que nous sommes toujours attachés à notre passé de mangeux de bines. «Ça démontre bien tout le problème de l'identité québécoise : est-elle soluble dans la modernité?» se demande Biz de Loco Locass, qui a la fleur de lys tatouée sur le coeur.

Selon le chanteur, la réponse est oui. Mais pour y arriver, il faut d'abord que les Québécois assument leur passé, reconnaissent ce qu'ils ont été. «Oui, on a été un peuple des bûcherons. Non, on n'a pas construit des châteaux comme en France : on a construit des barrages et des églises. On a beau dire que Dieu c'est de la marde, c'est ce qu'on a fait de plus beau en architecture», reconnaît-il.

Une fois que les Québécois se seront réconciliés avec les symboles d'autrefois, ils devront les réactualiser afin qu'ils ne meurent jamais. «Il faut déquétainiser le folklore, dit-il. Prendre appui sur ce qu'on a été pour pouvoir se propulser par en avant.» À titre d'exemple, il cite la casquette des Expos qui n'a jamais été autant portée. «Avant, quand l'équipe jouait encore, c'était le monde d'Hochelaga qui portait des manteaux avec le logo des Expos. Depuis qu'elle est morte, on dirait qu'on s'est rendu compte que c'était une marque de chez nous : tous les rappers de Montréal ont leur casquette avec le logo.»

Photo: Mathieu Lévesque, urbania

Chapitre 5 : Que révèlent ces réponses sur la perception que nous avons de nous-mêmes?

Le constat est aussi douloureux qu'un bec en pincettes de matante ou qu'une pichenotte sur un bleu: on se connaît très mal. «Les objets reflètent la façon dont on veut se définir en tant que peuple. Mais on fait dur, parce qu'on oublie certaines choses, parce qu'on commet beaucoup d'erreurs identitaires, affirme l'anthropologue Serge Bouchard. Dans la culture québécoise, par exemple, le casque de poil ou les mocassins en cuir ont été beaucoup plus portés que la ceinture fléchée. Ils ont occupé une place beaucoup plus importante.» Bref, on n'a même pas su choisir les bons souvenirs.

D'avoir opté pour autant d'objets folkloriques, ce n'est pas une bonne nouvelle. Ça démontre à quel point on est fossilisés. C'est comme si les Français choisissaient la baguette et le béret pour les représenter. On se caricature nous-mêmes. «Tu vois, pour moi, un des symboles qui définirait le mieux le Québec, ce n'est pas la ceinture fléchée, mais la devanture des Tim Horton's. Ça définit le Canada et c'est une référence plus actuelle. Il y a aussi l'architecture des caisses populaires québécoises : totalement décadente.»

 

Photo: Mathieu Lévesque, Urbania

Peu importe qu'on vote Charest ou Marois, qu'on ait été pour ou contre la commission Bouchard-Taylor, on dirait qu'on perçoit tous notre identité et nos racines de façon plus ou moins réaliste. La tendance à oublier qu'on vit en Amérique et non en Europe et qu'on fait encore partie du Canada, quoi qu'on en pense, est très marquée.

«On n'est même pas capables de reconnaître le fait qu'on est des Nord-Américains, lance Serge Bouchard. Ça démontre bien à quel point il y a une crise identitaire au Québec et que les Québécois sont des malades mentaux culturels!» Alors qu'on prétend être attachés à la canne de sirop d'érable et à la chemise à carreaux, Serge Bouchard, lui, soutient qu'on n'est attachés à rien du tout.

«Ce qui est important pour les Québécois, c'est la même chose que pour n'importe quel habitant des autres pays riches : c'est le monde de la consommation, les fonds de pension, Wal-Mart, le prix de l'essence, le confort... La vérité, c'est ça. C'est qu'on ressemble plus au boulevard Taschereau, aux piscines hors-terre ou au logo du Canadian Tire qu'à la ceinture fléchée. Notre société est aussi pathétique que la société américaine. Mais ça, on ne veut pas l'entendre.»

Photo: Mathieu Lévesque, Urbania

Chapitre 6 : Quels seront les prochains symboles de l'identité québécoise?

Le logo du Cirque du Soleil? Le BIXI? Céline? À défaut d'avoir la science exacte, on a fait appel au directeur artistique et codirecteur du collectif Identité québécoise, Simon Beaudry, et on lui a demandé de l'imaginer. Voici ce qu'il nous a pondu. 

Il nous explique: «Cette fresque, c'est une vision personnelle et artistique de la représentation de la québécitude. On y retrouve les éléments traditionnels de notre passé, dont plusieurs qui sont nés du métissage entre les Français et les Autochtones, mais aussi plusieurs éléments de la modernité. C'est une représentation de nous-mêmes et de ce que nous serons dans la modernité : le peuple québécois continuera d'exister et de s'émanciper.»

Photo: Mathieu Lévesque, urbania