Le logo de l'application Tellonym, dont la progression est fulgurante - elle compte déjà 45 millions d'utilisateurs, comparativement à 13 millions déclarés il y a quelques mois -, semble inoffensif. Sur fond rose, on voit un personnage souriant. À bien regarder, on note qu'un sac de papier est enfoncé sur sa tête. Il a raison d'être gêné...

Populaire chez les adolescents un peu partout dans le monde, Tellonym - un mot formé de tell (dire) et anonym (anonyme) - permet d'envoyer des messages anonymement. L'utilisateur crée un profil avec sa photo et son âge, puis il reçoit des commentaires et questions de Dieu sait qui. «Tellonym est l'endroit le plus honnête sur l'internet», plaide l'appli de Callosum Software, de Berlin, en Allemagne.

«Ce n'est tellement pas sécuritaire! réagit Cathy Tétreault, directrice générale du centre Cyber-aide. Les jeunes mélangent anonyme et confidentiel. Ils répondent, même s'ils ne savent pas de qui ça vient. Ça ouvre la porte aux prédateurs et aux jeunes qui veulent être méchants et dénigrer.»

Exemples troublants

Tellonym peut vite déraper, on le constate en consultant divers profils. Une adolescente portant des lunettes de soleil sur sa photo a reçu comme message: «T vrm belle je veux te fourrer». (T'es vraiment belle, je veux te fourrer). Elle répond: «Wtf t qui?» (What the fuck, t'es qui?).

Une autre jeune fille s'est fait dire: «t laide..arrt de t'prendre pour un autre stp sa gosse en criss t'en ridicule (conseille)» (T'es laide... Arrête de te prendre pour une autre, s'il te plaît, ça gosse en crisse, t'es ridicule. Conseil.).

Un garçon qui semble avoir maximum 12 ans sur sa photo se fait demander: «Ass or boobs?» (Traduction libre: Cul ou boules?)

D'autres messages sont racistes. Heureusement, il y a aussi des «tells» (les noms donnés aux messages) positifs, comme celui - rempli d'émojis de coeurs - reçu par une jeune femme. Espérons que son auteur était bienveillant.

Réservée aux...?

L'App Store indique qu'il faut avoir 17 ans pour télécharger cette application gratuite, une contrainte facile à contourner. Quand on crée un profil, Tellonym nous demande d'ailleurs de préciser notre âge. On peut alors choisir entre 13 ans (!) et... «32 ans et plus» (!!), ce qui prouve qu'on vise les jeunes.

«Si c'est classé 17 ans et plus, ça veut dire que c'est à connotation sexuelle», indique Cathy Tétreault. L'App Store avertit qu'on y trouve des «scènes fréquentes/intenses réservées aux adultes (suggestives)».

Des écoles - notamment à Manchester, en Grande-Bretagne - ont commencé à avertir les parents des dangers de Tellonym.

«La recherche indique qu'il y a plus d'intimidation sur les réseaux sociaux qui permettent l'anonymat total, puisque les conséquences pour ce genre de comportement sont minimes», observe Andréa Schnell, spécialiste en éducation aux médias par intérim chez HabiloMédias.

Tellonym se défend

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉA SCHNELL

«La nature éphémère de ces applications souligne l'importance de parler aux enfants des enjeux de l'intimidation en ligne et de la cybersécurité avant qu'un problème n'arrive», souligne Andréa Schnell, spécialiste en éducation aux médias par intérim chez HabiloMédias.

Joint par courriel, Maximilian Rellin, jeune président et directeur général de Tellonym, défend son appli. «Les mineurs doivent avoir le consentement de leurs parents pour utiliser Tellonym et le confirmer lors du processus d'enregistrement», fait-il valoir en anglais.

Contrairement à d'autres applications, Tellonym garde d'abord privés les messages envoyés anonymement - seul le destinataire les voit. Le piège, c'est que dès qu'on répond ou qu'on prend une capture d'écran, le message et sa réponse deviennent publics. Il est évidemment difficile de ne pas répliquer, surtout quand on nous envoie des insultes. Dans tous les cas, le jeune reçoit - et encaisse - les messages qu'on lui envoie.

Réduit ou favorise l'anxiété?

«Étant donné le taux croissant de solitude et d'anxiété sociale, l'anonymat est un élément nécessaire des réseaux de communication de l'avenir, plaide Maximilian Rellin. Il permet aux adolescents de commencer une conversation, tout en réduisant lentement leurs préoccupations comme la peur du rejet, pour enfin se révéler. Ce qui se traduit par la création de nouvelles amitiés et parfois, aussi, d'amours.»

Cathy Tétreault n'y croit pas. «Au contraire, il est démontré que plus les jeunes utilisent uniquement les écrans pour leurs relations sociales, moins ils développent de compétences sociales ou relationnelles», souligne-t-elle. Son conseil? «Vérifiez les propriétés de chaque application téléchargée par vos enfants, sur tous les écrans - iPod, tablette, cellulaire, etc.»

Les modes passent - avant Tellonym, les applis anonymes Whisper, Ask.fm et Sarahah ont connu leur heure de gloire -, mais les messages blessants peuvent mettre du temps à s'effacer des jeunes mémoires.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

«Il faut s'asseoir avec nos enfants et demander: "À quoi ça sert, ça ?" pour toutes les applications téléchargées», conseille Cathy Tétreault, directrice générale du centre Cyber-aide.