Aux échecs, les hommes sont presque seuls au sommet des palmarès. Et même sur un plan plus ludique, les femmes boudent souvent les jeux de stratégie en général. Pourtant, des recherches récentes sont formelles : entre les deux oreilles, nous sommes tous les mêmes. Alors, qu'est-ce qui nous distingue de chaque côté de l'échiquier ?

Joueuses recherchées

Yi Lin Li a 16 ans. Elle a remporté le championnat canadien féminin d'échecs dans sa catégorie en 2014 et en 2015. Elle se classe parmi les meilleurs jeunes espoirs au pays, garçons et filles confondus. Dans un univers presque exclusivement masculin, elle tire son épingle du jeu.

« C'est vrai que c'est spécial d'être une fille aux échecs, mais je suis fière, et puis tout ce que je veux, c'est jouer contre des gens plus forts que moi, garçons ou filles, pour apprendre et m'améliorer », lance d'un trait l'adolescente, arrivée de Chine il y a trois ans avec sa famille.

Elle l'a depuis longtemps remarqué : dans les classements internationaux, les femmes sont l'exception. Au Canada aussi. Dans les cours que donne l'Association Échecs et Maths à Montréal, les filles composent le tiers des participants, mais dans le volet compétitif, cette proportion chute. « Dans les tournois, on compte seulement entre 5 % et 10 % de joueuses », calcule Larry Bevand, cofondateur et directeur général de l'Association. Est-ce parce que, globalement, elles sont moins talentueuses ? « Absolument pas ! s'exclame M. Bevand. Les filles aiment aller aux cours, et faire les exercices. Elles sont très bonnes. Autant que les garçons. C'est quand arrive le temps de la compétition que ça les intéresse moins. »

Il se base uniquement sur des observations, mais il constate une attitude nettement plus compétitive chez les garçons en général. « Il y a toujours des filles qui vont pousser et qui vont être super bonnes. Mais ce n'est pas compliqué : si on veut être bon, il faut que ça fasse mal quand on perd. »

Pareils, pas pareils

Parmi les meilleurs, la compétition est féroce. Les joueurs passent des heures à analyser les parties de leurs adversaires sur vidéo, et repassent en boucle leurs défaites. Les championnes n'y font pas exception. « Les filles qui veulent gagner, elles n'ont aucun complexe », note Bernard Labadie, président de la Fédération québécoise des échecs. Le président rappelle cependant que tous ne pensent pas comme lui. Le champion britannique Nigel Short a fait scandale l'an dernier en déclarant qu'il fallait s'y faire et que les femmes sont biologiquement moins bonnes que les hommes aux échecs. Point final. Or, après avoir essuyé les critiques venues de toutes parts, le grand maître a récemment vu ses idées mises en échec par une étude sérieuse menée par une chercheuse de Tel-Aviv.

Après avoir analysé l'activité cérébrale de 1400 personnes, Daphna Joel et son équipe ont constaté que les hommes et les femmes ne viennent pas de deux planètes distinctes. Biologiquement du moins, explique la scientifique en entrevue avec La Presse.

Bref, cette mosaïque est si complexe que même s'il existe à la base certaines différences entre les hommes et les femmes, il est rarissime de trouver un cerveau totalement féminin ou totalement masculin. Toutes ces zones s'entremêlent tellement qu'un scientifique ne pourrait déterminer avec certitude le sexe d'une personne en ne regardant qu'un cerveau au scanneur. L'homme et la femme ont donc tout ce qu'il faut, équitablement, pour se démarquer dans les jeux de stratégie. Le cerveau de Nigel Short n'avait donc rien de bien différent de celui de son adversaire féminine, l'Indienne Harika Dronavalli... lorsque celle-ci a aisément défait le champion britannique, en janvier dernier.

Alors pourquoi?

« N'oublions pas qu'il y a un biais statistique. Si la majorité des joueurs sont des hommes, il est normal que la plupart du temps, les gagnants soient des hommes », souligne Christian Lemay, concepteur de jeux et fondateur du Scorpion masqué, une maison d'édition de jeux de société.

Le créateur en convient, les femmes se font timides, surtout lorsqu'il est question de stratégie. Cependant, le vent est en train de tourner, assure-t-il. « Il y a 10 ans, j'hésitais presque à dire à ma blonde que j'aime les jeux de société, parce que j'avais peur de perdre toutes mes chances !, lance-t-il en riant. Mais aujourd'hui, dans les salons de jeux, on voit vraiment une augmentation de filles. Elles jouent pendant une heure, deux heures, à des jeux dans lesquels il faut s'arracher les cheveux ! »

Dans les soirées thématiques, elles s'installent autour de la table, et non, elles ne jouent pas pour faire plaisir à leur amoureux. « Il y a 10 ans, soyons honnêtes, on entendait souvent : "Ah, il a amené sa blonde, et elle va plomber la partie. Elle ne comprendra rien parce que ça ne l'intéresse pas" », se souvient M. Lemay.

« C'est d'abord une question d'intérêt. Au départ, les jeux de stratégie étaient surtout centrés vers la guerre. On n'a qu'à penser à Risk, Stratego, Axis and Allies... c'est stéréotypé, mais ce thème va surtout chercher les hommes », croit pour sa part Julie Desranleau, cofondatrice de l'événement Jeux au boute, un séjour dans un camp de vacances où les adultes jouent à des jeux de société. Environ 25 % des participants seront des femmes, cette année.

Mordue de jeux, elle fait remarquer que le jeu de stratégie s'est développé au cours des dernières décennies. Les thèmes guerriers partagent le plancher avec des défis plus près de la gestion, notamment : tout aussi complexes, mais différents. Du coup, plus de joueurs y trouvent leur compte, y compris les femmes.

Mais toute cette question de gars et de filles, la joueuse d'échecs Yi Lin Li s'en soucie peu. « Dans les tournois, Yi Lin Li, elle est là pour gagner », raconte, admiratif, le président de la Fédération québécoise des échecs. Timide, l'adolescente acquiesce : « Je crois que les filles sont différentes quand elles jouent. On est plus imperturbables, je pense. Mais ce que j'aime surtout, c'est penser, étudier des ouvertures, travailler ma logique. Développer mon cerveau. Oui, j'aime ça, jouer ! »

Des stéréotypes qui font mal

Les chercheurs Hank Rothgerber et Katie Wolsiefer se sont intéressés à la place des fillettes dans le monde des échecs. Ils ont interrogé 77 joueuses de 6 à 11 ans afin de déterminer si les stéréotypes sociaux influençaient leurs performances devant l'échiquier. Ils ont d'abord découvert que ces fillettes ressentaient l'idée préconçue voulant que les garçons réussissent mieux qu'elles aux échecs. Résultat : à un niveau de compétition moyen ou élevé, les joueuses qui affrontaient un garçon démontraient moins de confiance en elles. De plus, après un tournoi où leur performance avait été moins bonne que prévu, les filles couraient plus de risques d'abandonner la pratique des échecs ou de se présenter à moins d'événements compétitifs par la suite. La solution pour lutter contre les stéréotypes ? Faire en sorte que les filles aient accès à plus de modèles féminins aux échecs afin de renforcer leur confiance en elles et d'assurer une meilleure rétention à long terme des joueuses.

>>>Consultez l'étude (en anglais).

Pour s'initier à la stratégie

Homme ou femme, vous souhaitez vous initier à l'univers des jeux de stratégie ? Vous cherchez un nouveau défi auquel vous mesurer ? Voici les suggestions de Julie Desranleau, cofondatrice de l'événement Jeux au boute.

Minivilles



L'univers de ce jeu se rapproche de celui du populaire jeu Sim City. Le concept : arriver à construire quatre monuments en gérant intelligemment ses cartes et en tentant de tirer le meilleur des coups de dé. Un jeu où la stratégie occupe une grande place malgré le hasard. Les parties se déroulent rapidement.

Âge : à partir de 7 ans

Éditeur : Moonster Games

Takenoko

Très ludique, ce jeu nous entraîne au Japon, où nous devons veiller au bien-être du Grand Panda. Tour à tour, les joueurs doivent entretenir une bambouseraie, en subissant évidemment les aléas de la météo. Les participants gèrent judicieusement l'irrigation de leur champ de bambou, tout en remplissant des objectifs au fil de la partie.

Âge : à partir de 8 ans

Éditeur : Asmodee

Dixit

Voici un jeu qui permet de s'initier à la stratégie en famille. Chaque joueur possède plusieurs cartes imagées. À tour de rôle, l'un d'eux en choisit une, et dit ce à quoi elle lui fait penser (une image d'un soleil peut inspirer « les vacances »). Il dépose la carte face cachée sur la table, et les autres joueurs déposent aussi une carte de leur jeu qui correspond à ce thème, selon eux. Les joueurs doivent ensuite deviner quelle était la carte d'origine (la carte avec le soleil). La stratégie ici se situe dans la façon d'évoquer le thème.

Âge : à partir de 8 ans

Éditeur : Paille Éditions

Cacao

Ce jeu amène les participants à se transformer en chefs de tribu prospères. L'objectif ? Bien utiliser le territoire sur le plateau de jeu et placer des travailleurs au bon endroit, pour obtenir la meilleure récolte.

Âge : à partir de 8 ans

Éditeur : Filosofia

Kingdom Builder

Avec Kingdom Builder, les participants doivent se lancer à la conquête d'un vaste territoire, dans l'espoir de gagner des pièces d'or. Mais attention : les joueurs doivent remplir trois objectifs tirés au hasard. Les règles de ce jeu sont simples, mais le défi stratégique demeure intéressant.

Âge : à partir de 8 ans

Éditeur : Queen Games