Des femmes se maquillent. Des adolescentes se maquillent. Serait-il convenable que des jeunes filles de 8 ou 9 ans se maquillent elles aussi ? Vaut-il mieux refuser tout net ou encadrer l'envie de la jeune fille ? Qu'en dit l'école ?

Pour ou contre le maquillage des fillettes?

Est-il acceptable qu'une fillette de 8 ou 9 ans se maquille ? Juste un peu ? Juste pour jouer ? Des parents expliquent leur point de vue. Attention, sujet sensible...

Pour



Avant d'aller au restaurant ou de se rendre à une soirée chic, Pierre-Yves Villeneuve et sa compagne se mettent beaux. « Ça fait partie du rituel », dit-il. Ainsi, tout naturellement, ses filles (8 ans et demi et 7 ans) veulent aussi « se mettre belles ». Son aînée a même le droit de se maquiller. « Seulement un petit peu, précise le papa, et juste pour les sorties chics. »

« Je me maquille quand je sors, dit aussi Nina Duque. Alors, dans ma salle de bains, il y a du maquillage. Mes deux filles (14 ans et 8 ans) ont toujours aimé jouer avec ça. » Un jour, l'envie du maquillage est passée « du jeu au monde réel », comme elle dit. Une transition qu'elle observe en cherchant à intervenir le moins possible.

Une fois, sa petite de 8 ans s'est mis du brillant à lèvres et du fard à joues pour aller à l'épicerie. « C'était de l'ordre de l'expérimen-tation, juge-t-elle. Je l'ai remarqué, mais j'ai préféré ne rien dire. » Elle agit d'une manière semblable avec son adolescente, qui se maquille régulièrement, maintenant.

« Je laisse ma fille aînée juger par elle-même ce qui est correct ou pas », dit-elle. Ainsi, Nina Duque préfère remettre en question délicatement ce qu'elle juge excessif - un rouge à lèvres vraiment trop rouge, par exemple - plutôt que d'interdire et de critiquer l'envie de plaire qui pointe chez son adolescente.

Elle est tout de même heureuse de constater que son adolescente use du maquillage avec parcimonie. « C'est léger, estime-t-elle. C'est sobre et de bon goût. » Nina Duque se trouve d'ailleurs pas mal plus stricte en ce qui concerne les jupes ou les chandails trop courts à son goût...

Le maquillage, chez Pierre-Yves Villeneuve, tient davantage de la coquetterie. Concrètement, ses fillettes peuvent mettre du brillant à lèvres et des brillants sur leurs joues. « On limite, on encadre », précise-t-il. Ainsi, pas question de les laisser se maquiller pour aller à l'école. « Ma fille aînée me l'a déjà demandé et j'ai dit non, raconte le père de famille. L'école est un lieu pour apprendre, ce n'est pas un endroit approprié pour être maquillée. »

« Elle est belle au naturel et on le lui dit tous les jours », assure le papa. Il croit néanmoins préférable d'éduquer dès maintenant son aînée en ce qui concerne le maquillage, puisque cela l'intéresse, plutôt que de faire semblant que ça n'existe pas. Nina Duque est d'accord.

« Je préfère voir ça positivement, comme une façon de se porter une attention à soi, à ce qu'on dégage », dit-elle. Après tout, quand on sort, on se met du déodorant, ajoute la mère de famille... « Je suis de l'école qui dit qu'une femme peut faire ce qu'elle veut de son corps, ajoute Nina Duque. Une femme peut se maquiller et se mettre belle en étant en contrôle de son corps et de son image. »

Contre

« Je serais plutôt dans la bande des contre, songe Étienne Proulx. Je pense que ce n'est pas approprié. » Ce père de trois enfants, dont des filles de 10 et 13 ans, ne considère pas que de mettre un peu de brillant à lèvres constitue une forme d'hypersexualisation des fillettes, mais il juge tout de même que le rouge à lèvres, les talons hauts et le maquillage en général ne conviennent pas aux filles du primaire.

Marie, mère de trois filles dont l'aînée a 14 ans, est franchement contre. « Laissez les petites filles être des petites filles ! Quand elles sont en âge d'aller au primaire, je ne comprends même pas que la question se pose », s'emporte-t-elle.

Voir de petites filles s'intéresser au maquillage lui renvoie l'image d'une société qui transforme trop vite les enfants en adolescents. Elle craint que l'idée même de l'enfance, de la vie passée à jouer aux Lego dans le salon, ne soit plus suffisamment valorisée. Les fillettes de 8 ou 9 ans ne sont pas des petites dames et les laisser se maquiller, c'est leur ouvrir trop vite la porte du monde des adultes, selon elle.

Étienne Proulx constate que, pour sa fille de 10 ans, le maquillage relève encore du jeu et de l'envie de se déguiser. Ça lui va très bien. Son aînée, par contre, a commencé à se maquiller « de temps en temps » depuis qu'elle est au secondaire. « Elle trouve amusant de faire ça, dit-il. C'est une coquetterie au même titre que de mettre des boucles d'oreilles. Ce n'est pas encore dans un but de séduction. Ça, chez nous, c'est bien correct. »

Avec le secondaire, la question du maquillage s'est aussi posée chez Marie. Seulement cette année, en fait, alors que son aînée entrait en troisième secondaire. « Elle m'a demandé si elle pouvait mettre du mascara », dit-elle à propos de sa fille. Du mascara ? Marie a dit oui. Elle en met un peu, elle aussi. Un tout petit peu d'ombre à paupières, aussi. « L'opération complète me prend une grosse minute, assure-t-elle. Ce n'est pas central dans ma vie. »

Marie ne peut s'empêcher de s'interroger sur les valeurs qui sont transmises à travers le maquillage. « Si je passais mon temps à me maquiller, peut-être que ça inciterait mes filles à vouloir se maquiller aussi, pense-t-elle. Peut-être que ça tient à notre façon de vivre... »

« Je trouve ça joli, le maquillage discret. C'est l'excès que je n'aime pas, tient toutefois à préciser Marie. Je n'ai rien contre le maquillage en général, j'en ai contre le maquillage des petites filles. Ça n'a pas lieu d'être ! »

Mieux vaut en parler

Qu'on se rassure. Nos écoles ne sont pas pleines de « mini miss » maquillées comme des top-modèles adultes. Or, le maquillage fait partie de la délicate question de l'image corporelle. Mieux vaut en parler.

Qu'en dit l'école?

« Ça n'a jamais posé de problème à [notre école]. Parfois, pour la photo scolaire, il y a des filles qui se mettent du brillant à lèvres ou des brillants sur les yeux, mais on n'a jamais eu de situation problématique qui nous aurait amenés à devoir statuer sur l'interdiction du maquillage », explique une directrice d'école de Montréal qui préfère conserver l'anonymat pour éviter les représailles. Ainsi, aucune directive précise ne concerne le maquillage dans le code de vie de cette école. Dans le passé, alors qu'elle était enseignante, cette directrice a toutefois déjà fait face à une situation où un groupe de jeunes filles se maquillaient et s'habillaient de manière à « paraître plus vieilles ». Le conseil d'établissement de cette école avait alors jugé bon de préciser dans le code de vie qu'une tenue « sobre et adéquate » était de mise à l'école et précisait nommément que le maquillage et les talons hauts en étaient exclus. Puisque les codes de vie sont adaptés aux besoins des différents milieux, la CSDM n'a pas de politique globale concernant le maquillage au primaire.

Ouvrir le dialogue

« Je me maquille, dit l'écrivaine féministe Martine Delvaux, mais il y a eu des périodes de ma vie où je ne me maquillais pas. » Sa fille de 13 ans, elle, ne s'intéresse pas au maquillage. « D'après ce que je comprends, dans son environnement, il y a une grande variété de styles, de modes et de rapports au corps », explique-t-elle. Martine Delvaux envisage la question du maquillage comme la relation à la couleur rose et aux costumes de princesses : ces choses existent dans la société et les filles y ont accès. « Que je dise oui ou non, elle y aura accès », résume-t-elle. Engager la conversation est la meilleure façon d'éduquer au maquillage comme sur n'importe quel autre sujet, selon elle. « Ce n'est pas juste une question d'apparence, c'est aussi une question de santé et de consommation », fait valoir la romancière et essayiste. Elle n'a rien contre le maquillage lorsqu'il est envisagé comme « un lieu de jeu, de créativité, qu'il y a une conscience du geste posé et de l'environnement dans lequel on se trouve ». Sa limite, c'est le maquillage sexy pour les fillettes et les jeunes ados. « Moi, tranche-t-elle, c'est non. »

S'amuser maintenant, plaire plus tard

L'envie du maquillage peut découler d'un désir d'imitation, mais aussi du fait que les fillettes d'aujourd'hui ont un accès facile à des modèles très maquillés, comme certains types de Barbie, pense la psychologue Catherine Bégin. « Il s'agit parfois qu'il y ait juste une ou deux jeunes filles qui se mettent à se maquiller pour qu'il y ait une espèce d'effet boule de neige », dit-elle encore. L'important, c'est d'être attentif au désir de l'enfant et de l'interroger sur ses motivations. Est-ce que la fillette se maquille pour jouer un samedi après-midi ou elle se filme après ? Qu'est-ce qui l'attire ? Qui a-t-elle vue maquillée ? « Il est peut-être bon d'expliquer à l'enfant qu'elle aura amplement le temps de se maquiller, dit encore Catherine Bégin. Il y a des phases de développement. Il y a des moments pour s'amuser sans être dans le monde des adultes, sans vouloir plaire. » Chose certaine, un simple « non » n'est pas suffisant : il est important de discuter avec l'enfant pour lui faire comprendre d'où vient ce refus. Surtout si la fillette ressent une pression à faire comme d'autres.