Marco* n'a pas besoin de se mettre dans la peau des jeunes délinquants qu'il tente de rééduquer. L'éducateur dans un centre jeunesse connaît leur réalité. Il est passé par là.

À 17 ans, il a poignardé à mort un autre adolescent. Au terme d'un procès, il a été reconnu coupable d'homicide involontaire. Il a écopé de trois ans de garde fermée à purger dans un centre jeunesse.

Attablé dans un restaurant d'une chaîne populaire québécoise, l'homme aujourd'hui dans la trentaine cesse de parler chaque fois qu'une serveuse s'approche. Il est réticent à aborder son crime avec une journaliste.

En même temps, lorsqu'il voit les réactions vives suscitées par le drame survenu à la mi-février à Trois-Rivières, il se dit que son histoire peut faire réfléchir.

Dans les médias sociaux, certains ont été prompts à réclamer que les jeunes soupçonnés du triple meurtre soient enfermés à double tour et qu'on jette la clé. D'autres ont carrément lancé l'idée du retour de la peine de mort.

Marco ne connaît pas ces deux ados. Mais il est convaincu d'une chose: «Des jeunes qui font parfois de mauvais choix aux conséquences dramatiques ne sont pas nécessairement de mauvaises personnes.»

C'est ce qu'il explique aux jeunes délinquants qu'il essaie de ramener sur le droit chemin. «Je me sers de mon expérience sans leur dire ce que j'ai fait.»

La plupart de ses collègues ignorent son passé. Les jeunes ne le savent pas, non plus. Il craint que leur regard sur lui ne change.

Ado, Marco ne se tenait pas avec des enfants de choeur. À l'époque, certains l'auraient étiqueté comme un membre de gang de rue. Lui, il se décrit comme un jeune très influençable.

Originaire d'Amérique centrale, il a immigré au Québec alors qu'il était à la veille de l'adolescence. Il a commencé à se tenir avec d'autres jeunes immigrants plus vieux que lui. Ils se rassemblaient pour écouter de la musique et «chiller» avec des filles. Il fermait les yeux sur leurs activités illégales.

Marco s'est mis à porter un couteau sur lui, comme ses amis. Il s'est convaincu que c'était pour se défendre contre le taxage. Un jour, il jouait au basketball avec des amis. Le ballon d'un autre groupe de jeunes est venu dans sa direction. Il l'a renvoyé avec son pied. «Ils ont pris ça pour de la provocation», dit-il.

Il y a eu une première altercation. Puis une seconde à l'arrêt d'autobus. Marco a sorti son couteau. «Je n'ai même pas vu qui j'avais touché.» Sa victime avait 15 ans. Ils ne se connaissaient pas.

Sa mère n'a pas assisté au procès. Elle n'est pas venue le voir une fois durant ses trois ans en centre jeunesse. «Je ne voulais pas voir sa déception et la tristesse dans ses yeux. Je n'ai pas insisté pour qu'elle vienne», raconte-t-il.

Il a mis du temps à parler de son crime.

Au fil des mois, ses éducateurs lui ont fait comprendre qu'il devait cesser de jeter le blâme sur les autres et prendre ses responsabilités. Et surtout, il devait apprendre à vivre avec ce qu'il avait fait.

«Les éducateurs me disaient plein de choses pour me faire réagir. Je ne leur montrais pas que ça me touchait, mais quand j'étais seul dans ma chambre, j'y repensais.»

Aujourd'hui, Marco tente à son tour de faire réfléchir des jeunes qui sont condamnés pour des crimes graves. «Mon expérience m'aide à entrer en relation avec les jeunes. Je prends mon temps avec eux. Je respecte la distance qu'ils installent; les barrières qu'ils érigent pour nous empêcher de les atteindre.»

Marco est conscient de sa chance de ne pas avoir été envoyé dans une prison pour adultes. «J'aurais une moins bonne connaissance de moi-même. Je n'aurais pas confiance en mes moyens.»

Père de famille, Marco ne sait pas s'il va en parler à ses enfants un jour. Peut-être lorsqu'ils seront adultes. Pas une journée ne se passe sans qu'il repense à cette journée fatidique. «Je ne peux pas oublier», dit-il. Un jour, il aimerait rencontrer la famille de sa victime pour présenter ses excuses.

* Son nom a été changé pour respecter son anonymat.