L'affaire a fait jaser les chroniqueurs mondains new-yorkais: en mai dernier, Charles et Bonnie Bronfman ont convié une centaine de leurs amis les plus intimes à trinquer à la fin de leur union matrimoniale. Avec l'apparition de «coachs de divorce», des partys de divorce, des guides de survie à l'intention des futurs ex-mariés, le divorce est en voie d'obtenir le statut de nouveau rite de passage.

De 2007 à 2010, Sarah Hampson a tenu la chronique «Generation Ex», dans les pages Life du Globe and Mail. Se retrouvant en solo au début de la quarantaine, après 18 ans de mariage, la journaliste et mère de trois fils a utilisé cette tribune pour explorer les nombreuses préoccupations de ses congénères qui, au mi-temps de la vie, se retrouvent libres comme l'air...

«Oui, je crois que le divorce est une forme de rite de passage», réfléchit Hampson, qui s'est nourrie de son expérience personnelle et des entrevues menées dans le cadre de sa chronique pour publier en 2010 un livre sur le divorce intitulé Happily Ever After Marriage.

De son avis «d'experte», quand le divorce devient un phénomène culturel qui investit la culture populaire - en témoignent des films comme It's Complicated - le tabou et la honte quittent la planète des divorcés.

«La fin d'un mariage s'accompagne souvent d'un sentiment de perte, d'un amenuisement de l'estime de soi. Mais nous vivons dans une société qui tend à redéfinir le sens du mariage et des relations en générale», estime la Torontoise qui en joignant le «club des ex» au début de la quarantaine, s'est retrouvée subitement entourée de gens qui vivaient la même transition qu'elle.

«Quand j'ai commencé à écrire cette chronique, j'étais renversée par tous ces gens qui vivaient des histoires similaires à la mienne.»

Du Huffington Post qui tient une section «divorce» - pour notamment scruter le dénouement du feuilleton Maria Shriver contre Arnold Schwarzenegger - aux programmes de métamorphoses pour celles qui réintègrent le «marché», le divorce n'est plus, aujourd'hui, sujet à la honte et l'opprobre. De plus en plus, on tend à considérer cette étape comme un second départ dans la vie.

Stéphanie Pétrement, une avocate et médiatrice accréditée en droit de la famille, a assisté à quelques «partys de divorce» au cours des derniers mois. Plusieurs de ces «jeunes divorcés» qui l'ont conviée à trinquer à la santé d'une nouvelle vie qui commence étaient soulagés et heureux d'avoir atteint les consentements et solutions qui leur convenaient.

«Le divorce est une procédure difficile émotivement. On entend souvent dire qu'il s'agit d'un des pires stress qu'une personne traversera dans sa vie. Pour certains de mes clients, qui sont venus me voir il y a deux ans, la fin du processus est un soulagement et ils veulent marquer le coup par une célébration.»

Le club des ex

Encore rarissimes sont les ex-époux qui, à l'instar du couple Bronfman, organisent un party de divorce conjoint où les amis lèvent leur verre à la mort d'un mariage et à la survie d'une belle amitié.

Stéphanie Pétrement témoigne que, de mémoire d'avocate, elle n'a encore pas entendu parler de partys où les ex-époux célébraient en tandem leur liberté retrouvée. Or, même une fête «séparée» se fait le plus souvent dans la bonne humeur.

«D'habitude, c'est très joyeux. Les gens arrivent avec de l'alcool ou des petits cadeaux. Souvent, il y a un petit buffet, du champagne, du vin, de la musique. Ça peut ressembler à un anniversaire», dit l'avocate, flattée chaque fois qu'elle reçoit une invitation pour de tels événements.

Le divorce comme nouveau rite de passage, est-il aussi une occasion en or pour entrepreneurs assoiffés, en quête d'un marché lucratif?

«Je suppose que cette mini industrie du divorce attire des prédateurs opportunistes, qui peuvent vous aider avec votre métamorphose ou organiser votre voyage d'aventurepost-divorce», note Sarah Hampson, qui a été invitée à lire des extraits de son livre dans des rencontres de «coaching pour divorcés».

«En constatant à quel point les gens qui se retrouvent dans ce genre de groupes partagent les mêmes peurs, la même rage, la même tristesse, j'ai compris que l'esprit de solidarité peut être fondamental pour quelqu'un qui vit un divorce. Parfois, même nos amis ou nos parents ne comprennent pas ce qui est vécu dans un tel événement. Divorcer d'une personne, c'est aussi la perte d'un «capital social», d'un réseau d'amis... Pour plusieurs personnes, c'est une réinvention totale de leur identité face à eux-mêmes et face au monde», évalue Sarah Hampson.

Les experts du divorce

Forte de son expérience personnelle du passage de femme mariée à quinquagénaire divorcée, la Montréalaise Marilyn Rackover a décidé, il y a huit ans, de mettre son savoir à contribution de ses semblables, en devenant «coach de divorce».

La pragmatique divorcée accompagne ses clientes - ce sont surtout des femmes, âgées en moyenne de 50 à 65 ans - dans leur transition vers la vie en solo. «Je les guide et les accompagne dans la gestion de leur budget. Plusieurs d'entre elles n'ont jamais payé un compte ou possédé une carte de crédit à leur nom», relate Mme Rackover qui, même si elle s'en tient aux aspects rationnels du divorce, garde toujours une boîte de Kleenex à côté de son bureau.

«Je comprends ce qu'elles vivent et toute l'émotion qui les submerge, pendant un divorce. Mais il est important qu'elles conservent la tête hors de l'eau et prennent leur destinée en mains. Certaines d'entre elles tiennent mordicus à conserver la maison familiale. J'essaie d'évaluer avec elles quel en sera le coût: auront-elles les moyens de refaire le toit dans cinq ans, par exemple?» évoque Marilyn Rackover, qui tient le stress de la vie contemporaine responsable du taux élevé de divorce en Amérique du Nord.

Enterrer le pire et retrouver le meilleur

Célébrations, blogues confessions, accompagnement budgétaire, renforcement positif, réflexion identitaire sur un tournant du milieu de la vie, le divorce est un moment particulier qui s'adapte à l'état d'esprit de chacun.

Sur le site internet du Club VIP, une entreprise qui se spécialise dans les enterrements de vie de garçon (et autres rituels festifs pour messieurs), on fait la promotion d'un «party de divorce gratuit, à l'achat d'un «bachelor party».»

«Tout comme votre mariage, cette offre ne durera pas éternellement», ironise cette publicité pour une soirée incluant notamment une tournée des clubs de nuit montréalais, un saut dans quelques bars de danseuses et un souper dans un resto chic.

Pour les divorcés qui sont plus littéraires et introspectifs que fêtards, les rayons de la librairie peuvent être un refuge tout aussi généreux en réconfort, surtout du côté anglophone.

Des titres comme On Your Own Again (Keith Anderson), Divorce is Not The End of The World (Zoe Stern), et évidemment le désormais classique Mange, prie, aime d'Elizabeth Gilbert, s'ajoutent aux nombreux blogues de divorcés sur le web.

«Nous vivons dans une époque de confession, où les gens sont très transparents et enclins à révéler leurs moindres sentiments et émotions», estime Sarah Hampson. La journaliste qui affirme que rien ne vaut un divorce pour «s'éclaircir l'esprit», reste pourtant en faveur de l'institution du mariage. Pour elle-même et pour les autres.

«Je connais des gens qui, après un divorce, ont été très heureux en solo et n'ont jamais voulu se remarier. Et si j'ai intitulé mon livre Happily Ever After Marriage, c'est parce que je suis convaincue que le divorce n'est pas la fin de la vie. Mes propres parents sont mariés depuis 60 ans et sont une magnifique source de stabilité pour mes frères et soeurs et moi, et pour leurs petits-enfants. Si je me remariais un jour? Oui, absolument, mais pas avec la même mentalité que quand j'avais 22 ans.»

***

Le divorce en chiffres

Selon la coach de divorce montréalaise Marilyn Rackover, les enfants des boomers sont mieux outillés pour affronter les contrecoups budgétaires de la fin d'un mariage. «Puisque dans plusieurs cas, les deux époux ont des emplois, les finances sont mieux partagées et chacun est impliqué dans la gestion du foyer.»

Si les jeunes risquent moins de divorcer que leurs parents, c'est parce qu'ils se marient moins: au Québec, en 2010, on a célébré 23 200 mariages (contre 45 000 en 1980).

La capitale des partys de divorce est Las Vegas: sur le site goingtovegas.com, on fait la promotion des partys de divorce typiques de La Mecque du jeu. Virée dans les clubs et bars d'effeuilleuses sont au menu de ces soirées chaudes.

Environ 15 500 couples québécois divorcent chaque année. Selon Statistique Canada, 48,8% des Québécois risquent de divorcer avant leur 30e anniversaire.