Il y a des propos qui sont plus durs (ou moins évidents) à entendre. À avaler. À digérer, surtout. Celui-ci en est un: vous, nous, tout le monde ou presque, finalement, sommes des dindes. Des dindes, vraiment? Entretien avec Pierre Fraser, auteur d'un brûlot sur la question du prêt-à-penser.

Notre bac de recyclage, nos sacs réutilisables, nos 30 minutes par jour d'exercice physique, notre consommation modérée de vin rouge, notre intérêt pour les petits fruits, les probiotiques aussi, et cette manière, surtout, qu'on a tous de recracher le lundi matin ce que nous avons entendu un expert affirmer la veille, à Tout le monde en parle, le prouvent hors de tout doute: nous sommes des dindes.

En fait, ce n'est pas moi qui le dis, mais bien Pierre Fraser, linguiste de profession et auteur d'un livre coup de gueule (pas à peu près): Dindification, développer son esprit critique dans le monde du prêt-à-penser, publié tout récemment aux Éditions Transcontinental. Le livre, qui contient son lot de phrases-chocs (où l'auteur compare entre autres l'«écologisme» à un véritable «catéchisme», une «foi verte», responsable de notre «écoculpabilité»), frappe sur tous ces «dindificateurs», les «gourous» et autres «experts autoproclamés» (écorchant au passage, en ce qui a trait à l'écologie toujours, Al Gore, David Suzuki, Steven Guilbault, même Laure Waridel), qui ont le don de nous «dindifier».

«Oui, c'est insultant», concède l'auteur, interviewé la semaine dernière, en riant. L'homme, qui ne réfute pas son côté «rabat-joie» un brin cinglant, est pourtant étonnamment sympathique. Alors qu'on s'attendait à débattre avec une grande gueule, on se retrouve à discuter poliment avec un homme finalement posé, réfléchi, mais non moins provocateur. «Être dindifié, résume-t-il, c'est ne pas exercer sa pensée critique, c'est croire toutes les formules prêtes à penser qu'on nous propose et adhérer massivement à un discours.»

Si l'exemple de l'«écologisme» revient certes souvent dans son livre (sur plus de 50 pages, en fait), la «foi verte» n'a pas le monopole de la dindification. Le discours entourant la santé, l'alimentation, la consommation, même les réseaux sociaux («soudainement, la technologie est venue nous rendre capables de partage et de transparence!») entraîne son lot de dindes.

 

Mais il faut dire que le discours entourant le réchauffement climatique est particulièrement omniprésent, socialement parlant. Sur plusieurs pages, Pierre Fraser en raconte d'ailleurs l'émergence (de 1945, avec Hiroshima et Nagasaki, en passant par les années 70, le premier Jour de la Terre, sans oublier les années 80, et l'apparition de reportages à tous crins sur la couche d'ozone). Du coup, tous les discours entourant l'écologie, que ce soit le recyclage, le compostage ou l'alimentation bio, «ont été subordonnés au réchauffement climatique». «Si on ne recycle pas, on contribue au réchauffement climatique! C'est une sursimplification de la chose, rien n'est noir ou blanc!» plaide-t-il.

«Moi, personnellement, je m'en contrebalance qu'il y ait réchauffement de la planète ou pas, ajoute-t-il. La question que je me pose, c'est: quel est l'impact sur nos vies lorsqu'on adhère massivement à un discours? Oui, on ne peut pas nier qu'il y ait réchauffement climatique, mais de là à en faire une religion et un système de valeurs? Car ce discours écologiste est un discours de l'interdiction, qui rappelle notre vieux fond judéo-chrétien.»

Et pourquoi nous laissons-nous ainsi «dindifier», selon lui? «C'est profondément ancré en nous, répond-il. L'être humain a une propension naturelle à s'en remettre à une vision du monde fabriquée par d'autres plutôt que d'exercer sa réflexion.» D'où le pouvoir des «dindificateurs», donc.

Solution? Car il y en a une. L'auteur suggère entre autres aux dindes voulant se dédindifier de toujours se méfier des consensus, d'exercer leur propre jugement, bref, de penser par elles-mêmes.

La bonne nouvelle (car il y en a une aussi!), c'est que si tout le monde le suit, le nouveau «dindificateur», ce sera l'auteur!

Dindification, développer son esprit critique dans le monde du prêt-à-penser, de Pierre Fraser, Éd. Transcontinental, 144 p., 22,95$

Dindification, développer son esprit critique dans le monde du prêt-à-penser, de Pierre Fraser.