Aujourd'hui, on la prend quotidiennement. Machinalement. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Loin de là. L'histoire de la pilule, c'est aussi l'histoire d'un combat. Un combat pour gagner la liberté de sa sexualité. Trois femmes, issues de trois générations, racontent leur expérience. Récit d'une petite pilule qui a fait bien du chemin.

3 femmes, 3 pilules

Elle avait 16 ans. Pas de petit copain. Pas encore, du moins. Mais une tête sur les épaules et, dedans, une idée bien arrêtée: le jour où elle rencontrerait quelqu'un, elle serait prête. Équipée. Tout, sauf prise au dépourvu. «Je n'avais aucune intention de tomber enceinte. Aucune envie de prendre ce risque. Alors dès que je me suis fait un copain, je suis allée voir l'infirmière de mon école secondaire, elle m'a donné un rendez-vous, posé quelques questions sur mon mode de vie et prescrit la pilule.»

 

Deux semaines plus tard, elle a eu sa première relation sexuelle.

Virginie Galvez-Cloutier a aujourd'hui 22 ans. Six ans plus tard, elle est toujours avec le même copain et prend toujours la pilule. Une pilule qui lui a tout de suite convenu. Jamais causé le moindre effet secondaire. «Si j'en ai parlé à mes parents à l'époque? Non. J'aurais pu. Mais je ne l'ai pas fait. Je n'avais pas envie de leur en parler. Je sentais qu'eux n'étaient pas prêts à entendre ça.» Bien sûr, quelques mois plus tard, quand sa relation est devenue plus sérieuse, elle a fini par le leur dire. «Ma mère était déçue que je ne lui ai rien dit, dit-elle. Mais mon père était satisfait de savoir que j'utilisais un moyen de contraception. Il m'a aussi rappelé d'utiliser le condom parce que la pilule, ça ne protège pas des MTS!»

Corinne a aujourd'hui 45 ans. Alors que la plupart de ses copines prenaient la pilule depuis des mois déjà, elle a attendu d'avoir 18 ans et un prétexte béton pour enfin oser parler à ses parents. Mais pas pour leur dire: «Bon, j'ai 18 ans et il est temps que je prenne la pilule.» Oh, que non! «Je n'aurais jamais osé dire ça à mon père», dit-elle. Non. Plutôt pour... régulariser ses menstruations, voyons! «Le sujet de la sexualité, je n'ai pas souvenir d'en avoir beaucoup parlé à la maison. En abordant la question de la pilule d'un point de vue médical, on n'a même pas parlé de sexualité.» D'ailleurs, elle n'avait pas encore de petit ami à l'époque, et elle avait véritablement besoin de régulariser son cycle menstruel. Une fois ses parents avisés («Je n'ai jamais pensé ne pas leur dire... oui, j'étais majeure, mais j'habitais chez eux»), elle a pris rendez-vous avec un gynécologue, toujours pour ce motif «médical». Le médecin ne lui a d'ailleurs pas parlé de sexualité et n'a même pas abordé la question du condom. C'était l'époque où les MTS, ça n'arrivait qu'aux autres, se souvient-elle. Résultat? Tout positif. «J'avais entendu dire que la pilule faisait grossir, alors on m'a prescrit une mini-pilule, et je n'ai eu aucun problème de poids. Et cela m'a beaucoup soulagée du côté de mes règles.» Elle a ainsi continué avec la même pilule de nombreuses années, avec une interruption pour chacune de ses deux grossesses.

«La pilule? Ça a été une grande libération. Un énorme changement. De toutes les conquêtes des femmes, je crois que c'est la meilleure.» Dominique Giovannetti en sait quelque chose. Aujourd'hui âgée de 65 ans, elle a connu les toutes premières pilules contraceptives. C'était dans les années 60. L'époque où Brigitte Bardot jouait les femmes fatales et où les bikinis ont commencé à régner sur toutes les plages. Une époque où, malgré cette apparente libération de la femme, il n'y avait encore que très peu de moyens de contraception. Pensez-y: «On attendait nos règles chaque mois avec angoisse.»

«Mon adolescence, mes 20 ans, je les ai vécus dans l'angoisse, en entendant des histoires épouvantables. J'ai une amie qui est morte à 18 ans des suites d'un avortement clandestin», laisse tomber Mme Giovannetti.

La pilule, fraîchement arrivée sur le marché, était très mal vue. Taboue. Celles qui la prenaient n'en disaient rien. «On disait que ça allait causer le cancer», se souvient la dame, qui vivait en France à l'époque. L'Église, qui y voyait une liberté démesurée pour la femme, était aussi «absolument contre».

Mais quel choix cela laissait-il aux femmes? «Autour de moi, les femmes avaient des bébés tous les 15 mois, l'une après l'autre. Je voyais l'épuisement des mères. Et financièrement, nous n'avions pas les moyens d'avoir un autre enfant», raconte celle qui, à 21 ans, encore étudiante, était déjà mariée et mère d'un enfant.

«Entre ça et tous les avortements clandestins, j'ai décidé de prendre quand même la pilule, tout en ayant l'impression de prendre un risque.»

Pour avoir droit à la pilule, en France, il fallait à l'époque être mariée et déjà mère, se souvient-elle. Fort heureusement, c'était son cas. Elle s'est donc rendue chez son médecin, qui lui a fait une ordonnance. Prendre la pilule n'était toutefois pas une mince affaire. «Très fortement dosée», elle avait des effets secondaires monstres, semblables aux symptômes des premiers mois d'une grossesse. «Et puis ça faisait grossir.»

«On payait sa liberté, résume-t-elle. Mais compte tenu de la liberté que ça m'a donné, je n'ai jamais regretté.»

Hormis une deuxième grossesse, planifiée, quatre ans plus tard, Dominique Giovannetti a pris la pilule sans arrêt jusqu'à sa ménopause.

 

Photo: Mathieu Bélanger, collaboration spéciale

Virginie Galvez-Cloutier