Octobre 2007. Un soir de spectacle, le comédien Stéphane E. Roy prend la route. De nuit, après avoir joué, il est visiblement fatigué. L'impensable se produit: il s'endort au volant.

Plusieurs tonneaux plus tard, et après avoir frôlé la mort, le «survivant», comme il se plaît à dire, mesure sa chance. «Si tu regardes les photos de mon char, tu te dis que c'est impossible que je m'en sois sorti vivant! Mon auto a l'air d'un raisin sec! raconte-t-il, attablé à un café de l'avenue du Mont-Royal. Quand tu as un accident, tu te poses toutes sortes de question: pourquoi ça m'est arrivé, pourquoi je m'en suis sorti?»

 

Des questions, après son accident, il s'en est posé beaucoup: est-ce normal qu'après, j'aie le goût faire le ménage de mes amitiés; est-ce normal, ce sentiment d'invincibilité qui m'habite; est-ce normal, tous ces phénomènes étranges qui entourent mon accident? Coincé dans sa voiture, le comédien et auteur a l'intense conviction de voir sa mère et sa grand-mère danser une ronde protectrice au-dessus de sa tête...

Chaque année, des dizaines de milliers de personnes sont victimes d'un accident de la route au Québec (plus de 44 000 en 2008). On parle très rarement de ces survivants, de ce qu'ils vivent, et comment. «L'auto est un objet tellement commun qu'on oublie le danger que peut représenter une masse de métal, qui roule à 100 km/h! se désole Stéphane E. Roy. Il faudrait que les gens prennent conscience du danger, de la fragilité de la personne au volant.»

C'est précisément pour combler ce manque, éveiller cette fragilité, et répondre à toutes ses interrogations existentielles que le comédien a décidé de rencontrer d'autres célèbres accidentés de la route, pour dresser des parallèles entre leurs expériences et la sienne: Gaston L'Heureux, Michel Jasmin, Benoît Gagnon, Babu, Annie Dufresne, Sophie Stanké, Karine Belly, Sylvain Larocque et Paule Baillargeon ont tous accepté de se livrer. Même le meilleur ami de Stéphane E. Roy, heurté par une voiture un soir où Stéphane, précisément, refuse de sortir avec lui. «C'est ta faute. Assume, Stéphane», dit-il encore à la blague...

À la lecture de ces entretiens, intimes, dérangeants, et souvent bouleversants, réunis dans Survivre, publié récemment chez Michel Brûlé, il semble évident que personne ne vit un accident de la route de la même manière. Le comédien Gaston L'Heureux (un ami l'avait imploré la veille de ne pas partir: «tu ne reviendras pas sur tes deux jambes»), a perdu l'usage de ses jambes. Il «n'accepte pas, mais vit avec». Quant à l'animateur Benoît Gagnon, malgré trois accidents, il demeure toujours aussi casse-cou («on n'a qu'une vie à vivre»). Sophie Stanké, elle, la fille du célèbre éditeur, est sans cesse inquiète («j'y ai laissé mon insouciance»). Alors que l'animateur Michel Jasmin, amputé après un violent accident, affirme qu'il avait «probablement besoin de cet accident-là» pour se trouver enfin!

Quelques similitudes ici et là, tout de même. Aussi paradoxal cela soit-il. «On dirait que l'accident est un passage salutaire pour ceux qui ont besoin de se remettre en question, analyse l'auteur. Le fait de s'arrêter t'éveille sur des petites choses du quotidien, dit-il. C'est propice à l'introspection.» L'animateur et amateur de Jackass Babu va même jusqu'à affirmer que l'accident «mentalement», il le revivrait. Revivre son accident mentalement? «Je suis une meilleure personne (...) J'ai vieilli de dix ans».

Parce que l'accident en force certains à prendre conscience de leur fragilité, de la futilité et de l'essentiel, Stéphane E. Roy, aussi, le revivrait, psychologiquement s'entend. Il souhaite même à tout le monde une telle «claque de la réalité»: «Cette claque vient nous remettre à notre place: c'est ici que ça se passe. Là. Dans l'instant. Notre société est tellement perdue que ça prend un accident pour réaliser ça.»

Survivre, propos recueillis par Stéphane E. Roy. Michel Brûlé, 2009.