Depuis quelques années, la lutte professionnelle féminine connaît un nouvel essor au Québec comme ailleurs. Oubliez le crêpage de chignon dans le Jell-O. Les lutteuses québécoises montent dans le ring pour se battre. La prise du cobra, le saut de la troisième corde et le marteau-pilon n'ont plus de secret pour elles.

Dans les coulisses, derrière le rideau bleu, une vingtaine des femmes s'habillent et se pomponnent. Des trousses de maquillage et des valises remplies de vêtements traînent ici et là sur les tables. En ce samedi soir, il règne une atmosphère bon enfant au Centre Saint-Barthélémy de Montréal. C'est le premier gala féminin de la NCW. À l'extérieur de la salle, des gens font la queue. Une centaine de spectateurs sont attendus.

 

«Ça fait une semaine que je ne dors pas, je suis trop nerveuse «, confie la menue Cynthia, 21 ans, en enfilant des bas résille roses. Son personnage Mary Lee Rose est une rock star et une bagarreuse de rue.» J'ai environ 40 costumes. Je passe mon stress dans le magasinage. «Sous sa robe moulante noire, elle porte deux soutien-gorge superposés. «Il ne faut pas que mes seins sortent», dit-elle, en se pressant la poitrine.

 

Photo: Mathieu Sage, collaboration spéciale

Deux lutteuses en pleine action

«Nous avons toutes le trac en ce moment, confie Véronique, 22 ans. On doit s'assurer de bien maîtriser nos prises et d'en mettre plein la vue, indique-t-elle. Avant de franchir le rideau, je tremble toujours comme une feuille. Après, j'entre dans mon personnage d'infirmière hystérique, je suis dans ma bulle.» Elle a déjà revêtu son costume d'Anastasia Ivy. Ne lui reste plus qu'à poser pour les photos officielles et pratiquer quelques prises avec sa rivale Jessica. Selon le scénario, elle subira une cuisante défaite. «Ça fait partie du jeu.»

«On associe à tort la lutte féminine aux « pitounes « aux seins gonflés à l'hélium qui se tirent les cheveux, déplore Geneviève, alias LuFisto. Dans les shows télévisés, on a longtemps projeté cette image, mais ça commence à changer. Certaines lutteuses sont aussi talentueuses que les hommes, sinon meilleures. Les filles aussi peuvent frapper fort.» 

Photo: Mathieu Sage, colalboration spéciale

Plusieurs lutteuses le font pour se défouler...

Ancienne culturiste, LuFisto est réputée pour sa variante spectaculaire du marteau-pilon.

Championne de lutte extrême au Mexique elle utilisait des punaises et des barbelés ! , la Montréalaise est connue autant au Japon qu'aux États-Unis et en Allemagne.

C'est elle la vedette de la soirée.Malgré les préjugés, les femmes commencent à intégrer les cours de lutte.

Elles sont aussi plus nombreuses à assister aux galas. Il leur est cependant difficile de percer. «Ça prend un moral d'acier, précise Geneviève, co-organisatrice de la soirée. Parce qu'on est des filles, on nous dit souvent qu'on n'a pas de place pour toi. Il faut tenir son bout et prouver qu'on peut donner un bon show.»

«Tu lutte dans ton lit ou dans le Jell-O ?» se fait constamment demander Jessica, 18 ans. «Personne ne me croit quand je dis que je lutte.»

 

 

Photo: Mathieu Sage, collaboration spéciale

Les lutteuses Misty Haven et MsChif

Actuellement, aucune Québécoise ne gagne sa croûte dans le ring.

Elles sont sexologue, designer multimédia, gérante d'épicerie, étudiante en soins infirmiers, employée chez Vidéotron, biologiste. «On arrive à peine à payer l'essence que coûte leur déplacement» admet Stéphane Bruyère, coorganisateur.

Aujourd'hui, certaines ont fait la route depuis Saguenay, Shawinigan et Thetford Mines.Pourquoi la lutte et pas le yoga ? «Parce que ça défoule !» lance Kim, 25 ans. De fort gabarit, elle a créé un personnage coloré et colérique : l'interprète russe Ana Minoushka.

Ses prises fétiches ? Le mur et le «splash». Elle s'étend sur sa rivale et l'étouffe par son poids. «Quand je me dirige vers le ring, je suis en transe. On travaille fort et notre récompense, c'est la réaction de la foule. Plus les spectateurs m'insultent, plus je suis contente.»

Photo: Mathieu Sage, collaboration spéciale

Parfois, ça devient néanmoins risqué. On lui a déjà lancé des cailloux, des bouchons de bière et de la gomme à mâcher. «On m'a déjà craché au visage», ajoute Cynthia.

L'appel du ring reste le plus fort. «On devient accro , dit Véronique. Pour l'adrénaline et pour les amitiés qu'on crée.» Elle a rencontré son copain grâce à la lutte. «C'est un mode de vie», résume Geneviève, avant de se retirer dans un coin pour répéter, les yeux fermés, les mouvements qu'elle effectuera contre Cheerleader Melissa.

Vers 19 h 30, les lumières s'allument et la musique démarre. C'est à Véronique et Jessica de briser la glace. Chaque spectateur est au bout de sa chaise pliante.

Au fil de la soirée, les filles se donneront corps et âme dans le ring. Corde à linge, saut de l'ange, prise du coude et descente de la jambe : tout y passera. «LuFisto ! LuFisto !» scandera la foule, en la voyant se battre avec fougue entre les câbles.

La soirée se terminera par une ovation. Pas tout à fait, dit Kim. «Même brûlées, on doit ensuite tout défaire et, c'est la tradition, on va manger chez Jarry Smoked Meat .» Demain, elles auront le corps couvert d'ecchymoses.

Pas de pitié sur le ring

N'embarque pas sur le ring qui veut. «Au-delà du sens du spectacle, ça prend des filles solides, en forme, qui savent garder leur concentration et anticiper les mouvements de leur rivale», indique Geneviève.

Pour se débrouiller convenablement entre les câbles, on parle d'un entraînement d'un an. «La lutte, c'est un travail d'acteur et de cascadeur. On apprend à ménager nos articulations et à vivre avec le mal. Il faut savoir tomber et s'endurcir.»

«Si on atterrit mal, ça peut être fatal, dit Véronique. Avant chaque match, on s'assure d'être à l'aise avec les prises. Il y a une grande part d'improvisation. On ajoute de la viande autour de l'os en respectant nos limites.»

Les accidents sont malgré tout monnaie courante. Toutes parlent de leurs blessures avec un brin de fierté. «Je me suis fait décrocher la mâchoire», confie Jessica. Véronique a «vu 36 chandelles quand une lutteuse de 200 livres a sauté sur sa tête» . Kim s'est fracturé le coude. «J'ai lutté le bras dans le plâtre.»

Le corps de Geneviève, 29 ans, est particulièrement usé. «J'ai eu de nombreuses fractures : le poignet, la cheville, deux côtes et cinq fois le nez. J'ai un genou fini et j'ai eu trois hernies discales. Je lutte avec un coussin de gel pour protéger ma colonne.» Son médecin la supplie d'arrêter. «J'ai trop de plaisir. Tant que la santé me le permettra, je continuerai.»

Photo: Mathieu Sage, collaboration spéciale

Des lutteuses avant le combat