Figure architecturale emblématique de la ville de Québec, élément incontournable de sa silhouette et de sa superbe, le Château Frontenac manquait jusqu'à tout récemment d'une table à sa mesure.

Le Champlain, son restaurant principal, proposait un menu hors de prix pour des plats simplement corrects. Les espaces avaient furieusement besoin d'être dépoussiérés. Et le sentiment lorsqu'on y entrait n'avait rien de glamour. On y plongeait dans une autre époque. Celle trop jeune pour être pittoresque et trop vieille pour donner envie d'y retourner.

Consciente de tout cela, la direction de l'hôtel a décidé l'an dernier de faire faire un grand virage à son bateau amiral. D'immenses rénovations ont été entreprises. L'équipe en cuisine a été changée.

Nous voilà donc avec un Champlain nouveau, réinventé sans révolution ni faux pas. On s'y retrouve, on s'y reconnaît. Mais tout a été rafraîchi. La décoration, le menu, la cave...

Les cuisines sont maintenant sous la houlette du jeune chef Stéphane Modat, jadis connu à l'Utopie, un restaurant  du quartier Saint-Roch fermé depuis, où il proposait des plats architecturaux, déconstruits, aux combinaisons de saveurs inédites.

Depuis, Modat, qui est originaire de Perpignan, aux confins de la France, à la porte de l'Espagne, s'est créé un style encore plus éclaté en travaillant avec le sommelier François Chartier. Chartier décortique les vins et les ingrédients en identifiant des molécules aromatiques, trouve des parentés entre des produits aux antipodes - asperges et framboises, menthe et sauvignon blanc - propose des agencements inusités. Modat, lui, regarde tout ça et cuisine. Ensemble, ils ont publié des livres, fait de la télé.

Pas étonnant, donc, que le projet du Château Frontenac s'associe aussi avec François Chartier, qui a développé une nouvelle spécialité: il met maintenant en marché des vins qui portent son nom et dont on sait d'entrée de jeu avec quels types de plats ils vont s'harmoniser.

Une des options du nouveau menu est d'ailleurs bâtie autour d'un des vins de Chartier. Plutôt que d'harmoniser trois vins avec trois plats, on propose une demi-bouteille de Fronsac - surtout à base de merlot - et Modat arrive ensuite avec trois plats qui lui conviennent. Des arancinis - croquettes de riz - en version québécoise, donc à base de riz sauvage. Ensuite, du magret de canard grillé, puis un financier aux amandes.

Finalement, on peut dire que le vin accompagne joliment les trois créations, mais dommage qu'aucune n'éclate en bouche. Des trois, ce sont les croquettes de riz qui sont les plus savoureuses. On découvre les champignons fumés, la pommade de poivrons rouges, le goût poivré des feuilles de moutarde et si on va chercher les petits coups de fouet nets de l'huile épicée, on se construit effectivement des bouchées ravissantes.

L'assiette de canard grillé est plus classique. La viande est servie bien rouge, bien juteuse. Mais les asperges rôties, la crème de panais au jus de volaille et le gel de betteraves rouges, avec en extra une petite poudre de mûres sauvages - qu'on goûte à peine tellement c'est discret - en font un plat davantage de fin d'hiver que d'été. Des asperges en juillet? Et pourquoi tant d'ingrédients si on peine à les assembler sur la fourchette? L'exercice d'harmonisation est intéressant mais les bouchées où toutes les saveurs sont effectivement réunies pour le plein effet sont rares. L'exercice n'est pas suffisamment convivial.

On se surprend à manger tout simplement le canard avec un peu de délicieuse purée bien riche et à se dire que c'est très bon quand on ne se complique pas trop la vie.

L'amuse-bouche, une brandade d'aiglefin avec purée de courge musquée, pesto de roquette et paprika fumé relève mieux le pari de la complexité, car la bouchée est si petite qu'on ne peut que tout goûter ensemble. Un petit bijou crémeux qui disparaît en bouche en laissant une jolie traînée d'arômes.

De l'autre côté de la table, j'ai choisi à la carte des plats qui s'harmonisaient à du vin blanc, en commençant par un des plats dits «signature» au menu, soit un chaud-froid de homard à la noix de coco, avec pacanes au sel, ketchup de betteraves jaunes, tapioca soufflé à l'amande, jambon séché et cressonnettes. Devant des ingrédients aussi disparates, connaissant Modat, je me suis dit qu'il y aurait sûrement un vin d'accord déjà tout près. On m'a proposé un pinot gris alsacien de la maison Pfaffenheim, figure archiconnue des listes de vins au verre. J'avoue que je m'attendais à une suggestion plus «décoiffante», pour reprendre un joli terme prisé de Chartier.

Au-delà du vin, ce plat est déconcertant.

D'abord, j'ai cherché en vain le chaud du chaud-froid.

Ensuite, la glace au coco dont on enduit parfaitement le homard - belle technique -remplace joliment la classique mayonnaise, mais encore une fois, la construction de bouchées réunissant les multiples saveurs hétéroclites ne va pas de soi, car les textures s'y prêtent difficilement. On se dit que la présentation pourrait être plus propice à la convergence des arômes et des textures.

Le second plat, pour lequel on revient au blanc de Chartier - assemblage chardonnay-grenache -, est mille fois plus réussi, voire carrément exquis. Le pavé de truite arc-en-ciel de Charlevoix fond dans la bouche, doucement, très doucement rôti, moelleux comme de la crème. On l'accompagne de chutney de tomates pas mûres à la coriandre, de shiitakes coupés en dés miniatures - un salpicon -, de riz sauvage soufflé, mais surtout d'oignons verts braisés au beurre et d'huile d'estragon. Le légume apporte fraîcheur et tonus au plat, et l'huile d'estragon, une toute petite touche anisée. Bravo.

Au dessert, le menu accord avec le Fronsac propose un financier au sésame grillé, donc à base de poudre d'amande, avec mousse, sorbet et éclats de framboises, le tout ponctué de quelques feuilles de menthe cristallisées. On comprend comment on a voulu faire l'accord avec les notes de fruits rouges du vin, mais le dessert, mis à part, est presque trop discret, comme si on avait voulu laisser la belle place au cru.

Le dessert qui décline le sirop d'érable en sept textures - gelée, nougat, glace, crème, chocolat, tuile, pistaches caramélisées à l'érable et éponge - manque lui aussi de force de saveur, comme si on voulait rester tout en réserve, en retenue. Techniquement, les textures sont  habilement déclinées, mais le goût de l'érable, la force du sucre aromatisée, se sent peu.

Bref, un autre plat peut-être pas encore abouti, mais très bien lancé.

On reviendra goûter à tout ça dans un an pour voir où on en est.

Photo Erick Labbé, Le Soleil

Champlain

Château Frontenac, Québec

418 692-3861

Prix: Menus à trois, cinq ou sept services, entre 88$ (avec 1/2 bouteille de vin) et 125$. Sinon à la carte, entrées de 13$ à 27$ et plats entre 27$ et 42$. Desserts entre 12$ et 15$.

Carte de vins: Très diversifiée, beaucoup de trouvailles du Nouveau Monde, plusieurs bouteilles abordables et vins de Chartier, évidemment.

Service: Nous avions un jeune nouveau à notre table, très attentionné. Quelques lacunes compréhensibles, notamment pour les conseils en vin.

Décor: Il a été refait sans que l'esprit traditionnel du restaurant  change. On retrouvera donc tissus chatoyants, velours, mais tout est rafraîchi. Les fauteuils sont hyper confortables, presque trop, on s'enfonce. Peut-être que des petits coussins supplémentaires pour les plus petites seraient utiles. On a fait faire une immense sculpture en trois dimensions du Saint-Laurent, accrochée au plafond du couloir principal.

(+) La cuisine, le décor, tout est rafraîchi et on sent la volonté de tenir un restaurant créatif, de grande classe, attirant autant pour les touristes que pour les locaux.

(-) La cuisine n'est pas encore parfaitement aboutie ni suffisamment précise, notamment pour la force des saveurs.

On y retourne? Absolument, car il y a là un potentiel remarquable. Hâte de voir où on en sera dans un an.