Il y a quelques années, j'ai acheté un livre de cuisine dont je n'ai jamais fait la moindre recette, mais que je continue de trouver magnifique. Un livre intitulé Living and Eating et signé notamment par John Pawson. Pawson n'a pourtant rien d'un chef. C'est un architecte. Britannique, il est le roi du minimalisme, de l'espace vide, de la ligne pure de chez pure.

Mais Pawson aime manger. Il a dessiné des articles de cuisine: casseroles et couverts. Et il a choisi d'associer son art à celui de la table. Il n'est pas le premier. Ce sont des architectes, le Milanais Aldo Rossi et l'Américain Michael Graves, qui ont par exemple dessiné deux des objets de cuisine les plus célèbres du fabricant Alessi: la cafetière avec dôme et la bouilloire conique.

Je ne fais qu'effleurer le sujet. Cuisine et architecture ont toujours marché main dans la main. Pour certains restaurants, cela fait partie de leur ADN. Le meilleur restaurant du monde, le Celler de Can Roca, à Girone, est devenu l'institution qu'il est le jour où il s'est transformé architecturalement avec son pavillon vitré et sa cour intérieure. L'Eleven Madison Park, à New York, s'impose dès qu'on y met les pieds. L'enceinte, avec ses plafonds de 25 pi, fait pratiquement partie du menu.

Bref, il ne manquait plus que des architectes deviennent restaurateurs. À Montréal, c'est maintenant fait.

Cet été, Marc-André Vallée et Chantal Paradis, de l'agence D3 Architecture, ont décidé d'ouvrir leur propre restaurant avec le chef Dany Bolduc, autrefois au Réservoir. Leur H4C - début du code postal du quartier - est installé sur la place Saint-Henri, en face du métro.

Le style des lieux n'a rien du minimalisme à la Pawson, mais s'inspire plutôt d'un certain esprit bistro tout en affichant un parti pris clair pour l'espace, la lumière. Sans être trop léché au point d'en être froid, l'espace est soigné, de façon moderne, avec juste assez de référence à l'âge du bâtiment, ancienne banque.

Dans l'assiette, la cuisine est dans cet esprit. Professionnelle. Soignée. Tout en demeurant accessible. L'approche est très actuelle, mais à côté du quinoa et du kale - adorables ingrédients très à la mode en ce moment -, il y a aussi du beurre dans les sauces et du caramel dans les desserts. Et ceux qui font actuellement - comme moi - une surdose de marinades fermentées, de café à peine torréfié, de desserts aux algues et de vins naturels seront heureux.

Prenez par exemple l'entrée de quinoa, servie avec toutes sortes de racines. On a fait cuire le grain dans du bouillon de poulet qui lui donne une certaine profondeur, du gras, et le plat qui aurait pu être austère ne l'est pas. Les racines sont apprêtées différemment, certaines braisées, d'autres vapeur. Il y a de jolies carottes de différentes couleurs, des rabioles toutes blanches, du cerfeuil tubéreux. Un peu de parmesan. Un hommage à l'automne accentué par une touche de pommade de carottes très fine, crémeuse, peut-être un peu compliqué avec ses nombreux ingrédients, mais néanmoins fort agréable.

Le poulpe, de son côté, a passé du temps sous vide et s'est abandonné. Il est fondant, gentiment acidulé par une laque à la pomme grenade, et accompagné en contrepoint d'artichauts et de quelques morceaux de poivrons grillés. On prend chaque bouchée avec une crème de fenouil. Soulignons au passage ces gnocchis confectionnés entièrement de pommes de terre, un détail qui plaira à ceux qui fuient le gluten (notez qu'on sert aussi du pain au kamut). Là encore, était-ce nécessaire de combiner autant d'éléments? Peut-être pas.

En plat principal, le magret de canard est servi très saignant, avec un bon couteau à grillade, et une sauce demi-glace classique. Du bonheur pur pour les carnivores vieille école, surtout qu'on accentue le côté bien boisé, bien terre, bien automnal du plat par des girolles ainsi que de la purée et des chips - craquants, adorables - de topinambour.

Le plat de flétan est plus léger, cuit doucement, et on le retrouve avec du kale juste assez vert et frais, ainsi que des pieds de mouton, un champignon à la texture ferme, et une sauce au jaune d'oeuf et au raifort pour un petit peu de zeste. Les morceaux s'emboîtent bien, se complètent.

Les desserts, que l'on déguste avec un café du microtorréfacteur Saint-Henri - à deux pas -, sont très recherchés aussi. Il y a, par exemple, une panna cotta servie avec de la meringue croquante au carvi, mais surtout en compagnie de gelée et de mousse glacée aux raisins Concord, ces petits raisins bleus très parfumés.

Et le dessert au chocolat est une composition de mousse et de pommade au chocolat, de gelée d'airelles, de nougatine, de glace au caramel... Chaque élément est assez bien fait, voire franchement délicieux - j'ai adoré la glace au caramel -, mais se perd un peu dans tout le reste. Là comme ailleurs, peut-être faudrait-il épurer un peu l'assiette pour mieux mettre en valeur ses meilleurs éléments.

H4C

538, place Saint-Henri, Montréal

514-316-7234

www.leh4c.com

Prix: Les plats sont de taille relativement uniforme, on peut les combiner comme on veut, en entrée ou en plats principaux. Les prix vont de 11$ à 24$. Desserts: 9 à 13$.

Carte de vins: Carte intéressante surtout de petits producteurs, avec plusieurs crus abordables, principalement de européens mais aussi quelques bouteilles du Nouveau Monde, incluant du Québec.

Service: Sympathique et efficace.

Lieu: Une des grandes qualités de ce restaurant, c'est cet espace ouvert, juste assez dégagé pour être aéré, pas trop pour ne pas perdre sa chaleur. On sent le soin de l'aménagement dans chaque détail, de l'escalier qui descend aux toilettes jusqu'au bar, jusqu'aux fenêtres, jusqu'à chaque élément d'éclairage. Un lieu de qualité magnifique vu de l'extérieur aussi avec son horloge et ses murs de pierre. Et on adore la proximité du métro.

Atmosphère: Ce restaurant offre de la cuisine recherchée, mais l'ambiance n'a rien de guindé. On est au coeur du nouveau Saint-Henri, celui qui se transforme, s'embourgeoise diront certains, se diversifient surtout, avec tous les professionnels qui habitent le quartier et fréquentent le marché Atwater.

Niveau de bruit: Élevé mais gérable.

(+) Belle atmosphère, cuisine fort sympathique, prix raisonnables.

(-) Parfois trop d'ingrédients dans l'assiette.

On y retourne? Oui, c'est sûr.

Photo Bernard Brault, La Presse

La cave à vin du H4C, qui occupe les locaux d'une ancienne banque, a été aménagée dans l'ancienne voûte.