L'année 2018 a été bien des choses. Et elle a notamment été, disons-le, l'année des discussions sur l'appropriation culturelle dans le monde des arts.

En 2018, on ne peut donc plus ne pas y réfléchir. Et ne pas se poser des questions, y compris dans le monde de la cuisine et des restaurants.

Parce que pendant que des artistes sont mis sur la sellette, des industriels mettent en place des chaînes de restaurants qui s'approprient totalement des cultures culinaires qui ne sont pas les leurs et les mettent en marché pour faire sonner le tiroir-caisse. Est-ce acceptable de vendre ainsi parfois n'importe comment des sushis, des pad thaï, des tacos...? Et où trace-t-on la ligne entre ces gens d'affaires et les artisans qui, eux, veulent embrasser une culture qui n'est pas la leur, mais dont ils sont tombés amoureux et qui veulent la faire connaître méticuleusement, professionnellement, respectueusement? Est-ce aussi de l'appropriation culturelle quand même?

Je me suis posé la question quand je suis tombée sous le charme du formidable Super Qualité - où des non-Indiens cuisinent indien dans Rosemont - et plus récemment chez Pumpui, un excellent petit restaurant absolument sans prétention de la Petite Italie, où des non-Thaïlandais proposent de la cuisine thaïlandaise particulièrement bien préparée.

L'établissement a été lancé l'an dernier par Jesse Mulder, un chef autodidacte originaire de l'Alberta qui a passé beaucoup de temps en Thaïlande à s'imbiber de la culture et de la langue qu'il parle maintenant couramment. Amoureux du pays, il a appris la cuisine sur place, dans des familles et aussi en faisant un stage de quelques semaines au Nahm, star des tables thaïlandaises tenue jusqu'à tout récemment par un... Australien, David Thompson, depuis repris par la formidable Pim Techamuanvivit.

Dans la cuisine de la rue Saint-Zotique Est, j'ai posé la question, il n'y a pas de cuisinier thaïlandais. Mais il y a toute une équipe diversifiée qui cherche à rendre hommage aux traditions grandioses de la cuisine de Thaïlande.

Sobriété

D'abord, le lieu se décrit rapidement en quatre mots: pas de gros budget. Des images thaïlandaises rétro décorent les murs de tuiles blanches, accrochées sommairement. De jolies banquettes de bois et des lampes de métal suspendues donnent à l'espace une ambiance de casse-croûte de bord de route, ce qui est tout à fait dans l'esprit de cette Thaïlande où la richesse des saveurs de la cuisine s'exprime partout, en commençant par les comptoirs de centres commerciaux et les troquets anonymes.

Pour le repas, on propose des plats minute et des currys mijotés, donc préparés à l'avance, placés sur le comptoir, prêts à manger. Ce n'est pas nécessairement élégant, mais chaque bouchée est un festival de gingembre frais, de lait de coco, de citronnelle, de basilic en grosses feuilles charnues, du curry panang, avec boeuf émincé, au curry végétarien à l'aubergine avec tofu frit.

Mes préférés? Le curry Tae Po, ici un curry vert préparé avec des morceaux de flanc de porc et des liserons d'eau, tiges très vertes que l'on décline aussi dans un plat sauté au wok avec du porc haché, particulièrement charmant et dépaysant.

Ici, on n'essaie pas de faire de compromis pour plaire aux palais délicats, notamment face au piment. On embrasse le piquant, les épices qui explosent de partout en brûlant mais en apportant de la poésie, on aime aussi les goûts profonds de la sauce au poisson ou du tamarin.

La salade de papaye verte? Elle fouette la bouche mais avec joie et complexité de textures et de fraîcheurs, merci aux haricots verts, aux carottes, à la lime, aux tomates cerises, sous une montagne de cacahuètes.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Des images thaïlandaises rétro décorent les murs de tuiles blanches, accrochées sommairement.

Pumpui n'est pas uniquement un restaurant, c'est aussi une épicerie où l'on peut acheter certains des ingrédients-clés de la cuisine thaïlandaise. On y vend aussi de la bière québécoise de microbrasserie - qu'on ne peut pas boire sur place -, ainsi que des boissons fraîches importées et locales, comme du kombucha. Mais les meilleurs drinks sont ceux offerts au comptoir, comme le kombucha au curry - juste assez parfumé et pas trop vinaigré - , la limonade au café et le thé glacé à l'hibiscus. C'est parfois baroque, toujours réussi. Dépaysant. Comme un voyage au pays d'une de mes chefs préférées, Bo Songvisava, de Bo.Lan à Bankgok.

Donc que répondre à la question du début? Je crois que j'aimerais en parler avec elle. Parce que dans le fond, ce sont les Thaïlandais d'ici et d'ailleurs que je veux surtout entendre sur la question.

Pumpui. 83, rue Saint-Zotique Est, Montréal, QC H2S 1K7. 514 379-3024. https://www.pumpui.ca/

Notre verdict

Prix: plats à partager de 4 $ à 19,50 $.

Carte de vin: il n'y en a pas. On boit du thé glacé exotique, de l'eau de coco, du kombucha...

Service: On commande au comptoir et on vient nous porter ça à table.

Aménagement et ambiance: Troquet tout simple, sans prétention aucune, avec des banquettes, un comptoir où manger debout, une trame sonore plutôt années 80, 90... Des gens du quartier, plus milléniaux que X ou boomers, venus bien manger des plats qui goûtent comme les voyages et le soleil, mais sans s'attarder.

Plus: la qualité de la cuisine

Moins: dommage qu'on ne puisse pas boire de bière

On y retourne? Oui



Photo Martin Chamberland, La Presse

De jolies banquettes de bois et des lampes de métal suspendues donnent à l'espace une ambiance de casse-croûte.