En cette saison morose où les arbres ont perdu leurs feuilles et les marchés publics, la plupart de leurs maraîchers, il est bon de se faire rappeler que nos latitudes ont bien davantage à offrir qu'une explosion de couleurs passagère suivie d'une longue période de désolation. Le restaurant Légende en fait la démonstration à Québec.

Boréal. Le terme désignant notre territoire septentrional est à la mode, tout comme ses produits. Le thé du Labrador est devenu une ressource sous pression, signalait récemment Radio-Canada. Rien d'étonnant. Pour des palais curieux comme ceux des Québécois, qui ont exploré les cuisines du monde avec autant d'enthousiasme, aller à la rencontre des ingrédients locaux est une aventure au moins aussi emballante - davantage même - puisque porteuse d'un supplément d'âme. Et cette (re)découverte, nous la devons beaucoup à des chefs qui jouent les éclaireurs et les passeurs. C'est la voie que Frédéric Laplante continue à tracer chez Légende, après avoir été encensé à La Tanière.

«Des produits exotiques comme l'huile d'olive, le poivre, le citron, le chocolat, on n'en a pas», prévient d'emblée notre serveur. C'est digne de mention. Mais plus encore que l'effort de travailler sans ces ingrédients, c'est celui qu'on met à nous en faire découvrir d'autres qui est intéressant ici. Je ne peux pas vous dire que les éclats du fruit du noyer noir sur l'assiette d'endives faisaient mille fois plus pour ce plat que des noix de Grenoble. Ni que le lichen sucré puis déshydraté servi dans un dessert était plus croustillant que tout ce que la pâtisserie ait jamais inventé. Sauf que la découverte ajoute au plaisir et contribue à en faire une véritable expérience.

Ce plaisir de la découverte, la cuisine ne l'offre pas seulement dans le choix, mais dans le traitement des produits.

La langue de bison cuite sous vide durant deux jours est incroyablement fondante. Et que les palais moins aventureux se rassurent, il y en a pour tous les goûts. Le pavé de doré des Grands Lacs saisi à point qui nous est arrivé dans une nage délicate avec une jolie ratatouille automnale est une composition tout ce qu'il y a de plus classique. La mousse de foie de pintade servie avec des grains soufflés, de la purée de citrouille et des fragments de cheddar est si engageante qu'on la mangerait à la cuiller. Et la mousse au Bleu d'Élizabeth aérienne, striée d'un trait de caramel d'argousier et accompagnée de feuilles d'endives rouges et blanches, crues et braisées, est une version tout en finesse de la fameuse salade d'endives au bleu.

C'est un aperçu, puisque le menu change régulièrement. Nous nous sommes régalés au printemps d'une assiette de charcuterie fabuleuse dont nous n'avons retrouvé aucune trace lors de notre récent passage. 

Tout n'est cependant pas aussi convaincant. Les quatre disques de boudin blanc de lapin étaient bien saisis, mais aussi bien seuls sur leur plaque en fonte. La poêlée de rattes, les rubans de carotte rouge et l'oeuf coulant côtoyaient ce boudin plus qu'ils ne l'accompagnaient, sans lui donner d'élan ni de contraste. 

Et la cuisine est parfois un peu excessive dans sa quête boréale. Va pour le pain maison au cèdre, que son parfum résineux empêche d'engloutir trop rapidement. L'intensité du cèdre dans la mousse d'un des desserts, et celle du thym dans les tuiles d'un autre, par contre, tenaient plus de la bravade que de l'harmonie des saveurs. 

Dans l'ensemble, toutefois, cette cuisine de Légende réserve beaucoup plus de belles surprises qu'autre chose. Les desserts, dont la description et la présentation éclatée peuvent être déroutantes pour les amateurs de pâtisserie classique, se révèlent particulièrement inventifs dans l'assiette. Une mention spéciale pour la glace au panais, dont le nom on ne peut moins racoleur cache bien les charmes. 

Restaurant Légende. 255, rue Saint-Paul, Québec. 418 614-2555. https://restaurantlegende.com/

PHOTO JEAN-MARIE VILLENEUVE, LE SOLEIL

Le restaurant Légende est campé dans un très bel espace aéré où on a réussi à créer une ambiance à la fois chaleureuse et raffinée.

Notre verdict

Prix: Le prix des assiettes, dont la portion oscille entre celle d'une entrée et celle d'un plat principal, va de 15 $ à 24 $ et celui des desserts, de 12 $ à 14 $. Menu dégustation cinq services à 79 $.

Carte des vins: Élaborée, avec un effort particulier du côté du Québec et de l'Ontario. Audacieux cocktails à base d'ingrédients locaux. 

Service: Sympathique et enthousiaste

Décor et ambiance: Très bel espace aéré où, en quelques détails évocateurs (pompes à bière coiffées de bois de cervidés, troncs dépouillés de leur écorce), on a réussi à créer une ambiance chaleureuse et raffinée.

Plus: Une cuisine inventive qui exploite les techniques modernes pour nous faire découvrir tout le potentiel des produits d'ici. 

Moins: Un usage parfois trop enthousiaste des saveurs résineuses. Un service pas toujours au fait des ingrédients - une cuisine aussi unique mérite que l'information permettant de l'apprécier se rende à table. 

On y retourne? C'est fait.

PHOTO JEAN-MARIE VILLENEUVE, LE SOLEIL