Nos critiques gastronomiques profitent de l'été pour revisiter des établissements qui ont traversé l'épreuve du temps et qui sont même considérés comme des classiques de la restauration montréalaise. Cette semaine, le Leméac.

L'avenue Laurier Ouest est connue pour ses restaurants depuis très, très longtemps. Il y a eu, évidemment, la célèbre Rôtisserie Laurier, aujourd'hui défunte, qui en a fait une artère incontournable du poulet grillé pendant des décennies. Il y a eu jadis le Café Laurier, où se retrouvait le beau monde. Et vous rappelez-vous Tarte Julie? Il y a eu La Lucarne, devenue Chez Levêque, et maintenant, on compte aussi Pagliaccio, incontournable de la cuisine italienne traditionnelle dans un environnement feutré avec service impeccable.

Et parmi tout ça, avec les années, s'est imposée une autre table classique, le Leméac.

Ouvert en 2001 par Émile Saine, le restaurateur qui avait jadis fondé le Spaghettata, restaurant phare des années 80, et par le chef Richard Bastien, qu'on connaissait du Mitoyen à Laval et au Café des Beaux-Arts, le Leméac tient son nom de la maison d'édition installée à une autre époque exactement à cet endroit avenue Laurier.

Dès son ouverture, tout a été mis en place pour que l'établissement traverse le temps. D'abord le choix du lieu, ensuite le menu de brasserie française, plutôt classique, mais toujours interprété avec un certain modernisme. Ensuite, l'aménagement signé feu Luc Laporte, l'architecte qui a aussi créé L'Express, le Laloux, Le Valois, la boutique Arthur Quentin, autant d'espaces intemporels.

La carte des vins a aussi toujours fait partie des grandes valeurs sûres de la maison et, parfois, j'ai l'impression que c'est encore hier que son sommelier s'entraînait pour des concours internationaux. Le Leméac a cet effet. On n'y voit pas les années passer. Il ne change simplement pas. Ou s'il change, c'est justement pour que le temps qui avance ne paraisse pas.

À ce temps-ci de l'année, la grande qualité du restaurant est sa terrasse, vaste et bien abritée, qui permet de profiter de la douceur du quartier - je suis convaincue qu'Outremont est si béni des dieux qu'il y fait moins étouffant qu'ailleurs - en pleines chaleurs de juillet.

Au menu, les classiques côtoient les classiques.

Le gaspacho aux deux tomates - jaunes et rouges -, par exemple, est là depuis toujours, une soupe froide très simple de tomates concassées, à peine épicée, sans trop d'ail ni d'oignon, garnie d'une microtouche de ratatouille. Est-ce qu'on aurait pu apporter quelques petites garnitures, comme le veut la présentation traditionnelle: croûtons, oeufs durs et concombre? Peut-être. Mais si l'idée est simplement de se rafraîchir et de s'ouvrir l'appétit, le plat est impeccable.

L'assiette de calamars aux zucchinis? Un peu moins élégante. Beaucoup de balsamique, mais peu de structure. Des céphalopodes cuits tendrement, mais un peu fades. Un plat généreux, par contre, pour ceux qui ont très faim.

Si on tient à manger des fruits de mer, on peut opter pour le crab cake, une croquette de chair du crustacé, légèrement frite, bien équilibrée, juste assez riche sans être lourde, servie avec une sauce gribiche, donc une mayonnaise émulsionnée au jaune d'oeuf cuit, préparée avec des câpres. On apporte un peu de fraîcheur avec du concombre en julienne. Un joli plat d'été qui donne des airs de vacances au repas.

Autre entrée estivale sympathique et classique: le tartare de boeuf. Voilà un plat de la maison qu'on peut commander les yeux fermés, parfaitement mis au point pour être juste assez gras, juste assez relevé. Et en plat principal, le tartare de saumon classique - sans huile de truffe - comble lui aussi les attentes. (Pour l'huile de truffe, je comprends que bien des gens aiment ça, mais quand on réalise que c'est nécessairement un parfum synthétique, on déchante, non?)

Il est important de se rappeler toutefois que tous les classiques ne conviennent pas nécessairement à la saison, désavantage de ce type de menu rendez-vous, qui bouge peu. Les raviolis, par exemple, qu'on prépare avec un fond de viande bien corsé et des champignons, manquaient de fraîcheur et de légèreté. Mets trop automnal, trop sérieux, malgré les noix de pin et la roquette.

Le plat qui a volé la vedette était plutôt celui de pétoncles, tout simplement poêlés, impeccablement frais et juste assez délicatement cuits, servis avec un écrasé de pommes de terre rattes. Un autre plat classique qui plaît à tous.

Pour le dessert, tout le monde s'est réfugié dans le pain perdu, qu'on sert avec une glace au dulce de leche et du caramel à l'érable, même si, honnêtement, j'aurais préféré un petit bol de fraises à la crème, en saison. Mais ce plat hyper sucré, caramélisé et moelleux, pas du tout été, pas du tout léger, n'en était pas moins délicieux, riche, roboratif. Un classique facile à aimer, à l'image de l'expérience.

Leméac. 1045, avenue Laurier Ouest, Montréal. 514 270-0999. restaurantlemeac.com

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le menu de brasserie française, plutôt classique, est toujours interprété avec un certain modernisme

Notre verdict

Prix: entrées entre 9 $ et 26 $, plats entre 23 $ et 54 $. Desserts de 9 $ à 14 $. Menu à 25 $ après 22 h.

Carte des vins: très bien montée, avec une prédominance de vins français, dont les grands classiques et quelques trouvailles. Belle sélection de vins au verre.

Service: professionnel, efficace.

Espace: le restaurant n'a pas pris une ride depuis son ouverture, avec ses nappes blanches, son long bar, ses miroirs et son style très bistro français chic. Il a été mis à jour ici et là quelques fois, mais rien pour défaire l'allure conçue par feu Luc Laporte en 2001. On aime notamment l'élégant plancher de pierres et la grande terrasse.

Faune: à partir de 22 h, la clientèle rajeunit. Sinon, on y retrouve beaucoup de gens des beaux quartiers avoisinants, qui viennent en famille pour célébrer un événement.

Plus: Leméac est le restaurant idéal où l'on va pour ne pas prendre de risque et plaire à tous.

Moins: on aimerait plus de plats de saison.

On y retourne? Oui.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La carte des vins a toujours fait partie des grandes valeurs sûres de la maison.