La taverne. Elle n'existe plus dans sa forme originale. Si on utilise encore son nom, c'est surtout pour garder en vie un concept dépassé, presque folklorique. Mystérieuse et exclusive, elle a su rester discrète sur son histoire et ses habitués. À Montréal, elle s'est adaptée ou non au passage du temps. Certaines résistent encore, même si la fin d'une époque approche.

Immortaliser une époque

La série Taverne, produite par Catherine Vidal pour les productions Baroque, a été diffusée à l'hiver 2014 sur les ondes d'Historia. Trois épisodes de 60 minutes à travers lesquels une vingtaine de tavernes ont été présentées. Quel est l'héritage que la taverne aura laissé dans le paysage québécois?

Sarah Fortin était réalisatrice et coscénariste pour la série. Elle se rappelle à quel point les gens étaient ouverts à ce qu'on entre dans la taverne avec les caméras : «La plupart des tavernes où on a voulu tourner nous ont ouvert plus que grandes leurs portes.» Il ne suffit effectivement que d'aller dans un de ces bars qui existent encore pour se rendre compte à quel point les gens sont ouverts et veulent parler. Loin derrière, donc, le temps où ce qui se passait à la taverne restait à la taverne.

«Même si le permis de taverne et l'appellation sont un peu tombés en désuétude, l'esprit demeure dans certains débits de boisson, explique Sarah Fortin. Pour moi, c'est l'idée de proximité, du bar de quartier, pour discuter, se retrouver, décompresser et être servi par un barman qui connaît ton nom.»

Il n'est pas faux de dire que plusieurs endroits respectent encore ces quelques critères. Ce qu'il reste de la taverne ? Le caractère rassembleur, amical, presque fraternel. Aujourd'hui, ce sont les petits bars de quartier qui ont pris le relais.

La plus populaire du Québec: Chez Willy

La première de Broue a eu lieu le 21 mars 1979, devant 80 spectateurs. Les comédiens espéraient jouer la pièce pendant trois semaines... En 2006, ils recevaient un certificat des Guinness World Records pour le record mondial de longévité pour la pièce de théâtre jouée par une même distribution de comédiens. Et en 2011, ils présentaient Broue pour la 3000e fois. À l'automne 2015, Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier repartent en tournée pour une quarantaine de spectacles aux quatre coins de la province. Selon les statistiques de la production, plus de 3 millions de spectateurs ont mis les pieds à la taverne Chez Willy.

Photo Olivier Jean, La Presse

Le bar de Courcelle

La taverne moderne

Il ne reste que peu de choses de la taverne fréquentée par les ouvriers d'une autre génération. Des investisseurs et des visionnaires reprennent les rênes et donnent un solide coup de barre à ces établissements à l'agonie. Nous présentons ici trois histoires de succès qui ont comme dénominateur commun la vieille taverne.

Taverne Midway

Le bar-salon Midway aura été longtemps le bar peu fréquentable voisin du Club Soda. Ce n'est que l'an dernier qu'un groupe de trois investisseurs ont mis la main sur l'endroit, une des plus vieilles tavernes de Montréal, fondée en 1927. «Le coin Saint-Laurent-Sainte-Catherine reprend ses lettres de noblesse et pour nous, d'y avoir contribué en ouvrant la Taverne Midway, c'est une réalisation énorme», explique Charles Landry, un des copropriétaires. Aujourd'hui, l'endroit est visité par une clientèle variée, dans un décor rustique qui marie murs de briques, photos d'époque et parties de hockey. On peut y déguster des cocktails et bières (la Grosse 50 est encore sur le menu). La Taverne Midway fêtera son premier anniversaire le 25 juillet, qui coïncide avec l'ouverture de la cuisine de l'établissement.

Taverne Square-Dominion

La taverne Square-Dominion est un lieu impressionnant par son décor d'antan qui nous replonge dans un riche Montréal des années 30. Acheté en 2009 par Nicole Lemelin et deux autres entrepreneurs, l'endroit a été complètement rénové et repensé. «Nous avons sorti les machines à sous et tout enlevé de l'ancien décor pour faire ressortir les éléments d'origine, explique Mme Lemelin. [...] C'était important pour nous de faire ressortir le caractère historique de l'endroit, qui a été ouvert en 1927.» Aujourd'hui, la taverne Square-Dominion, c'est plutôt un restaurant-bar. L'appellation n'est qu'un clin d'oeil au passé. «On en a fait un lieu intemporel où tout le monde est bienvenu.»

Bar de Courcelle

Lors de son rachat en 2012, le bar de Courcelle était un bar de quartier selon la plus pure tradition des tavernes du temps. «Je suis extrêmement contente que l'on soit arrivés à garder l'ancienne clientèle et à la mélanger avec une nouvelle génération. Oui, nous avons rénové, dépoussiéré et amélioré l'endroit, sans pour autant en altérer l'énergie», décrit Jesse-Lee Fafard, l'une des six partenaires qui ont racheté l'endroit. En plus de la présentation de tous les matchs du Canadien, il y a les dimanches Open Mic, des spectacles le lundi et le mercredi et des DJ le week-end. «Même les soirs de spectacles, nous n'avons pas de prix d'entrée. Nous voulons que les gens se sentent toujours les bienvenus.»

Photo Olivier Jean, La Presse

La taverne Midway

Pour voyager dans le temps

À Montréal, il existe encore quelques bars qui ont conservé cette ambiance unique des tavernes d'un autre temps.

Bar Davidson

Dès 8 h le matin, on peut boire un verre de bière au Davidson. Décor figé dans le temps, ce monument au coin des rues Ontario et Davidson, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, représente bien ce qu'était la taverne du temps. La clientèle est principalement formée de gens du quartier, dont la majorité visite l'endroit depuis des années.

Pub St-Charles

«J'ai une belle clientèle. Les indésirables, ils sont barrés depuis longtemps ici. Que du bon monde. C'est pour ça que je suis fière de mon endroit et de mes clients», confie Hélène, propriétaire de l'endroit depuis 25 ans avec son mari. Cette fierté est palpable : l'endroit est impeccable. «Tous les jours, on décore les tables», ajoute Hélène. En parlant avec elle, on comprend que la loi sur le tabac a fait très mal à des établissements comme le sien. Les gens ne sortent pas pour fumer, ils restent à la maison. Anciennement, le Pub St-Charles présentait des spectacles toutes les semaines. «C'était plein à craquer. Après 22 h, tu ne pouvais pas entrer ici», se rappelle la tenancière avec un brin de nostalgie dans la voix. Aujourd'hui, elle ferme à 20 h le samedi. Les autres soirs de la semaine, c'est la ligue de dards, le poker, le karaoké.

Taverne Jarry

La taverne Jarry fête ses 50 ans cette année. Point de rassemblement des amateurs de petits bocks dans le quartier Villeray, c'est aussi un endroit reconnu pour son populaire Labo. Toujours gratuites, les soirées du Labo attirent une clientèle éclectique et allumée. Lieu de diffusion culturelle où des artistes présentent leurs dernières créations, la taverne Jarry fait un pont parfait entre hier et aujourd'hui.

Taverne Normandie

La taverne Normandie, c'est deux choses : les légendaires soirées karaoké et la superbe terrasse. C'est l'une des plus vieilles tavernes du Village, ouverte en 1981, et les prix sont parmi les plus bas dans le quartier pour prendre un verre dans une ambiance qui rappelle la vieille taverne. Très dynamique, l'endroit est l'hôte de plusieurs événements pendant toute l'année.

BarSerie Capri

Le bar Capri est reconnu pour sa cuisine : grillades, poissons et fruits de mer font la renommée de ce lieu où le hockey est à l'honneur. En saison, on présente les matchs du Tricolore avec commentateurs en direct. On dit d'ailleurs que quelques anciens joueurs du Canadien, dont Yvon Lambert, fréquentent assidûment l'endroit.

Brasserie Côte-Saint-Paul

Tout près de Verdun, dans un secteur qui semble avoir jusqu'à maintenant résisté aux vagues de revitalisations que connaissent plusieurs quartiers près du centre-ville, la brasserie Côte-Saint-Paul ne semble pas marquée par le passage du temps. Vaste, presque dénudé, l'endroit laisse imaginer des jours meilleurs, il y a quelques décennies sans doute. Des travailleurs du coin, des anecdotes partagées sans gêne et une ambiance de franche camaraderie caractérisent néanmoins l'endroit.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

La taverne Normandie