Les différences entre la restauration urbaine et la restauration de banlieue pourrait faire l'objet d'une vaste étude.

Pourquoi les meilleurs restos sont-ils en ville? Parce que la densité de la clientèle n'est pas assez élevée pour faire vivre une institution aux coûts de roulement substantiels? Parce que les goûts des gens de banlieues sont différents?

Saviez-vous, avant de dire que la banlieue ne peut nécessairement pas faire vivre de tables supérieures, que le principal restaurant de Paul Bocuse est à l'extérieur de Lyon? Que El Bulli était perdu au milieu d'un parc à 20 minutes de la ville de Rosas, en Catalogne? Que le French Laundry est à Yountville, dans la vallée de Napa, bien à l'extérieur de San Francisco? Et que la Cabane à sucre du Pied de cochon, à 45 minutes du centre-ville de Montréal, est toujours pleine à craquer?

À Montréal, il y a eu pendant un moment Derrière les fagots, brillant du temps de Danny St-Pierre, à Sainte-Rose à Laval. Il y a encore le Mitoyen, à Sainte-Dorothée, qui fait du bon boulot classique.

Mais les environs de Montréal ne sont pas desservis à leur juste valeur.

Certains chefs montréalais tentent néanmoins de sortir du moule pour apporter leur savoir-faire à l'extérieur. J'ai hâte d'essayer la cuisine de la famille Rouyé, les anciens de La porte, qui est rendue dans les Laurentides.

Autre exemple: Ian Perreault, qui a été chez Area rue Amherst, puis qui s'est installé rue Bernard, à Outremont. Aujourd'hui, Perreault s'est installé sur la Rive-Sud où ses affaires roulent. En 2013 il a ouvert Chez Lionel, dans un petit centre commercial de la rue Lionel-Daunais. Et il ouvrira à l'été au DIX30 un comptoir inspiré de sa table de Boucherville.

Je suis allée trois fois Chez Lionel. Deux fois en été, sur la terrasse, puis une autre fois récemment, à l'intérieur. Chaque fois, j'en suis ressortie avec la même impression, sans être émerveillée, qu'on y fait les choses très honnêtement, avec soin.

Les plats ne resplendissent pas par leur modernité comme la cuisine de Perreault le faisait pourtant autrefois. La sélection de vins servis au verre laisse aussi à désirer. Mais cela compris et accepté, on y mange fort bien. Les portions sont généreuses. Le service aussi.

L'aménagement des lieux est surprenant. On retrouve l'esprit baroque de son comptoir de la rue Bernard affiché par un lustre très brillant en plein centre du restaurant, mais le reste est décliné dans un concept brasserie. Des murs sont noirs, des lampes post-industrielles ponctuent l'espace. Des casseroles de cuivre accrochées un peu partout et des parois cuivrées ajoutent de la chaleur et de la luminosité.

Au menu, on se lance dans les salades en entrée, après tout, le beau temps revient. La salade de style «wedge» est agréable. La laitue iceberg y est coupée grossièrement, très fraîche, très croquante. On adoucit ce côté aqueux par des copeaux de grana padano vieilli 18 mois, des croûtons poêlés, du prosciutto cru qu'on a fait frire. On flirte avec la césar et ça se passe très bien, notamment parce que la vinaigrette est parfaitement équilibrée, juste assez relevée à l'ail confit. Une entrée simple et savoureuse. La salade de betterave et de gravlax est un tout petit peu plus costaude et très joliment présentée. L'utilisation de la betterave dans la préparation du gravlax laisse au saumon un côté rouge rosé presque framboise. Le poisson est très frais et les sauces vertes et aïoli relèvent bien crémeusement chaque bouchée.

En plat principal, les pétoncles poêlés s'avèrent bien bons mais ce n'est pas le plat qui brille le plus à table. Avec son accompagnement sage de purée de céleri-rave et sa hollandaise à l'orange, aussi délicieuse soient-elles, on cherche plus de notes d'acidité pour sortir le plat d'une certaine torpeur. Le mollusque est en soi très doux, les asperges et les crosnes du Japon discrets. On aimerait le secouer un peu plus.

De son côté, le risotto aux légumes est un plat tout simplement immense. J'en ai mangé le tiers. On le prépare, bien al dente, avec des légumes façon ratatouille, couronnée d'une espuma bien rouge, poivronnée.

Au dessert, le caractère légèrement décalé de la cuisine ressort un peu plus. Les gâteaux sont déconstruits, concept bien exploré depuis trop longtemps.

Le forêt noir déconstruit est composé d'un petit gâteau plus éponge que brownies au chocolat, et accompagné d'une superbe purée de griottes et de quelques cerises marinées. Des trois éléments, c'est la purée qui brille. Le gâteau au fromage, lui aussi déconstruit en morceaux, presque quatre-quarts d'un côté [Demi-Cadratin] trop sec et crème au fromage de l'autre, s'impose avec les purées d'oranges amères et de fruits de la passion que l'on ajoute en finition.

«Ce lieu est parfait pour le quartier, a résumé celle qui m'accompagnait et qui habite ce coin du 450. Juste assez moderne, juste assez accessible.» Moi, je me suis souvenue la cuisine plus avant-gardiste, plus à la page, du Ian Perreault du temps de la rue Amherst et de la rue Bernard, et je me suis dit qu'elle me manquait un peu.

Chez Lionel

1052, rue Lionel-Daunais, Boucherville

450 906-3886

chezlionel.ca

> Prix: Entrées, 8$ à 14$. Plats 17$ à 30$. Formules pour le midi à 17$. Aussi menu à 21$ après 21h.

> Carte de vins: J'ai été déçue pour les vins au verre, ceux que j'ai goûtés, tous choisis dans un esprit très «Nouveau Monde»: un chardonnay trop beurré, par exemple, pas assez tendu. Mais je suis sûre qu'on peut faire des trouvailles dans la carte à des prix très variés.

> Service: Très courtois, mais ce n'est pas le genre d'endroit où, si vous êtes déçu du vin au verre, on ira chercher une bouteille pour trouver une autre solution.

> Ambiance: Le lieu est fréquenté par les gens des environs, dont plusieurs en famille.

(+) Plusieurs bons plats, des prix raisonnables surtout le midi et après 21 h, un restaurant qui hausse la moyenne dans ce coin de banlieue.

(-) Les vins au verre pourraient être plus à la hauteur du repas.

On y retourne? Sûrement, si on est dans ce coin-là... (C'est pas loin du IKEA!)