Il y a quelque chose d'absurde dans la distribution géographique des restaurants montréalais. On dirait qu'ils sont tous agglutinés dans les mêmes quartiers - Plateau, Vieux-Montréal, Mile End - alors que d'autres zones de Montréal n'en comptent que très peu.

Non seulement cette répartition inégale est désolante pour ceux qui habitent les rues délaissées. Mais elle joue aussi contre certaines bonnes petites tables qui se perdent parmi les autres dans leur quartier.

C'est ce qui m'est venu à l'esprit en rendant visite récemment au Renard artisan bistro sur l'avenue du Mont-Royal, un petit restaurant douillet piloté par le chef Jason Nelsons, qui a repris l'espace occupé autrefois par le 5e péché. La référence n'est pas anodine parce que comme son prédécesseur, Renard a pris le parti de servir de la viande de loup-marin, un produit controversé.

Mais le lieu a été légèrement changé et est devenu un peu rustique, presque années 70 post-hippies, avec des oeuvres de métal récupéré, beaucoup de bois.

Au menu, écrit sur une ardoise au mur, on retrouve des plats de cuisine réconfortante, chaleureuse. Une entrée de raviolis, par exemple, décline ces pâtes sur une farce à la joue de boeuf et à l'ail des bois (de Colombie-Britannique, prend soin de préciser le serveur, l'ail des bois sauvage étant protégé ici), servis avec bouillon fumé et champignons maitake.

L'assiette de charcuteries, elle, propose notamment le loup-marin en terrine, une expression appropriée pour cette viande au goût de gibier riche et presque naturellement poivrée. Un autre élément du plateau est un croustillant de tête - viande de porc effilochée en croquette - tandis que quelques tranches de jambon fumé complètent le tout. Simple. Efficace. Et différent, grâce au loup-marin.

Le potage? Une savoureuse crème de tomates faites à partir de fruits fumés par le chef sur place et servie avec une chantilly au poivre. Malheureusement, celle-ci est un peu trop fondue quand l'assiette creuse arrive à table. La combinaison fonctionne pourtant très bien et l'acidité de la tomate se marie merveilleusement bien avec la richesse des notes fumées. Une belle idée.

En plat, la truite cuite exactement comme il le faut pour que le poisson reste moelleux, délicat, arrive dans l'assiette en compagnie de petites crevettes nordiques. Des épinards très verts, à peine tombés à la poêle, donnent quant à eux le contrepoint avec fraîcheur et une légère astringence. Une brunoise avec carottes et poivrons rouges ajoute de la couleur et un peu de croquant.

Pour le contrefilet de bison, on choisit une cuisson saignante qui permet à la viande, quand même coriace, de bien se révéler, savoureuse, sans facéties. On peut aisément partager le morceau à deux. En revanche, il est plus difficile de séparer en deux parts l'accompagnement, une tartelette aux poireaux et aux champignons gratinée, très riche. On cherche un peu de légèreté dans cette combinaison, mais peut-être que personne ne s'y attend, en choisissant une pièce de viande aussi rouge, aussi imposante.

Le plat le moins intéressant? Une assiette de buccatini maison au ragoût de loup-marin, où la sauce savoureuse manque un peu de liant, de douceur, et où les pâtes, elles, ne résistent pas sous la dent. On n'est ni dans le rebondi d'une pâte de qualité bien cuite, ni dans le côté plus élastique des pâtes fraîches aux oeufs, même pas dans la texture plus éphémère des pâtes finies à la poêle. On cherche pourquoi on mangerait ces tubes trop épais, trop lourdauds.

Au dessert, la crème brûlée arrive en version saisonnière: à l'érable. Légère, soyeuse, elle se laisse manger toute seule. Même succès avec la tartelette au chocolat accompagnée d'une sauce au butterscotch et une espuma au poivre et au chocolat blanc. Les textures se complètent, le chocolat est bien noir et riche et le caramel vient ajouter ses notes légèrement torréfiées, donnant une force - sucrée! - chaleureuse à la composition. Le dessert aux pommes reinettes - pommes pâteuses, trop sec - est le moins réussi, malgré sa glace à l'érable maison.

Bref, là encore, deux plats sur trois forts bien réussis, sans oublier le pain à la farine bio fait sur place, très tendre, qui est disparu aussi vite qu'il est arrivé sur la table.

Renard artisan bistro

330, av. du Mont-Royal E. Montréal

514-508-2728

www.renardbistro.ca

> Prix: entrées de 12 à 14$, plats de 19 à 28$.

> Carte de vins: écrite sur un tableau noir, la carte de vins est remplie de trouvailles à prix variés, dont presque la totalité sont offertes au verre. Intéressant.

> Atmosphère: un restaurant de quartier très agréablement dépourvu de toute prétention, qui évoque un certain style des années 70 avec sa décoration de bois et ses oeuvres d'art de métal repoussé. Ses quelques tables sont occupées par les gourmets du quartier. Là encore, mot d'ordre: on relaxe et on ne frime pas. On est loin du Plateau m'as-tu-vu d'autres adresses du quartier. Oh, et on s'entend parler.

> Service: relax, mais courtois et efficace. Et les serveurs savent répondre aux questions avec gentillesse.

(+) Une cuisine de qualité dans une atmosphère très conviviale, toute simple et chaleureuse, rafraîchissante.

(-) Quelques maladresses en cuisine. Et on espère un menu plus léger, plus vert, avec plus de fraîcheur, pour le printemps et l'été.

On y retourne? Oui, probablement.