J'étais sur le point de m'en aller au restaurant quand une personne que j'aime bien m'a lancé: «Tu t'en vas chez Grinder? Tu vas voir, un autre Faux Beef...»

J'ai éclaté de rire.

Faux Beef. Quelle brillante façon de décrire tous ces nouveaux restaurants montréalais qui, les uns après les autres depuis plusieurs années, se lancent en affaires avec un style qui copie carrément le genre culinaire mis de l'avant par Joe Beef - ou du moins s'en inspire grandement -, sans toutefois parvenir à le faire avec autant de panache.

Non, chers nouveaux restaurateurs, il ne suffit pas de servir de grosses portions de viande, avec beaucoup de gras, beaucoup de sel, beaucoup d'huîtres, beaucoup de tatouages...

D'entrée de jeu, cependant, le Grinder, lui aussi rue Notre-Dame Ouest, plus près de Guy, cependant, n'a pas du tout la même allure que le Joe Beef. Le décor signé Zébulon Perron - Buvette, Philémon, etc. - a quelque chose de criard, avec beaucoup de miroirs et, au plafond, d'immenses lampes de salles d'opération. Oui, de chirurgie. On se dit qu'on pourrait être à Saint-Sauveur, au DIX30 ou dans un centre commercial à Laval. Pas nécessairement dans Griffintown.

Officiellement, le restaurant s'appelle Grinder Viandes et vins, et c'est le petit frère du Hachoir de la rue Saint-Denis. Grinder est d'ailleurs le mot anglais pour hachoir. Et, comme chez le premier, on y sert toutes sortes de tartares, mais pas que cela.

Le menu est divisé entre les plats crus - tartares, tatakis, carpaccio - et les plats cuits, entre le poisson et la viande. C'est du côté des poissons et des fruits de mer que les plats sont les plus intéressants.

Le tataki de pétoncles, par exemple, que l'on sert avec des chips d'ail et des flocons de bacon, de la poudre de cèpes, un coulis de poivrons rouges accompagné d'une crème de haricots, est parfaitement frais, savoureux et équilibré. Le poivron fournit les notes d'acidité vitaminées que l'on cherche, tandis que bacon et ail ajoutent du croquant aux bouchées remplies du moelleux de la noix de Saint-Jacques. Et le plat est multicolore, très joli.

Autre belle composition: le tartare de bar rayé, très simple, avec un peu de concombre et de tomate pour la fraîcheur, du persil, de l'ail et quelques cacahuètes qui donnent un ton asiatique. Sans fausse note.

Pour le plat principal, on nous a proposé et on a choisi une spécialité de la maison, le ribsteak, une immense pièce de viande que l'on apporte à table et qu'on nous montre fièrement, avant d'en trancher une portion pour trois personnes et de la faire griller.

Le problème avec cette façon de faire est qu'on se retrouve devant une impasse si les convives ne mangent pas tous leur viande avec la même cuisson. On fait donc un compromis: on la prendra saignante - habituellement, je demande bleu - et on coupera les parts afin que certains aient des morceaux moins cuits.

Malheureusement, la pièce arrive à table cuite «à point», de sorte qu'il ne reste pas de morceaux vraiment saignants, et encore moins bleus. Et puis, à vrai dire, la viande n'est ni réellement tendre ni réellement savoureuse. On cherche l'impact en bouche. Autant certaines pièces de boeuf, quand elles sont réellement juteuses, persillées et bien vieillies, peuvent nous charmer, nous secouer et nous pousser à demander comment diantre font les végétariens pour vivre sans viande, autant certaines bouchées fades qu'on mastique sans fin peuvent nous faire comprendre comment on peut très bien abandonner, par lassitude, ce type de viande. Ce morceau tombe un peu dans cette catégorie. Banale.

L'os à moelle qui accompagne le tout n'a pas grand goût lui non plus. La sauce chimichurri n'en est pas vraiment une - trop épaisse, pas assez vinaigrée, pas assez parfumée. On devrait avoir l'impression, en y goûtant, de boire des herbes fraîches, mais c'est loin d'être le cas. La sauce bordelaise, donc au vin rouge, est quant à elle bien amère et le tout se combine étrangement à la salade d'inspiration asiatique faite de chou rouge, d'arachides, d'huile de sésame et de pousses de soja qu'on sert en accompagnement.

Bref, heureusement qu'il y a de bonnes frites croustillantes et des rapinis qu'on a commandés en accompagnement, qui sauvent carrément la donne - bien verts, juste assez poêlés, juste assez aillés et salés.

Oh, il y avait aussi de la purée de pommes de terre fromagée - un aligot -, servie avec un morceau de foie gras poêlé, qu'on a à peine touchée. Trop lourde. Trop redondante après la moelle, les frites... Trop Faux Beef.

***

Grinder

1708, rue Notre-Dame Ouest

514 439-1130

restaurantgrinder.ca

Prix: Entrées et tartares entre 11$ et 16$ environ. Plats de viande jusqu'à 38$.

Carte de vins: Entièrement en importations privées, la carte reste surtout en Europe, avec de bons crus soigneusement choisis à prix relativement raisonnables et des bouteilles en biodynamie.

Atmosphère: Niveau de bruit assez élevé, mais on s'entend parler. Atmosphère enjouée. Plusieurs groupes d'amis ou de collègues qui se retrouvent après le travail. On n'y va pas pour se parler dans le creux de l'oreille en tête à tête romantique, mais plutôt pour rire avec les copains.

Faune: S'il y a encore des artistes dans Griffintown, ce n'est pas là qu'ils se tiennent. Si Griffintown veut devenir un pôle où sortir pour voir des gens et être vu - ce qu'était jadis le boulevard Saint-Laurent près de la rue Sherbrooke, puis le Vieux-Montréal -, ici ça fonctionne.

Point positif: Les tartares, les tatakis... L'atmosphère joyeuse.

Point négatif: L'impression que la cuisine n'est pas la première préoccupation de ce lieu, où les gens vont plutôt pour être vus.

On y retourne? Moi non, mais peut-être que vous aimerez le style du lieu.