Dans les cafés, il y a des comiques, des virevoltants, les accros de la précision et du bar, et surtout de la conversation; il y a aussi les militants qui lisent sur les éoliennes, la Syrie, l'in vitro. Et puis, il y a les «différents». Ceux qui cherchent à déconcerter pour séduire. À chercher pour chercher. Le café Ellefsen attire ce type de clients et il est assez unique en son genre. Pourquoi? Sans doute parce que c'est un lieu débonnaire; vous savez, le genre d'endroit où l'on entre sans se faire remarquer. En tout cas, pas par la clientèle, qui semble s'en ficher. Ils sont tous absorbés, et ce n'est pas la coupe de votre pantalon ou la marque de votre automobile qui les dérangera. Cela s'explique peut-être un peu par le fait que nous ne sommes pas sur le Plateau ou dans le Vieux, mais bien dans le quartier Rosemont, tout près de Villeray. Par ici, on vit d'abord, on flashe ensuite.

Scandinavie

Derrière le concept, il y a le soudain intérêt pour tout ce qui est scandinave (ou ce qui s'en rapproche), l'idée étant que nous aurions beaucoup de choses en commun avec ces cultures du Nord. Rien n'est moins certain, mais c'est original et ça sort du lot. Ici, le Nord, ce serait la Norvège du grand-père du jeune patron dont l'histoire est assez saugrenue  échappé d'un cargo au début du siècle, tombé amoureux d'une Saguenéenne, installé là-haut sans jamais vraiment perdre sa «scandinavité». Belle métaphore, et elle sert bien l'ambiance et la carte, largement inspirée d'une certaine cuisine nordique qui n'a pas grand-chose à voir avec la cafétéria d'IKEA.

Du reste, l'Ellefsen lui-même n'est pas un café comme tel. C'est un peu un resto, un peu un bar, beaucoup un point de rencontre. Et il se distingue de la catégorie par ce côté décor boréal, limpide, clair, quasi monastique dans sa blancheur livide. Le blanc, c'est toujours tendance, le dépouillement aussi, et ces temps-ci, c'est le recyclage de vieux meubles. Le lieu en est rempli. Les tables de réfectoire  qui se sont pointées dans certains restos ultrabranchés de l'Upper West Side new-yorkais dans les années 90 avant d'être boudés par les individualistes que nous sommes  font aussi un retour ici et obligent les clients à se parler.

Attention, cependant: nous ne sommes pas ici pour profiter de la gastronomie. Le chef fait des choses un peu brutes qui ne sont pas mauvaises, loin de là. Mais il ne faut pas s'attendre à découvrir une cuisine nouvelle ni même très élaborée. En revanche, ce qu'on propose ici, ce sont des choses inhabituelles, très bien troussées et assez savoureuses, bien que dans certains cas, surtout si la brigade est dans «le jus», c'est fait avec juste un peu trop de hâte. Nous aurions envie de leur dire «faites les attendre», mais ne les décevez pas. Cela dit, le jour, on trouve des sandwiches ouverts sur du pain noir très malté, déclinés en trio présentés sur une assiette de bois, façon smorrebrod. Les garnitures, on s'en douterait, sont faites de saumon fumé ou de gravlax (assez bon, pour du saumon d'élevage), d'oeufs pochés, de tranches de tomates ou de radis, tous joliment coiffés de pluches de fenouil, d'aneth frais ou de raifort. C'est tout à fait délicieux, ça se mange tout seul, c'est sain et transparent avec ce côté naturel, sans transformations superflues.

Poutine au menu

Par ailleurs, on a mis de la poutine au menu (on ne pouvait pas s'en empêcher, je suppose), et ce n'est pas un coup de génie. Tout le monde fait ça, et le fait d'y mettre de la morue ou des champignons avec la sauce, n'améliore pas forcément la recette.

Le soir, on peut faire plus substantiel et surtout, plus lourd. Les incontournables boulettes en sauce brune évoquent effectivement cette cuisine paysanne d'ici et de là-bas. Un peu dépossédées, elles ne semblent pas bien adaptées à cette ambiance marquée d'une sorte d'apesanteur. Elles sont bien faites, mais ce n'est pas excitant, c'est une cuisine anecdotique qui ne se prend pas au sérieux, certes, mais qui vous arrache tout de même quelques dollars (huit pour être plus précis).

Le poisson ce soir-là: un omble chevalier, assez appétissant, mais un peu trop cuit et dont la chair s'effondrait dans l'assiette, servi avec des haricots verts un peu trop cuits. Bon! Vous direz que ce ne sont pas des erreurs insurmontables, qu'avec un trait de citron, ça passe... Pour terminer, on a préparé un dessert improvisé: de la crème sûre en étages avec des petits fruits rouges. Délicieux. Vous voyez, c'est un peu inégal, tout ça, mais il y a de la volonté, et de la bonne! Il faut juste soigner un peu le travail de finition.

Café Ellefsen

414, rue Saint-Zotique Est

Prix: Plats du soir autour de 20$; de jour entre 5 et 10$. Les portions sont raisonnables et la présentation, assez soignée dans l'ensemble.

Service: Plaisant et bienveillant, et multilingue... un peu de norvégien en prime si ça vous chante.

Vin: De tout, quelques trucs inusités, un vin québécois même. Des alcools forts.

On y retourne? Oui, de temps à autre, pour les sandwiches surtout, et pour la tranquillité, l'espace, l'excellent patron.

+ Le charme irrésistible du lieu.

- Impossible de réserver, il n'y a pas le téléphone. Excentricité ou incurie?