On ne sait pas trop pourquoi, mais nous voyons apparaître un peu partout au Québec des restaurants qui offrent des nourritures hypercaloriques, comme un symbole de la masculinité reconquise.

Grosses portions, sauces riches longuement réduites, denses et concentrées, beaucoup de viande, des «plats de mâles affamés».

Le restaurant Ma grosse truie chérie fait dans ce style et a même le poids du nom, un clin d'oeil à la chair animale nul doute, doublée d'un peu d'aplomb bel et bien viril! Ce très beau resto au décor de brasserie parisienne rutilante et excentrique, mêlant le genre rococo Ipanema et la boîte de nuit de Baltimore aux environs de 1960, met tous ses oeufs dans le panier de l'euphorie de testostérone. Et, ma foi! c'est très convaincant et très réussi. Dans le genre, bien sûr.

Si Martin Picard du Pied de cochon a été l'un des premiers à faire réapparaître en ville ces plats de grands-mères longuement mijotés, ces côtes, macreuses, rôtis et parties moins nobles des animaux, surtout du porc, il a fortement influencé une direction de la cuisine québécoise moderne: le retour en force de la protéine, mais surtout, sa validation dans notre culture. Car la viande a toujours été au centre de notre table, de notre cuisine et de nos conversations. À partir de là, partout en ville, les mijotés sont revenus aux menus, avec les bouillis, les pieds de porc, les daubes, des plats réconfortants et de filiation maternelle qui font toujours un retour quand les choses ne vont pas très bien ailleurs.

Au menu de cette Grosse truie, il y a donc le cochon. Comment s'en étonner? Mais la viande, ce n'est pas tout: il y a aussi des huîtres, et elles sont délicieuses et saisissantes de fraîcheur iodée en ces temps de frimas. On lui associe un vinaigre au cidre de glace, trop sucré pour les petites bêtes, et je vous suggère plutôt de les reprendre à nu, avec une seule goutte de jus de citron. Parfois les vieilles recettes sont encore les meilleures. En tout cas, d'entrée, elles viennent comme nettoyer le fond de la gorge et le préparer à des choses plus substantielles.

La soupe de porcelet, par exemple. Faite à partir d'un fond à la bière et d'oignons caramélisés, de haricots, et couverte d'une couche de fromage local fondu, c'est un plat en soi. Et c'est aussi un plat rassérénant, plein de verve. On peut lui substituer une salade de roquette dans sa fraîche crudité - une salade d'hiver, aussi étonnant que cela puisse paraître - remplie de chlorophylle, vitaminée et tonique quand elle est associée au goût sucré des poires et au gras d'un fromage bleu local. En prime, ça vous polit le foie et l'estomac, pas beau, ça?

En plat, on propose ce soir-là trois spécialités du cochon élevé à Saint-Canut, et trois autres chairs animales: pintade, agneau et canard - surtout son foie gras. Nous choisissons le trio de porcelet, une sorte de plat de déclinaison, comme on en voit beaucoup dans les restos à la mode. Un morceau d'épaule laqué, un peu de filet, un autre morceau fumé, les trois variantes préparées avec beaucoup de finesse et de doigté, servies sur une belle assiette et présentées avec un peu de polenta crémeuse dans laquelle on a planté quelques racines braisées. C'est une excellente manière de découvrir la palette de goûts et de textures de cette viande, qui remonte peu à peu la côte de la mauvaise presse. Le plat est jouissif.

L'autre choix, une tranche de gigot d'agneau poêlée, n'est pas le meilleur traitement qu'on peut réserver à cette partie de l'animal. Elle est un peu grasse et raide, trop cuite. La sauce couvre ces petits défauts, mais on ne nous la fait pas quand il faut retirer les morceaux coriaces de la bouche et les déposer sur le bord de l'assiette. Ça manque un peu de grâce au milieu d'une foule bien habillée! Ce plat arrive avec une purée de pommes de terre délicieuse et enjouée.

En finale, des macarons (un peu ratés, disons-le) mous et trop riches, et une sorte de mousse qui évoque la crème brûlée sans réellement en être poussent ce repas vers le bas.

Dommage!

En deux mots, cette Grosse truie est pilotée par un vrai cuisinier qui fait les choses de manière directe, essentielle, débarrassée de fioritures. Une cuisine qui n'est pas sans faiblesse ici et là, mais à la fin, on se dit que c'est une vraie bonne adresse qui a de l'avenir.

Chez ma grosse truie chérie

1801 rue Ontario Est

514-522-8784

www.chezmagrossetruiecherie.ca

> Prix : Entrées à moins de 10$, plats autour de 30$.



> Faune: Les assidus, qui attaquent la bidoche avec l'enthousiasme d'un premier amour. Ou les étonnés, qui cèdent à la bonne humeur ambiante. Il y a de tout là-dedans.

> Service : Excellent et informé. Avec une pointe d'humour et de volupté.

> Vin: Assez bonne carte avec des prix raisonnables. Quelques petites choses au verre en blanc, rouge ou bulles, mais dans ce genre d'endroit, c'est ce que l'on préfère et il faut se contenter d'un choix limité ou prendre une bouteille.

(+) Partout, des éléments originaux dans le décor. Même les couverts et les assiettes font joliment rétro.

(-) Ce resto peut être très bruyant.

On y retourne? Oui, parce que c'est bon et sincère et qu'il y a une sacrée ambiance. Excellent pour y retrouver ses amis. Pas trop pour une réunion d'amoureux ou d'affaires !