Parc Extension est l'un de ces faubourgs où coexistent les artistes, les impécunieux et les immigrés. Il y a par ici un mouvement perpétuel de population qui se renouvelle chaque décennie. De nos jours, le visage du quartier est encore en grande mutation. Le quartier est investi par les Indiens et les Pakistanais, qui, comme l'on fait d'autres groupes avant eux, ouvrent des restos et des épiceries.

Le Bombay Mahal (le Palais de Bombay) fait partie des premiers à s'être installés rue Jean-Talon. Il est ancré dans le même édifice, avec le même patron et le même décor depuis plus d'une décennie. Ça révèle qu'il s'y passe quelque chose, car, dans notre ville, on compte sur les doigts de la main les troquets ethniques qui perdurent.

Le décor est un peu fané; on dirait une vieille bagnole sympathique dont les banquettes seraient trouées et la moquette vaguement humide; ce manque de changement est à la fois rassurant, dans notre ville obsédée par les métamorphoses successives que subissent les restos, et vaguement alarmant, étant donné cet air décati. On se dit que n'entrent là-dedans que les aventuriers ou les piliers. Même les affiches au mur ont un air usé!

Mais, peu importe, le resto ne désemplit pas, quelle que soit la journée de la semaine. Et il y a de bonnes raisons à cela. La cuisine est savoureuse, on s'en doutait. D'ailleurs, faire de la cuisine indienne ennuyeuse serait carrément impardonnable dans ce quartier (certains y arrivent pourtant). Or, les prix encore décents -  bien qu'ils aient augmenté sérieusement depuis notre dernière visite  -, le soin apporté à la présentation générale et la propreté des lieux (mais oui, ça aussi, ça compte, et je ne vous dirai pas pourquoi!) ont assuré au Bombay Mahal une clientèle fidèle. Même si, malgré son nom, on n'y trouve aucune spécialité de la ville de Bombay!

Le menu n'a pas changé dans son essence ni pris une ride. Mais il est maintenant plastifié. Autre changement, une seconde salle s'est ajoutée à la première; comme ça, on est assuré d'y trouver une place. En outre, on présente dorénavant les plats dans de petits contenants de métal directement importés des bazars du Vieux-Delhi. Ça fait plus «chic  » et ça permet de justifier qu'un plat de légumes puisse être vendu 10 $, même s'il est réchauffé de la veille.

Bon, c'est comme ça, il faudra faire attention à ne pas trop commander de plats, à ne pas manger trop rapidement, à faire une petite promenade digestive avant de rentrer, et tout se fera en douceur. Sinon, gare aux gonflements intestinaux. Car on mange beaucoup trop dans ce genre de resto et, comme il y a beaucoup d'huile, beaucoup d'épices et pas mal de piments, cette cuisine n'est pas faite pour les estomacs délicats.

On trouve quoi au menu? Surtout des currys basiques du Nord (du Penjab surtout), préparations riches et veloutées à base de beurre et de crème, avec quelques petites choses insolites venues du sud de l'Inde, comme les massala dosas, des crêpes de farine de riz fermenté, fourrées de pommes de terre au curry, que l'on doit briser et tremper dans un curry liquide, aigrelet et très pimenté qu'on appelle le sambar. Et surtout les channa samosas, des beignets fourrés de pommes de terre épicées, écrasées dans une préparation de jus de tamarin et de chutney à la coriandre, et garnis de pois chiches. Ce sont deux plats dont on ne se lasse jamais s'ils sont bien faits. Et c'est le cas ici. Les pakoras, sortes de fritures de farine de pois chiches et de légumes (oignons surtout), sont assez bonnes mais exsudent un peu d'huile et laissent les doigts luisants de gras. Nous passons une bonne dizaine de serviettes en papier à les essuyer.

Dans la liste des currys, les dhals - les lentilles - sont délicieux et correctement assaisonnés. Parmi les currys végétariens, l'alu mattar, ou pois verts et pommes de terre, succulent, les okras relevés et au goût franc, les aubergines «compotées  » dans les épices et malgré tout dodues, ont tous des parfums persistants de cannelle, de cumin rôti et de cardamome. Des plats de poulet cuit au tandoori restent un peu huileux, mais sont faits dans l'esprit des petits restos familiaux de là-bas. Les pains sont impeccables et croustillants.

Au bout du compte, le Bombay Mahal n'atteint pas les sommets gastronomiques des restos prétentieux de l'Ouest-de-l'Île, mais ses prix non plus, ce qui le maintient dans la catégorie des tables parfaitement authentiques.

Bombay Mahal

1001, rue Jean-Talon Ouest, Montréal

514-273-3331

> Prix: On peut y manger raisonnablement et dans l'abondance pour une vingtaine de dollars par personne, tout compris.

> Faune: Un peu de tout, jeunes et vieux, surtout des Montréalais, beaucoup d'anglophones. C'est bruyant, vivant, bigarré.

> Service: Courtois, même si pratiquement personne ne parle français. Mais attendez-vous à une lenteur certaine: le mot «rapide  » ne fait pas partie du lexique de ce quartier.

> On y retourne? Mais oui, nous aussi, on fait partie des habitués; on ne se refait pas!

+ + + On apporte son vin ou sa bière. Les végétariens peuvent aussi être très heureux, ici.

- - - La métaphore du «palais  » est un brin exagérée. Aucun luxe ici...