Rencontre improbable entre Martin Picard et Carrie Bradshaw, le livre de recettes Deux folles et un fouet est un petit ovni. Les deux auteures et amies dans la vie, Jessica Barker et Rafaële Germain, ont utilisé les codes de la «littérature pour filles» pour concocter un recueil de recettes simples et sympathiques, parfois un peu trash, dans lequel le gras, le sel, l'alcool et l'autodérision tiennent le haut du pavé.

Finalement, c'est un livre de gars dans un corps de fille? demande-t-on à Rafaële Germain. «Ah oui, j'aime ça comme description!» s'exclame l'auteure et chroniqueuse de Je l'ai vu à la radio. Tout de même, ajoute-t-elle, Deux folles et un fouet s'adresse aux filles, avec ses recettes regroupées par thème - «Il ne m'a pas rappelée après la deuxième date» ou «Je me fais accroire que je veux perdre 10 livres» - et ses anecdotes sur la vie de célibataire.

Rafaële Germain dit s'être réconciliée avec l'amitié féminine grâce à la comédienne Jessica Barker, qu'elle a rencontrée il y a cinq ans. L'idée de ce livre a donc germé de leur complicité et de leur amour commun pour la bonne bouffe. «On a décidé d'être présentes dans le livre, dans notre ton, qui est très du tac au tac. Comme si la lectrice était la troisième personne du groupe.»

Dans la chick lit, le groupe d'amis est en effet primordial - voir Sex and the City. Ce qui n'est pas nouveau dans la vie des femmes, estime-t-elle. «Le réconfort, le tissu social féminin, la cellule de crise... ça existe depuis longtemps!» Rafaële, Jessica et leurs copines ont déjà annulé une fête d'anniversaire pour rappliquer auprès d'une des leurs, fraîchement laissée par son amoureux. D'où l'un des thèmes du livre: «Sauvetage d'une chum en peine d'amour». «Ce n'est pas un cliché de dire que les filles ont tendance à parler plus de leurs émotions - pas mal plus que des gars qui sont à la chasse, même si je généralise en disant ça. Les filles décortiquent, analysent... C'est pour ça aussi qu'on a mis le thème «One of the boys», pour pouvoir se reposer des fois...»

Manifestement, les deux trentenaires manipulent l'autodérision à la perfection: une autre caractéristique de la chick lit, souligne Rafaële Germain. D'où la couverture du livre, sur laquelle les deux auteures prennent la pause en présentant un plat de saucisses. «La même photo avec moi tenant des cupcakes, je n'aurais pas assumé... On voulait du fille, mais pas du fifille. C'est pour ça que le rose sur la couverture n'est pas pâle, c'est un rose qui a des couilles, qui est punché.»

En plus de montrer qu'elles ne se prenaient pas au sérieux, c'était aussi pour elles une manière de se démarquer. «Où sont les filles de 30 ans dans les livres de recettes au Québec? demande Rafaële Germain. Beaucoup de livres vendent un style de vie, comme la chasse et la pêche ou la cuisine à deux. Nous, ce qu'on dit, c'est que c'est l'fun d'être dans une cuisine et d'avoir du plaisir sans rechercher la perfection. On ne se prend pas pour des chefs.»

Les deux jeunes femmes ont ainsi réuni des recettes hautement éprouvées, maintes fois testées, et toutes aussi simples les unes que les autres. Et même si elles font un - léger - effort pour y inclure de la verdure, elles versent souvent dans le - très - gras et calorique. «Il y a tellement de livres de diète sur le marché ou de trucs pour couper les calories dans les recettes de magazines, répond Rafaële Germain. Je ne dénigre pas ça, mais est-ce qu'il y a juste Martin Picard qui a le droit de dire: allez, mangez du lard, ça va bien aller? Nous aussi, on aime ça! Ce livre est un hommage au plaisir de la bouffe et du verre partagé entre amis. Ben crime, quand tu ajoutes du beurre, c'est meilleur!»

Vive l'imperfection

«Ce que j'aime chez mes amies, c'est leurs failles. Ça les rend plus attendrissantes et plus vraies que si elles étaient parfaites», affirme Rafaële Germain. C'est aussi ce qu'elle aime dans la cuisine: elle préfère un repas imparfait, mais joyeux à une réception guindée. Deux folles et un fouet dégage cette légèreté et cette absence de pression - même si le travail a été fait sérieusement, que les photos de Julien Faugère sont léchées - «On voulait vraiment que le «manger» soit beau» - et que la direction artistique kitsch est assumée.

Par exemple, les deux auteures ont décidé de présenter leurs plats dans de la vaisselle dépareillée. «De la vaisselle blanche sur une nappe blanche, ça m'angoisse parce que ça ne ressemble pas à ça chez moi.» Avec la directrice artistique Marike Paradis, elles ont fait le tour des armoires de leurs parents et beaux-parents, des brocantes et des marchés aux puces, question de trouver les bons plats pour mettre en valeur leurs différentes recettes et, aussi, pour être plus réalistes. «Il y a des assiettes, on voit sur les photos qu'elles sont usées. Je trouve ça magnifique, même si ce n'est pas impeccable. C'est vrai pour la bouffe, c'est vrai pour l'amitié.»

Deux folles et un fouet

Jessica Barker et Rafaële Germain

Éd. Trécarré, 175 pages, 34,95$