«Les gens adorent les vins sucrés. Seulement, ils ne veulent pas l'admettre en public.» Quand un producteur de vin de l'État de Washington a lancé cette phrase l'autre jour, je me suis tout de suite reconnue. Ne vous inquiétez pas, j'aime les secs de la Loire ou les tanniques du Languedoc autant que n'importe qui. Mais versez-moi un verre de muscat ou de porto et vous me verrez ravie. Et du sauternes? Ça, on n'en parle même pas.

J'aime le sauternes comme j'aime la confiture de poire vanillée ou le chocolat. Je n'ai jamais rencontré un verre de sauternes qui ne m'ait pas chanté une petite berceuse dans le creux de l'oreille. C'est sucré, ça fond, ça allume, ça réveille et ça rebondit doucement en bouche. Du soleil à la bergamote à la gorgée.

 

Évidemment, je me porterais mieux si le sauternes ne coûtait pas aussi cher. Quand on doit débourser une trentaine de dollars pour une demi-bouteille, pour un vin de bonne qualité (je ne parle pas des célèbres Yquem à 755$ pour 750 ml!), ce n'est pas le genre de vin qu'on achète à la caisse ou qu'on boit en faisant le jardinage.

Mais il n'y a pas que le prix qui joue dans cette petite gêne à consommer du sauternes. Il y a aussi, comme pour le champagne, cette idée qu'il s'agit d'un luxe et donc qu'on ne peut juste pas en boire trop souvent. Et le fait aussi que, pour bien des amateurs de vin, c'est juste trop doux pour en boire plus d'un verre.

J'ai donc été ravie de rencontrer la semaine dernière une productrice de sauternes, Bérénice Lurton, qui a accueilli ma gourmandise les bras ouverts. «Et vous savez, m'a-t-elle affirmé. On peut en boire du début à la fin du repas. Même avec les plats salés.

- Poisson, agneau, salade?

- Mais oui!

Mme Lurton était à Montréal pour faire la promotion de ses produits, mais aussi de tous les vins de cette appellation puisqu'elle est présidente de l'Association des crus classés de Sauternes et Barsac. Son but: sortir le sauternes des idées reçues. Cette année, avec l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec, elle a donc lancé un concours, ouvert à tous les jeunes chefs de cuisine diplômés de l'ITHQ, qui consiste à proposer des plats salés et sans foie gras, se mariant bien avec le sauternes.

Cinq chefs ont été choisis lors d'une première sélection. Le 24 mars, ils devaient présenter leurs plats devant jury, dans le cadre d'un grand repas à l'ITHQ. C'était la première fois que ce concours avait lieu, avec le Québec comme rampe de lancement, mais l'idée est de reproduire le modèle ailleurs, partout au monde.

Qui a gagné? Alexandre Gosselin, du Bar&Boeuf et du nouveau restaurant BBQ, rue Saint-Paul, avec un râble de lapin cuit sous vide et farci aux abricots et au foie gras, avec écume de lait d'amande, croûte de pain d'épices et marmelade de champignons.

J'ai aussi beaucoup aimé (j'étais membre du jury avec des collègues de deux autres quotidiens et plusieurs spécialistes du vin) le plat de Darren Bergeron, du Decca77, une ventrèche de saumon avec figues séchées, flanc de porcelet, gelée de foie gras, canard de Pékin, pudding au thé noir et zeste d'orange. Un plat simple mais très bien fait, tout en douceur pour aller avec le vin.

Évidemment, qui penserait refaire ainsi un repas tout sauternes? Il faudrait être un peu fou. Mais l'idée de surprendre des invités avec du sauternes pour accompagner un plat salé autre que le fromage ou le foie gras m'a tout à fait souri. Dans un monde où la Guiness et l'huile d'olive se faufilent jusqu'au dessert, entre la panna cotta et le chocolat, pourquoi pas?