Riz collé ou sauce pois, griot, pain patate... La cuisine d'Haïti compte son lot de plats typiques, parfois un peu figés dans la tradition. Jouvens Jean et Monick Gilles, deux chefs allumés d'origine haïtienne, se sont amusés à lui donner un nouveau visage.

Officiellement, Jouvens Jean, chef de 34 ans d'origine haïtienne installé à Miami, ne parle pas français. Mais il suffit que je dise une bêtise se voulant un peu drôle pour le voir sourire et ricaner un peu.

«Il est surtout timide», explique son amie Monick Gilles, Montréalaise d'origine haïtienne qui était jusqu'à tout récemment chef au Scarpetta et avec qui il est en train de préparer des plats traditionnels de leur île des Antilles, mais modernisés. «Dans le fond, dit-elle, il comprend tout.»

La seule chose que Jouvens, qui parle plutôt anglais et créole, ne saisit pas, par ce magnifique matin hivernal québécois froid et ensoleillé, c'est comment on peut vivre ici en hiver. «Vous êtes fous», dit-il gentiment, hochant la tête alors qu'il coupe délicatement les bananes plantain qui serviront dans un plat de poisson. «Brrrrrr...»

Jouvens, lui, vit en Floride, au chaud, et quand il n'est pas sous les palmiers américains, il est en Haïti, le pays d'origine de ses parents, où il espère bientôt ouvrir une école de cuisine. Le processus est long, mais Jouvens veut participer à créer une nouvelle génération de cuisiniers haïtiens. Cinq ans après le séisme qui a démoli la terre de ses ancêtres, c'est son projet.

En attendant, il travaille à Miami, où sa carrière de chef et sa formation universitaire en gestion touristique l'ont amené derrière les fourneaux d'établissements de Miami comme le W, le Hilton, le Hyatt Regency et le St. Regis.

«Je suis né aux Bahamas et je vis maintenant en Floride, mais mes parents sont haïtiens, ma culture est haïtienne», dit le jeune chef. Il n'est pas spécialiste de la cuisine haïtienne uniquement, mais les produits et les traditions culinaires l'allument, l'inspirent.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Les chefs Jouvens Jean et Monick Gilles ont cuisiné des plats d'inspiration haïtienne modernisés lors d'une soirée spéciale organisée au restaurant Scarpetta.

Jouvens était à Montréal pour cuisiner avec Monick Gilles, dans le cadre d'une soirée spéciale qui a eu lieu au Scarpetta plus tôt ce mois-ci, afin de souligner notamment que février est le Mois de l'histoire des Noirs. Ensemble, ils ont préparé un repas moderne, composé à partir d'ingrédients traditionnels haïtiens, mais dans un esprit actuel, moins rustique que la cuisine haïtienne ménagère qui est celle que l'on connaît le plus. «Ici on sait ce que c'est le riz sauce pois ou le griot, mais il y a tellement plus dans la cuisine haïtienne.»

Monick, par exemple, choisit pour le reportage de nous préparer des papardelle au ragoût de lambi, ce mollusque très présents dans la cuisine créole et que l'on sait reconnaître: le coquillage est celui qu'on colle sur son oreille pour «écouter le bruit de la mer».

En entrée elle nous propose aussi des marinades, qui n'ont strictement rien à voir avec ce qu'on appelle marinades dans la cuisine québécoise. En Haïti, le «marin» de marinade est lié à la mer. C'est un plat de poisson. Ce sont des petites croquettes, qui ressemblent à la fois à des crêpes et à des beignets, faites à partir de chair de morue salée et servies avec de la sauce piquante, de l'échalote...

Un autre plat typique? «Connaissez-vous ce qu'on appelle légumes?», demande Monick. Jouvens hoche la tête. «Très typique.»

Rien à voir avec ce qu'on appelle «un plat de légumes». Il s'agit plutôt de viande, patte de cochon ou alors crabe, que l'on prépare avec des aubergines et du «mirliton», ce légume tropical très croquant très frais, généralement connu ici sous le nom de chayotte.

Le riz collé? Un autre plat traditionnel au nom coloré, fait à partir de riz blanc et de haricots rouges, aromatisé au clou de girofle.

«En Haïti, il y a toujours du clou de girofle, explique Monick Gilles. Il y a aussi du thym, du laurier.»

«Demain soir, je fais des fettucines aux djon djon», explique Jouvens, en parlant du repas à quatre mains avec Monick. «Il y aura aussi de la queue de boeuf cuite sous vide à la sauce créole.»

Entre temps, un jeune entrepreneur québécois, Stevens Charles, est arrivé avec une bouteille et un échantillon de «crémasse», une liqueur crémeuse ultra typique, dans l'esprit de la liqueur Bailey's, qu'il veut commercialiser en Amérique du Nord. Jouvens en boit une gorgée.

«C'est ça. Exactement. C'est Haïti. J'adore.»