Genève, Paris, Bruxelles, Moscou, Copenhague, Shanghai, New York... Depuis janvier 2012, la caravane de l'Omnivore World Tour propose des rencontres et des repas uniques avec des chefs du monde entier dans une ville différente tous les mois. C'est au tour de Montréal d'accueillir le festival ambulant. Portrait d'un projet qui veut bousculer la gastronomie.

À l'automne 2011, après une tournée de repérage, Luc Dubanchet est reparti ébloui par Montréal. Par la jeunesse, par le côté frais et fringant de la métropole québécoise, si bien que le directeur d'Omnivore a décidé d'y faire escale dans le cadre de son «World Tour». Omnivore débarque donc à la Société des arts technologiques (SAT) la semaine prochaine, avec sa «jeune cuisine» enthousiaste et sa petite caravane de chefs montants.

Quand nous avons parlé à Luc Dubanchet, à la mi-juillet, il débarquait tout juste de Shanghai. «Omnivore était fort probablement le premier festival de cuisine du genre à se tenir en Chine. Pour les chefs chinois, le fait de voir un Jean-François Piège ou un David Toutain (NDLR: deux chefs-vedettes à Paris) faire une présentation sur scène, ça a pu changer leur manière de se positionner dans une cuisine.»

Fondé en 2006 par M. Dubanchet, le festival de cuisine Omnivore était la suite naturelle du magazine et des guides lancés en septembre 2003. Du Havre à Deauville, pour aboutir à Paris au printemps dernier, le festival fait son petit bonhomme de chemin.

Après avoir travaillé comme éditeur au plus institutionnel guide Gault&Millau, de 1999 à 2003, l'homme de radio et de lettres avait envie de fraîcheur, d'éclatement. Il souhaitait mettre de l'avant le talent des jeunes chefs en train de révolutionner la cuisine française. Au tournant du millénaire, la gastronomie française était dans une impasse, sclérosée par la tyrannie des étoiles Michelin et son classicisme légendaire. Tandis que l'Espagne et les pays nordiques renouvelaient leur cuisine de manière spectaculaire, la France s'engonçait dans la sacro-sainte tradition.

Heureusement, des chefs comme Pascal Barbot (L'Astrance), Inaki Aizpitarte (Châteaubriand, Le Dauphin), David Toutain (Agapé Substance), Gilles Choukroun (MBC) et Alexandre Gauthier (Auberge de la Grenouillère) on fait tourner le vent. Même pas 10 ans après la fondation d'Omnivore, la France culinaire est plus créative et ouverte aux influences extérieures que jamais.

«Aujourd'hui, que l'on soit à Shanghaï, à Moscou ou à Bruxelles, il y a une sorte de mouvement global autour de la cuisine, affirme Luc Dubanchet. On voit une filiation du mangeur, du chef et des producteurs. Les urbains sont saturés de produits fabriqués et ils trouvent chez les jeunes chefs une liberté, une créativité qui leur sied et leur ressemble. Avec Omnivore, on veut parler de cuisine, mais sans en faire toute une histoire. C'est avant tout un rassemblement d'êtres humains qui partagent des valeurs. On fait les choses sérieusement, mais sans se prendre au sérieux.»

Frédéric Gauthier, qui a piloté le projet FoodLab de la SAT, est l'antenne québécoise d'Omnivore. Il a participé à Omnivore New York et organisé en bonne partie le séjour gastronomique de Luc Dubanchet à Montréal. «Ce que j'aime dans l'esprit de ce festival, c'est son côté émergent, dit-il. Il s'intéresse aux nouveaux talents et aux nouvelles approches. Ce sera l'occasion pour Montréal de faire rayonner et reconnaître nos chefs et notre cuisine ailleurs. On fait désormais partie de la grande famille d'Omnivore. Pour le FoodLab de la SAT, c'est une belle façon de concrétiser sa mission de lieu de rassemblement et d'accueil pour les chefs venus d'ailleurs.»

Créativité au carré

Omnivore, c'est d'abord des rencontres entre chefs. À Montréal comme ailleurs, Luc Dubanchet a tenté les meilleurs jumelages possible, en tenant compte des sensibilités de chacun. «Le choix des chefs du World Tour est un savant équilibre entre de jeunes talents encore méconnus, que Luc découvre au fil des repérages qu'il fait en amont dans les différents pays (et ce, au rythme de presque quatre repas par jour!), et des chefs plus reconnus, mais toujours dans la création. C'est un équilibre aussi entre chefs locaux et chefs européens pour créer des rencontres et des synergies qui peuvent nous sembler pertinentes», raconte Justine Prot, coordonnatrice à Paris d'Omnivore Montréal.

Au mois de mars, la chimie avait été excellente à Paris entre Derek Dammann et Gregory Marchand (Frenchie). Le chef français vient donc cuisiner un repas à quatre mains avec son pote en terre d'Amérique, dans le lilliputien café Sardine. Pour faire équipe avec le tandem d'enfer formé par Marc-André Jetté et Patrice Demers, Luc Dubanchet a pensé aux frères Folman, dont le resto Couvert Couvert, près de Louvain, en Belgique, fait un tabac. À Michelle Marek et Seth Gabrielse, du Foodlab de la SAT, Omnivore offre le nouvellement bourguignon Jérôme Bigot, chef, peintre et organiste à ses heures. Un trio qui devrait «jammer» fort. La rencontre entre Peter Nilsson (un Suédois à Paris) et Marc Cohen (un Brit à Montréal) semble tout aussi prometteuse. Gina Seaton, du Nouveau Palais, a pour sa part choisi de travailler avec le chef torontois John Horne, du restaurant Canoe.

«Nous avons choisi des chefs dans la veine fraîcheur. Montréal est une ville qui a une capacité à créer des lieux très cool, flirtant avec la cuisine populaire. Il mérite de faire la fête. Les chefs montréalais ont très bien accueilli l'invitation. Ils ont répondu présent. J'attends beaucoup de Montréal. On sent qu'il y a une vraie communauté ici. Beaucoup de gens travaillent avec des valeurs communes.»

De Paris, Luc Dubanchet a suivi le mouvement étudiant de Montréal. L'idée de débarquer chez nous dans un contexte de perturbation lui plaît bien. «Je crois énormément à la cuisine comme projection politique et sociale. Lorsque je regarde ce qui s'est passé dans les rues de chez vous, j'ai vu énormément de talent et de créativité dans la manière dont les jeunes ont pris la parole et ont revendiqué leurs valeurs. Ce Printemps érable était un appel à une prise en compte de la jeunesse, de ses valeurs, de ses désirs. C'est tout à fait dans l'esprit d'Omnivore.»



Omnivore Montréal, c'est...

- Des jumelages réfléchis de jeunes chefs, pour cinq «Maudits soupers» (version québécoise de F***ing Dinner) dans cinq restos de la métropole.

- Une vingtaine de Démos culinaires de haut vol s'adressant aux passionnés, aux élèves des écoles hôtelières, aux médias et aux chefs. On y accède en achetant un laissez-passer d'une journée, pour 43,05$ + taxes, ou un laissez-passer de trois jours pour 103,93$ + taxes.

- Une grande fête du samedi soir, l'Omnivorius Party, où les chefs préparent des bouchées aux «boum boum» des DJ (également 43,05$).

- Un salon des producteurs - petits et grands -, au rez-de-chaussée de la SAT.

- Des cantines mobiles devant la SAT du 18 au 20 août.

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Omnivore World Tour, à la Société des arts technologiques, du 17 au 20 août. Renseignements au sat.qc.ca.

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Photo François Roy, La Presse