On les appelle émouleurs, rémouleurs, aiguiseurs ou affileurs, mais on retiendra surtout qu'ils sont les «meilleurs amis des couteaux», des gardiens d'un savoir-faire essentiel pour prolonger la vie de vos lames. Portraits de ceux qui pratiquent encore aujourd'hui l'un des plus vieux métiers de rue du Québec.

Guillaume De L'Isle

Émouleur, lui? Allez dire ça à d'autres. Guillaume De L'Isle, avec 35 ans qui en paraissent 25, ses mains délicates, ses tongs et sa chemise de coton a plutôt le look de l'emploi auquel son parcours universitaire le destinait: microbiologiste. C'est pourtant aujourd'hui l'un des artisans les plus réputés de Montréal, comptant parmi ses adeptes les chefs du Leméac et du Toqué!. Son parcours est atypique dans un métier de traditions: c'est en vendant des couteaux de porte en porte pour payer ses études à l'Université de Montréal qu'il a découvert l'univers des lames et décidé, après avoir obtenu son diplôme, de s'y consacrer. Sans commerce paternel à reprendre ni école professionnelle où apprendre, il s'est fait autodidacte, glanant ses informations dans les livres et sur l'internet. Puis il a frappé à la porte du chef d'Au Pied de Cochon, Martin Picard, pour qu'il lui confie ses couteaux et ceux de sa troupe. Audacieux, vous dites? «J'ai fait des essais et des erreurs, mais j'ai peaufiné ma méthode», dit-il simplement.

Son secret ? Travailler à la main avec des pierres naturelles « J'ai essayé plusieurs bidules électriques, mais cela ne fait jamais le même travail.» et en prenant son temps : au moins 15 minutes par lame. Coût de l'opération: de 30 à 50$.

Depuis deux ans, son atelier n'est plus dans son petit 31/2. Le voilà maintenant installé dans une microboutique de l'avenue Laurier où il se spécialise dans l'importation et la vente de couteaux japonais (ce sont d'ailleurs les seuls qu'il aiguise désormais) fabriqués selon la méthode conçue pour les sabres des samouraïs il y a un millier d'années. «Leurs lames sont plus dures, plus fortes et plus résistantes», dit-il. Fait rare : les clients sont invités à les tester sur place, avec des légumes frais. Mais cette qualité qui n'est pas donnée : les prix oscillent entre 200$ et plus de 1000$. À ce prix, on peut certes se limiter à trois ustensiles: un pour les fruits et légumes, un pour les poissons et les viandes et un petit couteau d'office.

www.emouleur.com, 514-813-3135

L'Aiguiserie

C'est un commerce comme il ne s'en fait presque plus. Avenue Papineau, dans le quartier RosemontLa Petite-Patrie, Yvon Bouchard n'offre qu'un seul service : redonner un coup de jeune aux lames de toutes sortes.

Sa femme Lise Palin-Bouchard accueille en souriant les clients, prend leurs couteaux, ciseaux et les range soigneusement dans un petit casier de plastique numéroté, puis les dépose dans une immense étagère qui accapare un mur entier du magasin. C'est là qu'Yvon vient chaque matin «chercher son ouvrage» avant de s'installer avec son iPod dans son atelier situé juste à l'arrière, fourmillant de machines vert bouteille qui sont sorties d'un autre temps: celui de son père qui a fondé le commerce familial en 1936! Yvon a pris le relais officiellement en 1961, à 18 ans, mais «je me salissais déjà les mains depuis longtemps!» Une passion. «J'ai 68 ans et je vais continuer tant que je m'amuserai, que je continuerai d'apprendre et que je ne serai pas malade», lance-t-il en souriant. Il a constaté que ses clients ont des couteaux de plus grande qualité, et ils sont prêts à attendre une, voire deux semaines pour profiter de ses services (il arrive même, à l'occasion, qu'on en refuse lorsque l'étagère est pleine!). Il faut dire qu'il y a quelques années, un test à l'aveugle mené par l'émission de télévision L'épicerie l'a classé parmi les meilleurs aiguiseurs de Montréal. Il reste à savoir, maintenant, ce qu'il adviendra du commerce après M. Bouchard. «C'est un métier qui se perd, les professionnels se font plus rares», dit-il. Et cette fois, il n'y a pas de fils Bouchard pour prendre la relève.

www.laiguiserie.com, 514-727-7171

Bertoldi's

L'histoire de Bertoldi's est de celles qu'Hollywood aime bien, celle d'une famille et d'un succès. Tout commence en 1910, quand le petit Gelindo Bertoldi, 12 ans, est forcé de quitter son Italie natale pour rejoindre à Montréal son oncle émouleur l'un des seuls, sinon le seul, à cette époque dans l'espoir de gagner assez d'argent pour faire vivre sa famille et son père malade. Il commence par se promener de ruelle en ruelle en transportant son matériel dans un chariot de bois, puis avec un cheval et un wagon avant d'acquérir, en 1927, son tout premier camionatelier. Les affaires progressent bien. Ses enfants puis ses petits-enfants et ses arrière-petits enfants et ses arrière-arrière-petits-enfants reprendront l'affaire familiale qui ne cessera jamais de croître au fil de ces cinq générations.

Les Bertoldi sont maintenant des géants : ils aiguisent 25 000 outils par semaine ! Le petit chariot de bois de Gelindo a bien changé : il s'est transformé en un parc d'une vingtaine de camions qui sillonnent non seulement Montréal, mais aussi une grande partie de la province pour recueillir les couteaux des cuisiniers des hôtels, des restaurants, mais aussi des prisons et des hôpitaux, qui seront aiguisés au siège social de Laval. Les employés sont formés sur place. « Il n'y a pas d'école pour apprendre ce métier. Cela prend du temps, de l'expérience pour devenir bon», dit Ricki Bertoldi, de la quatrième génération de Bertoldi. Les particuliers peuvent encore venir y porter leurs couteaux, qui seront affûtés à la machine ou à la main, à leur choix.

www.bertoldis.com, 450-688-6868