J'ai pris mon premier repas hongrois à l'hôtel Gerloczy, peu après avoir atterri à Budapest. Il s'agissait d'un goulache, le bográcsgulyás, sorte de ragoût de boeuf avec des carottes, des pommes de terre et, bien sûr, du paprika.

Quand le garçon me l'a apporté, j'ai d'abord découvert tout l'art hongrois du service, résultat du vieil héritage austro-hongrois et de l'influence parisienne. Le garçon en uniforme de brasserie blanc et noir, avec tablier, a posé délicatement une serviette en travers de la table, puis mes couverts, de la baguette française et un pot de vin.

 

Le goulache était servi très chaud dans un récipient émaillé, comme un petit chaudron, avec une anse. Le goulache était délicieux, réchauffait le corps, et plus il refroidissait, plus on en distinguait les saveurs.

Afin de savoir comment le préparer, j'ai eu droit à un cours au restaurant Fakanál, aux Grandes halles de Budapest, donné par le chef Olgyai András. Il m'a appris que gulyás (goulache) signifie cowboy. «Le goulache peut se préparer autant avec du boeuf qu'avec d'autres viandes, dit-il. De la dinde, du porc, de l'agneau, etc. Si tu prends du boeuf, le meilleur morceau, c'est le jarret.»

Je vous laisse essayer sa recette (ci-contre). J'ai aimé le goût subtil de paprika qui s'en dégage. András m'a dit que, pour faire un kilo de paprika, il faut 160 kg de poivrons jaune pâle qui, en séchant, changent de couleur. András m'a aussi donné sa recette de crêpes au fromage blanc et cannelle, que vous trouverez également dans nos pages.

Nouvelle cuisine

J'ai mangé de la très bonne cuisine d'inspiration française au Gerloczy, notamment des rognons de veau excellents et un jarret exquis. Au restaurant Robinson, au coeur du splendide parc Városliget, j'ai mangé du très bon foie gras d'oie au torchon, une cuisse d'oie cuite au four et servie avec des sztrapacska (gnocchis de pommes de terre) et une sauce aillée. Le dessert, préparé à la table, comprenait des griottes à la cannelle caramélisées et versées sur une crème glacée à la vanille maison. Excellent repas.

J'ai mangé aussi une très bonne carpe à la serbe et un peu de viande fumée façon Schwartz's au restaurant Fülemüle (Alouette) tenu par Singer András, un amoureux de Montréal, dans le quartier juif de Budapest.

Mais j'ai vraiment été subjugué par la nouvelle cuisine hongroise au restaurant qui semble le mieux l'incarner sur les bords du Danube, soit le Bock Bisztro du chef Lajos Biro, rue Erzebét körút.

Blotti contre l'hôtel Corinthia Grand Hotel Royal, le Bock Bisztro, qui appartient au vigneron hongrois József Bock, a un décor intérieur assez simple, avec de grosses lampes de type industriel et d'immenses ardoises pour les suggestions du jour.

Lajos Biro et son équipe inventent des plats avec des produits tout aussi simples et à peine transformés. Il crée par exemple des «sushis hongrois» où le foie gras d'oie local remplace le riz et se conjugue à du gingembre mariné et à de l'anguille légèrement cuite, le tout accompagné d'une mayonnaise au wasabi. Le mélange de foie gras tiède, de gingembre froid et de poisson chaud est divin.

Cette excellente mise en bouche arrivait avec un vin hongrois, le Uragya Tokaji Furmint 2000, au nez plein, sauternisé, un peu vanillé mais sec en bouche.

J'ai eu droit ensuite à un pétoncle tandoori épicé au paprika et aux herbes servi sur une gelée de museau, d'oreilles et de menton de porc. Stupéfiant! Le vin qui l'accompagnait, un Villányi rosé 2009, de la maison József Bock, avait un goût léger et délicat.

Le serveur, Gábor, m'a ensuite apporté un amuse-bouche constitué d'une crête de coq bouillie présentée avec deux morceaux légèrement cuits de saucisson hongrois au paprika, le tout nappé d'une sauce à la crème, aux champignons, au basilic et à l'oignon. Le tout était servi avec un Bock Kadarka 2008, vin rouge léger.

Gábor m'a alors expliqué que toute la charcuterie servie ou utilisée pour les préparations provenait d'un village situé à 200 km de Budapest. Quand on «tue le cochon», on y prépare tout ce dont a besoin le restaurant. «C'est moins cher et c'est meilleur, dit Gábor. Et on sait d'où vient la viande.»

Le plat principal était du cou de veau autrichien, viande très tendre, présenté avec foie gras cuit et servi avec des galuska (petits gnocchis ronds à base de farine), des rondelles de rognon de veau à l'ail et à l'aneth, des oignons, des champignons et une sauce au paprika. Ce plat consistant, équilibré et délicieux était accompagné d'un vin rouge Sekszárdi cabernet sauvignon 2007 de la maison Eszterbauer Borászat.

Pour attendre le dessert, la maison m'a offert un verre de Bock 2004 Villányi, Bock Cuvée, le meilleur vin de la maison József Bock, m'a dit le serveur. Un vin composé de 60% de cabernet sauvignon, 30% de cabernet franc et 10% de merlot. Excellent et vendu sur place 17 866 forints la bouteille, soit environ 100$.

Pour finir ce repas gastronomique, le serveur m'a apporté une crème glacée au tabac accompagnée d'une crème au chocolat brûlé et sucre «pétillant». C'était effectivement un tabac!

La glace ressemblait à une crème caramel. Dès la première cuillerée, on goûtait bien le tabac! Finalement, la nicotine finit par piquer un peu la langue. Quant au chocolat brûlé, la crème était délicieuse, pas écoeurante, et les effets en bouche du sucre pétillant, inédits pour moi. Un feu d'artifice! Le chef Lajos était mort de rire de me voir réagir de la sorte.

Très belle expérience, ce Bock Bisztro. Cette cuisine inventive se détache de la cuisine traditionnelle hongroise, sans la renier pour autant. Le chef, Lajos Biro, est sympathique, va de table en table parler aux clients et débarrasse même les tables en fin de service. Et il a accepté de nous livrer quelques-uns de ses secrets...