«Sens-moi ça», lance Manuel Kak'wa Kurtness, en me filant sous le nez un morceau de viande d'orignal. Il a abattu l'animal il y a trois semaines et travaille maintenant chaque morceau, avec grand soin.

Manuel Kak'wa Kurtness est un chef québécois qui veut faire découvrir la cuisine des Premières Nations. Parce qu'on s'intéresse à la cuisine du monde et à l'alimentation locale, mais qu'on connaît bien peu la gastronomie autochtone, dit-il. «Je ne suggère pas un retour en arrière, mais un retour aux sources», prévient le cuisinier en introduction de Pachamama, son premier livre d'histoire et de cuisine qui sera lancé ces jours-ci.

 

Pour en discuter, il a proposé une rencontre dans son élément naturel: le bois. Une partie de chasse à l'orignal dans la réserve des Laurentides, avec son amoureuse Elsa et leurs chiens Buddy et Milou.

Très longtemps avant de devenir chef, Kurtness était chasseur. Son père lui a appris les rudiments de la pêche et de la chasse. Il lui a aussi appris que c'est toujours la nature qui a le dernier mot. Ainsi, il aura fallu 17 ans avant que Manuel tue son premier orignal. Durant ses premières années de chasse, il est retourné à la maison bredouille. Un seul ours, durant toutes ces années.

Mais tout ce temps dans le bois n'a pas été inutile. Le chasseur a appris à respecter la nature et à la comprendre. Il flaire maintenant les pistes de l'orignal au loin et l'appelle dans un call plaintif, projeté d'un côté à l'autre d'un lac ou d'un bois. Il attend la réponse, patiemment. Durant notre passage, tous les appels restent muets. «Pas de service à ce numéro», rigole Manuel, qui ne s'impatiente jamais. «C'est la nature: tu es généreux avec elle et elle finit toujours par te le rendre, mais c'est elle qui choisit le moment», répéte-t-il, au grand désespoir du photographe de La Presse qui rêvait de revenir à son domicile montréalais avec des «cornes de buck». Aucun orignal en vue à la fin de la première journée.

De retour au camp de chasse pour le souper, Elsa a sorti des photos de leur dernière récolte.

La bête dont la viande finit dans nos assiettes en ce soir de première neige était impressionnante. Sa découpe aussi. Sitôt abattu dans le bois, les chasseurs taillent l'orignal en morceaux. «J'ai appris à débiter très jeune, avec ma famille», explique le chasseur. Lorsque l'on tue un animal, le respect commande d'utiliser chaque partie de son corps, que ce soit comme nourriture ou pour confectionner divers objets et vêtements, estime-t-il.

En cuisine, la langue est braisée. L'immense foie est préservé. «Très facile à cuisiner, explique Manuel, et excellent.» Le museau est aussi cuit, pelé et mangé. Traditionnellement, il est offert aux aînés de la famille qui espèrent ainsi acquérir un peu du flair de l'animal.

Pachamama

Manuel Kak'wa Kurtness vit à Mashteuiatch la seule communauté autochtone du Saguenay-Lac-Saint-Jean, où se trouve aussi toute sa famille. Il a quitté son coin de pays pour étudier l'art culinaire à Québec il y a quelques années, mais est retourné chez lui sitôt son diplôme en main. Il rêve d'ouvrir un restaurant au Lac où les traditions culinaires des Premières Nations seraient célébrées comme elles le méritent. Il a déjà animé une émission de cuisine où il demandait à des grands chefs d'utiliser des ingrédients autochtones. La série Pachamama - qui signifie Terre-Mère, a été diffusée au réseau APTN (Aboriginal Peoples Television Network). Le livre est une suite idéologique de cette série, mais il trouvera un public plus large.

L'ouvrage s'annonce, à juste titre, comme un «livre pratique ethno-gourmand». Pratique parce que c'est un livre de recettes. Gourmand parce qu'il est magnifique. Les images de soupe au maïs, de moules et lapin braisé font saliver. L'ouvrage est beau comme les livres des grands chefs populaires qui ont bien compris que leurs recettes sont beaucoup plus regardées qu'exécutées. C'est toutefois la partie ethnologique qui rend Pachamama unique. Kurtness est rusé. Il savait bien qu'un livre sur les origines d'une douzaine de peuples des Premières Nations récolterait une revue de presse confidentielle et des ventes équivalentes. Il a plutôt habilement expliqué l'histoire des Algonquins, des Odawas et des autres communautés très brièvement, pour vite tomber dans leurs traditions culinaires. Les textes, courts et efficaces, mènent aux recettes qui ne sont pas intimidantes. On y retrouve beaucoup de poisson. Un fish&chips classique, un tartare de saumon, du doré servi avec du calmar. «Ça fait un lien entre les profondeurs de la mer et les profondeurs de nos lacs», explique le chef.

On y trouve beaucoup de légumes aussi. Les Mohawks, par exemple, étaient des agriculteurs sédentaires. Ils cultivaient le maïs. Manuel a concocté une recette de pain de maïs, différente de la préparation traditionnelle, puisque cuite au four. L'idée est de s'inspirer des traditions culinaires des nations amérindiennes pour créer des plats simples, authentiques, mais néanmoins modernes. C'est pourquoi il n'a pas hésité à mettre de la pancetta dans sa salade d'esturgeon ou de la sauce soya dans son bouillon de canard. «Je propose un retour aux sources, pas un retour en arrière», précise-t-il.

Bien sûr, il y aussi des plats traditionnels qui demandent des ingrédients surprenants. «Trois écureuils» comme premiers ingrédients pour la recette de gibier en sauce qui lui rappelle la cuisine de sa mère - bien que l'écureuil ne se consomme pas régulièrement chez les Kurtness!

Quel goût a le castor?

L'auteur propose aussi gentiment d'utiliser du porc, dans sa recette de castor au paprika et au yogourt, si on n'a pas de rongeur sous la main. Le castor a toutefois un goût unique, que le cuisinier n'arrivait pas à décrire en mots, et une texture très filandreuse. Comment peut-on trouver un castor à Montréal, Manuel? «Très facile!» répond-il. On est toujours plus près d'un chasseur (ou d'un trappeur, dans le cas du castor!) que l'on croit, dit Manuel. Demandez autour de vous: La loi du six degrés de séparation est aussi valable pour le trappeur: on connaît toujours quelqu'un qui a un chasseur dans la famille, dit-il.

Nous avons passé 36 heures avec Manuel, Elsa et les chiens. À déguster des plats d'orignal, dont un sublime tartare. «Le cru a toujours existé dans notre alimentation, explique Manuel Kurtness. C'est une forme de respect, comme le premier contact avec l'animal.» Pour nous, ce fut aussi le seul contact avec l'animal. Nous avons parcouru le parc à vive allure en 4x4 à la recherche de l'orignal, mais il nous précédait toujours d'une petite demi-heure, selon ce que nous révélaient ses traces. La nature a eu le dernier mot.

Pachamama, Cuisine des Premières Nations,

Manuel Kak'wa Kurtness, 184 pages, Boréal.

Parution: le 27 octobre

Tartare de chevreuil

C'est un tartare tout ce qu'il y a de plus classique. La seule différence, c'est que j'y ai mis de la viande de chevreuil. Vous pouvez, si vous le désirez, la remplacer par une autre viande rouge. Cependant, l'animal de forêt, à cause de son alimentation, a une viande au goût unique. Les Premières Nations utilisaient des marinades à sec pour la parfumer, non seulement pour le goût que cela pouvait lui donner, mais aussi pour en masquer l'odeur naturelle et éviter qu'elle attire d'autres animaux sauvages, surtout après quelques jours.

Ingrédients (pour 1 personne)

100 g de chevreuil maigre

1 c. à soupe d'échalotes françaises ciselées

1 c. à soupe de ciboulette hachée

2 c. à café de câpres hachées

1 c. à soupe d'estragon haché

1 c. à soupe de persil haché

1/4 c. à soupe de pâte de piment

1 jaune d'oeuf

Patates grelots

1 c. à soupe de beurre

Préparation

Hacher la viande de chevreuil. Mélanger avec les échalotes françaises, la ciboulette, les câpres, l'estragon, le persil et la pâte de piment. Assaisonner au goût. Creuser le centre de la galette de viande et y déposer le jaune d'oeuf. Faire bouillir les patates grelots et les écraser. Faire cuire dans une poêle avec le beurre moussant.

Servir le tartare accompagné des patates grelots.

Grosse côte de cerf à l'oignon

(c) Ingrédients (pour 4 personnes)

Grosse côte de cerf à l'oignon

4 côtes de cerf

2 gros oignons blancs

4 c. à soupe de beurre

1 c. à soupe de vinaigre de vin

3 bottes d'oignons verts

1 grosse tomate

5 échalotes françaises

125 ml (1/2 t.) de vinaigre de xérès

3 branches d'estragon

250 ml (1 t.) de vin rouge

2 c. à soupe de poivre noir grossièrement écrasé

Poivre blanc

Beurre

1 botte de ciboulette

Préparation

Couper finement les oignons et les cuire dans une grande casserole avec le beurre. Assaisonner avec du poivre blanc et du sel. Cuire à feu doux pendant 30 minutes puis passer au robot culinaire. Couper en diagonale deux des bottes d'oignons verts en morceaux de un centimètre.

Dans une autre casserole, faire cuire à feu vif dans le beurre. Ajouter la purée d'oignon et le vinaigre de vin. Éplucher les échalotes françaises et les couper en lamelles. Dans un petit chaudron, combiner les échalotes françaises, le poivre noir, l'estragon, le vin et le vinaigre de xérès. Réduire le tout à sec et retirer les branches d'estragon.

Assaisonner les côtes de cerf et les faire griller sur le barbecue avec quelques tranches de tomate et la dernière botte d'oignons verts.

Pout la présentation, mettre un peu de ragoût d'oignons verts dans le fond de l'assiette. Ajouter quelques oignons verts grillés ainsi qu'une tranche de tomate rôtie. Compléter avec la côte de cerf et les échalotes réduites. Accompagner de ciboulette fraîche hachée finement.