Le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) a ordonné plus tôt ce mois-ci la destruction de la moitié de la production de fromages au lait cru d'une petite entreprise des Cantons-de-l'Est après la découverte d'une contamination possible à la bactérie Listeria. Une première en 2018.

La sentence est tombée le 6 octobre pour la Ferme écologique Coop d'Ulverton, qui a dû procéder à la destruction de 500 kg de fromages après que des tests ont révélé la présence de Listeria sur une planche à découper. Le coupable a été trouvé: la saumure dans laquelle sont plongés les fromages, qui a aussi été mise au rebut.

«On a fait un grand, grand nettoyage. On attend les derniers résultats des analyses, mais on est confiants d'avoir réglé le problème», explique Maurice Richard, fromager et fondateur de la Coop. La production a déjà recommencé: le MAPAQ viendra faire de nouvelles analyses avant la mise en marché des fromages, qui sera autorisée après 60 jours d'affinage au minimum lorsqu'un lait non pasteurisé est utilisé.

N'empêche, c'est un coup dur pour l'entreprise, note Maurice Richard, qui reproche au MAPAQ d'avoir publicisé le rappel alors que les fromages visés étaient déjà soit détruits, soit entreposés à la fromagerie en attendant des résultats plus poussés.

«Ça nous a fait mal, tout ce qui devait être fait avait déjà été fait, les fromages n'étaient pas en circulation.»

Son fils, propriétaire de la chèvrerie, a déjà entrepris de vendre une dizaine de bêtes pour réduire la production, mais on continuera d'utiliser du lait cru, ni pasteurisé ni thermisé. «C'est être ou ne pas être, pour nous», dit M. Richard.

Des règles plus strictes qu'en Europe?

Maurice Richard estime que les fromagers québécois sont soumis à des règles de salubrité plus strictes que les fromagers français et européens, une situation d'autant plus irritante que ces derniers profitent cette année du nouvel accord de libre-échange avec l'Union européenne facilitant les importations sans tarifs douaniers. «Ce n'est pas plus ou moins strict ici, mais il y a des philosophies différentes de gérer l'innocuité», note plutôt le directeur du Centre d'expertise fromagère, Mario Béland, qui estime que les règles sont plus strictes pendant la fabrication en France, alors qu'elles le sont davantage sur le produit fini au Québec.

Dix ans après une crise qui a frappé de plein fouet l'industrie des fromages québécois, «les cas de listériose sont de plus en plus rares», indique M. Béland. «Notre industrie s'est énormément disciplinée, elle a mis en place des pratiques plus rigoureuses.» Le MAPAQ ne tient aucune statistique des rappels de produits alimentaires avant 2016; un seul autre cas a été signalé au cours des deux dernières années. L'Agence canadienne d'inspection des Aliments en compte cinq depuis 2016, dont quatre pour des fromages importés, comme le Comté mis en marché par Agropur. La majorité des rappels liés à la listériose touchent plutôt des charcuteries.

Les défis du libre-échange

Actuellement, les fromagers artisans sont surtout inquiets de la signature des derniers accords commerciaux avec l'Europe, puis avec les États-Unis, remarque toutefois Mario Béland. «Je pense que ces inquiétudes sont légitimes», dit-il. Des formations sont offertes cet automne sur les moyens d'utiliser les sous-produits de la fabrication du fromage, le lactosérum. «Les gros acteurs le font depuis longtemps, ils ont les moyens financiers de mettre en place une deuxième transformation. Les artisans, eux, après s'être beaucoup concentrés après 2008 sur la rigueur, sont maintenant rendus à cette étape.» 

D'autres miseront sur l'étiquetage, comme Marie-Chantale Houle, de la fromagerie Nouvelle-France, qui a été parmi les premières à préciser sur les étiquettes de ses produits qu'ils sont faits au Québec de lait québécois. «C'est sûr que les nouveaux accords nous préoccupent, dit celle qui est aussi l'un des membres du conseil d'administration de l'Association des fromagers artisans du Québec. Il y aura de plus en plus de fromages importés sur nos marchés, mais on ne mangera pas plus de fromage.»