Le café n'est pas qu'une boisson utilitaire qui aide à démarrer une journée. Les lieux qui ont été créés pour le consommer sont également des endroits de rassemblement, où l'on s'installe souvent comme si l'on était chez soi.

En sa qualité de sociologue, Monique Eleb a parcouru les cafés de Paris et de Los Angeles. « Quand on était très jeunes chercheurs, on admirait le fait que des sociologues s'intéressent à des questions qui paraissent triviales, qui sont la vie quotidienne la plus banale », dit-elle.

Les interviews qu'elle a menées dans les cafés lui ont fait réaliser que ces lieux n'ont rien de banal. Au tournant des années 2000, à Los Angeles, elle a observé que les cafés créaient une « nouvelle sociabilité ». « Il y avait des quartiers très tristes, très plats, et quand des cafés allaient s'y installer, le quartier reprenait vie », dit la chercheuse. Dans cette ville où la voiture est reine, on recommençait à marcher pour aller au café.

Ses observations l'ont amenée à qualifier les cafés de « troisième lieu », soit une zone qui, dans les grandes villes, fait office de tampon entre le lieu de travail et la maison.

Lieux de rencontres

Au café Ferlucci, dans le quartier Villeray à Montréal, Gianni Pezzulo a tenté de recréer l'ambiance des cafés italiens qu'il fréquentait avec son père tout en y apportant une touche de modernité. « D'habitude, les cafés italiens, c'est une place pour aller jaser, se parler de nouvelles, discuter de tout et de rien », dit-il.

Il croit que le style de service influe sur l'ambiance. « On se met à jaser tout de suite avec les gens quand ils entrent, on les accueille. C'est pas juste "prends ton café et va t'asseoir" ! On a de la place au bar aussi, et puis la musique n'est pas trop forte ni trop basse. »

À plusieurs centaines de kilomètres de là, à Carleton-sur-Mer en Gaspésie, la Brûlerie du Quai est aussi un lieu de rendez-vous pour les gens du coin. Si l'entreprise se veut d'abord une maison de torréfaction, reste que le petit café qui jouxte l'atelier de production est essentiel, même si le gros des ventes se fait en saison touristique.

« L'hiver, les ventes, c'est pourri, dit le copropriétaire Dany Marquis. On a eu des années difficiles où on se disait qu'on devrait fermer l'espace client l'hiver pour se concentrer sur nos clients web et commerciaux. Mais il y a une base de 60 ou 70 clients récurrents, les habitués du matin, beaucoup de retraités qui viennent et qui regardent le journal, qui jasent politique, qui s'obstinent. Il y a des gens qui viennent tous les jours... où iraient-ils sinon ? »

Et que font ces habitués quand les touristes débarquent en masse l'été ? « Au mois de juin, mes clients habituels arrêtent de venir, ils trouvent qu'il y a trop de monde, dit Dany Marquis. Ils reviennent l'automne, quand la marina ferme... »

Là pour de bon

À l'heure du tout WiFi et des cafés qui font office de lieux de travail, la fonction de sociabilité des cafés est-elle malmenée ? Pas du tout, répond Monique Eleb. « Les cafés sont alors un peu comme les bibliothèques : chacun y a sa place et quand on y va souvent, on sait qui on va retrouver. C'est un rendez-vous tacite et c'est un phénomène très important dans les cafés. »

Si on va au café plutôt que de rester à la maison pour travailler, c'est pour ne pas être seul chez soi, rappelle Monique Eleb. « C'est mieux de se sentir humain parmi les humains, dit-elle. Beaucoup de gens disent qu'ils ne vont pas dans les cafés pour boire. Aller au café, c'est aller au café, dans le lieu. La boisson, c'est le billet d'entrée. »