Vous l'avez peut-être connu au «petit écran» (sur Netflix), dans l'émission Cooked (épisode «Air»), avec Michael Pollan. Richard Bourdon y va de ses théories sur la digestibilité du blé et nous donne envie d'engloutir miche après miche de pain au levain. Nous sommes allés le rencontrer dans sa boulangerie du Massachusetts et avons découvert un personnage coloré, étourdissant... et pétri de contradictions.

La Berkshire Mountain Bakery est abritée dans un bâtiment en brique de 7000 pi2. Ce n'est pas une «petite» boulangerie artisanale, mais c'est artisanal néanmoins. Il y a un comptoir à l'avant où l'on peut acheter pains, viennoiseries, pâtisseries et pizzas à faire cuire chez soi. Puis lorsqu'on franchit la porte de l'atelier de production, il y a de la farine partout, partout, partout. Jusque dans les toilettes du deuxième étage. Conseil: ne pas s'habiller en noir!

Richard Bourdon est débordé. Un de ses boulangers est malade. Le patron est donc forcé de travailler doublement. On commence à discuter avec lui tandis qu'il étend, étire, découpe, enfourne des dizaines de miniciabattas - il en fait 7000 par semaine. Ses gestes répétitifs d'une redoutable efficacité sont ceux d'un artisan aguerri. L'homme bien charpenté et hyperactif aura 60 ans en novembre. Les 38 dernières années ont été consacrées à la boulangerie.

Dans son petit village du Massachusetts, Housatonic, les gens sont unanimes: Richard n'est pas un fainéant. «Je ne connais personne qui travaille aussi fort que Richard», lance la propriétaire de notre coquet motel rénové, le Briarcliff, lorsqu'elle apprend que nous allons à la boulangerie.

Né au Témiscamingue, élevé à Ottawa, Richard Bourdon a appris son métier en Europe. Tandis qu'il étudiait le cor français au Conservatoire royal de La Haye, il a senti l'appel de l'alimentation. Une petite annonce publiée dans le journal a scellé son destin: «Intéressé par la production alimentaire avec un agriculteur ou un boulanger.» «C'est le boulanger qui a rappelé en premier!», aime raconter le passionné.

L'homme a vécu sa vingtaine dans les belles années du peace and love. Aussi son objectif premier était-il de faire un pain pour contribuer à bâtir un monde meilleur! Près de 40 ans plus tard, les motivations du boulanger sont toujours les mêmes.

La star actuelle de la boulangerie américaine, Chad Robertson, consacre un passage de son livre Tartine Bread à Richard Bourdon, son premier mentor. «L'objectif de Richard était de faire de la "nourriture saine" [...]. Il insistait pour fermenter sa pâte avec un levain naturel pendant longtemps, convaincu que ce processus rendait les éléments nutritifs des grains entiers plus digestes», écrit-il.

Quand il commence à causer nutrition et digestion, Richard Bourdon n'est plus arrêtable. Par chance, il est bon pédagogue! «Pour que les céréales soient digestes, il faut soit les faire fermenter, soit les faire germer. C'est ce qui permet de neutraliser l'acide phytique», nous explique-t-il en dévorant un burger géant avec frites de patates douces, qu'il accompagne d'une Stella Artois et d'un verre de pinot noir. 

«[L'acide phytique] se lie aux minéraux et nous empêche de les digérer. À quoi bon manger plein de beaux grains entiers si on ne les digère même pas?»

Le lendemain matin, nous avons droit à la leçon sur l'importance de la gélatinisation de l'amidon par la cuisson, à ses hypothèses sur le premier pain du monde «qui devait ressembler à une espèce de gâteau sec écossais», et aux théories du docteur Weston A. Price. Fascinant... et étourdissant!

Le goût du pain

Certes, le goût du pain importe à Richard Bourdon. Mais ce n'est pas sa priorité. (Rassurez-vous, ses pains sont quand même délicieux!) « Notre pain n'est pas croustillant. Il ne sort pas du four. Je le congèle et je sors des miches à mesure. C'est le pain "du jour", mais pas le pain du matin même. C'est quoi, la fraîcheur, de toute manière? Un pain qui sort du four? Peut-être. Mais moi, je veux un pain qui sera encore bon dans cinq jours.»

L'utilisation de levain naturel et d'un taux d'hydratation élevé - Richard Bourdon travaille avec un taux qui varie de 72 % à 90 %, selon les farines, soit 720 g d'eau pour 1000 g de farine, etc. - permet de prolonger la vie du pain.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Les pains produits à la Berkshire Mountain Bakery sont tous à base de levain.

La fermentation est une étape-clé dans la fabrication du pain au levain, c'est sûr. Mais le boulanger du Massachusetts remet en question la nécessité de fermentations très poussées, forcément conduites à basse température.

«Lorsqu'on refroidit la pâte, on ne fait que ralentir l'activité. Moi, je pratique une fermentation rapide et dangereuse! Je fais un usage judicieux du froid, quand c'est nécessaire, pour calmer un peu le jeu. Mais j'ai choisi le chemin rapide et je suis convaincu qu'on arrive à peu près aux mêmes résultats, tant sur le plan du goût que sur celui de la digestibilité.»

Le goût du levain

Les pains produits à la Berkshire Mountain Bakery sont tous à base de levain. La croûte naturellement robuste et la mie un peu acide - comme le décrit le terme anglais «sourdough» - font saliver beaucoup plus qu'une baguette blanche à la levure. Comme bien des choses, le pain au levain peut être un goût acquis.

«Un client m'a raconté, un jour, qu'il avait rapporté une de mes miches à la maison. Le lendemain matin, il la cherchait partout, pour se faire des toasts. Sa fille lui a dit: "Oh, le pain? Je l'ai jeté. Il était suri!"»

De toute évidence, le combat pour faire manger du meilleur pain aux Américains n'est pas terminé pour Richard Bourdon. Heureusement, il a l'intention de vivre jusqu'à 120 ans!

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

De la farine couvre toutes les surfaces de l'atelier de production de la Berkshire Moutain Bakery.