Chef célébrée de Boston, Ana Sortun est tombée sous le charme de la cuisine turque lors d'un voyage en Anatolie. Depuis, elle ne cesse de revisiter les parfums envoûtants et les techniques raffinées au fil des millénaires de cet immense pays. La chef qui a brillé au plus récent festival Montréal en lumière a accepté de nous livrer quelques-unes de ses trouvailles.

Parfums d'Orient

Dans les années 90, Ana Sortun pratiquait une cuisine méditerranéenne dans laquelle les parfums de l'Espagne, du sud de la France et de l'Italie fricotaient délicieusement. Puis, elle a fait un voyage en Turquie qui a changé sa vie. Aujourd'hui, ses trois adresses bostoniennes, bientôt quatre, sont autant d'hommages à une cuisine infusée de savants mélanges d'épices.

Spice, c'est d'ailleurs le nom de son premier livre de recettes. L'ouvrage est en quelque sorte le manifeste du restaurant Oleana, le premier que la chef a ouvert, en 2001. Un nouveau livre sera publié à l'automne 2016, avec les recettes de sa pâtisserie-sandwicherie, Sofra, dont une deuxième succursale doit ouvrir dans la prochaine année. Reste Sarma, le p'tit dernier, un populaire restaurant à mezze, où les plats sont servis sur guéridon.

Son premier contact avec la vraie cuisine turque, l'Américaine originaire de Seattle l'a eu à l'invitation d'une journaliste et auteure de livres de cuisine. Cette dernière avait mangé au Casablanca, mythique restaurant de Harvard Square, où travaillait Ana Sortun à l'époque. Malgré son nom, Casablanca n'était pas un restaurant marocain, mais méditerranéen au sens large. Pourquoi ne pas ajouter quelques délices turques à son répertoire ?

Un voyage marquant

La jeune chef s'est alors retrouvée à Gaziantep, une ville reconnue pour sa cuisine, située près de la frontière avec la Syrie. « Là, on m'attendait pour le lunch. Trente femmes avaient préparé un festin constitué de dizaines de petits plats. J'ai goûté à TOUT. Ce qui m'avait surprise, au-delà du fait que tout était délicieux, c'était à quel point je ne me sentais pas lourde du tout après le repas. » Ce fut le point de non-retour.

Les épices et leur savant dosage sont une des clés de la cuisine turque. Chez Sofra, Mme Sortun propose d'ailleurs des mélanges d'épices tout à fait divins. Une collègue nous en avait rapporté de Cambridge. Le baharat et le mélange à kofte ont été le prétexte de braisés, de grillades et même de brouillades d'oeufs mémorables !

« C'est facile de rendre tout bon en utilisant du beurre. En Turquie, la cuisine repose sur de bonnes épices, de la bonne huile d'olive, du bon yogourt», affirme Ana Sortun.

« Plutôt que d'alourdir les viandes avec du gras, on les agence avec un élément un peu acide, comme la mélasse de grenade, le citron confit, etc. », ajoute-t-elle.

Depuis son initiation il y a une vingtaine d'années, Mme Sortun retourne en Turquie au moins une ou deux fois par an. Elle y accompagne même des groupes dans le cadre de voyages gastronomiques. À chaque nouveau séjour, elle s'impose une spécialité à perfectionner. Il y a eu le pide, sorte de pizza turque en forme de chausson (« slipper », dit la chef). Puis elle s'est mise à la recherche du parfait pain yufka. À son prochain voyage, elle apprendra comment préparer le tarhana, une poudre épaississante à base de yogourt, de blé et de légumes fermentés et déshydratés. On l'utilise surtout dans les soupes. Bref, la chef lauréate d'un prix James Beard est loin de se reposer sur ses lauriers.

Une démarche personnelle

Mais si elle s'intéresse aux recettes traditionnelles, ce n'est pas nécessairement pour les reproduire à la lettre. « Je n'ai pas une démarche anthropologique. Je préfère interpréter les plats à ma manière. »

Naturellement, la chef doit utiliser beaucoup d'ingrédients qui viennent de loin, comme les épices, l'huile d'olive, etc., mais elle a le luxe de pouvoir s'approvisionner ultra-localement pendant la belle saison. Son mari est agriculteur. Il dirige les fermes Siena - aussi le nom de la fille du couple -, 75 acres de terres agricoles protégées où poussent des légumes pour plusieurs restaurants de Boston, quelques marchés et 750 abonnés de paniers.

Finalement, Mme Sortun et ses précieux partenaires et collaborateurs ont bâti au fil du temps un bel empire autour de la cuisine turque, permettant aux Bostoniens de découvrir des parfums rares et inusités.

De ce côté-ci de la frontière, on profite des belles recettes que la chef nous a fournies pour cuisiner avec le mastic (résine de pistachier lentisque), l'eau de rose, l'orchidée et le citron confit, des parfums d'Orient qui appellent le printemps.

Consultez le site du restaurant Oleana.

Quand la Turquie rencontre la Sicile

Les 24 et 25 février, Ana Sortun a cuisiné au restaurant Graziella, dans le cadre du festival Montréal en lumière. La chef bostonienne a adoré cuisiner à quatre mains avec Graziella Battista et son équipe. 

« Il y a beaucoup d'influences arabes dans la cuisine sicilienne et plusieurs ingrédients qui rappellent la cuisine turque. Entre les pois chiches, l'huile d'olive, le yogourt à la place de la ricotta, des bonnes tomates italiennes en boîte, etc., nous avions de quoi nous amuser. » 

Élyse Lambert, en route pour le Concours A.S.I. du meilleur sommelier du monde, avait pour sa part déniché des vins à boire avec ces plats complexes qui posent bien des défis aux amateurs d'accords parfaits.

Deux vins blancs goûtés lors de la soirée

Vignaverde 2014 de Marco di Bartoli, 26,90 $ (12755152)

Servi à l'apéro, le Vignaverde 2014 de Marco di Bartoli, en IGT Terre Siciliane, est d'une exquise fraîcheur, avec son goût de carambole. Élaboré à partir du cépage grillo, il est l'exemple parfait du renouveau du vignoble sicilien.

Praia 2012 de Salvatore Murana 30 $ (12640478)

Ce blanc est à servir avec des plats particulièrement exubérants. Lui-même très riche et aromatique, ce vin de muscat (moscato d'Alessandria) ne se fera pas éclipser par les épices dans l'assiette.