Alors que nous avons entamé une ère de détérioration constante de la planète causée par l'être humain, ne pas avoir d'enfants serait-il une des solutions pour limiter nos dégâts? Serait-il même plus juste pour ces enfants de leur épargner la misère qui s'annonce en ne les mettant tout simplement pas au monde? Anthropocène - L'époque humaine, documentaire arrivé il y a deux semaines sur les écrans montréalais, alimente le débat.

«J'ai peur de faire vivre la fin du monde à mon [enfant]! Peut-être que je devrais profiter de ma vie personnelle au lieu de mettre au monde un enfant qui va vivre les changements climatiques et la pollution ou peut-être la guerre», dit tout de go Mylène Bonneau.

Écologiste, la jeune femme de 23 ans a une position ferme: pas question de procréer. «J'adopterai et ma famille sera végane, organique et zéro déchet le plus possible», explique-t-elle.

Mylène n'est pas la seule à avoir tiré un trait sur l'idée de mettre des enfants au monde par conviction. La Presse a parlé à une demi-douzaine de personnes pour qui c'est le cas, et la plupart estiment qu'il serait injuste de faire naître un enfant dans un monde qu'elles considèrent comme en danger.

Nous avons franchi une nouvelle ère terrestre: l'«anthropocène», qui signifie littéralement «l'âge de l'Homme». Ce concept géologique attribue la transformation de l'écosystème de la planète à l'activité humaine, ce qui caractérise une nouvelle époque de l'histoire qui a débuté lorsque l'empreinte des humains a commencé à se répercuter sur la Terre.

C'est le sujet abordé par un trio de réalisateurs canadiens dans le documentaire Anthropocène. Le film illustre, par des images tournées sur plusieurs années, les conséquences de la consommation excessive des humains sur le développement naturel de la planète: des usines par milliers aux coupes massives d'arbres en passant par le braconnage et les dépotoirs géants.

Récemment, la chroniqueuse Josée Blanchette a avoué durant l'émission Gravel le matin à ICI Radio-Canada Première que «la beauté douloureuse» de ces images l'avait persuadée qu'il ne fallait plus «mettre d'enfants sur cette Terre», et a même affirmé que «si c'était à refaire», bien qu'elle «adore» son fils, elle n'aurait pas eu d'enfant elle-même.

En réponse au constat des effets nocifs des actions humaines, un mouvement s'installe. De nombreuses personnes, de jeunes adultes souvent, décident de ne pas avoir d'enfants, motivés par leur conscience environnementale. 

«Je ne crois pas qu'avoir des enfants m'apportera ou leur apportera du bon à long terme. Je n'aurai pas d'enfants parce que je ne souhaite pas faire entrer une vie humaine dans un monde aux enjeux environnementaux de plus en plus importants en temps réel», explique Maude Singcaster, 23 ans.

Romain Briquet souligne quant à lui qu'il a «peur» et qu'il est «très incertain pour son propre avenir», ce qui rend illogique à ses yeux l'idée d'avoir des enfants. «Mon intuition me dit que c'est la bonne décision», confie-t-il.

Ce Belge de 34 ans fait partie d'un groupe sur Facebook nommé «La collapso heureuse» - du terme «collapsologie», soit l'étude de la chute de notre société de l'abondance. Dans cet espace d'échange, plus de 4000 membres se parlent de leurs inquiétudes de voir la civilisation s'effondrer, et beaucoup ne peuvent envisager de procréer alors que le monde, selon eux, court à sa perte.

La décroissance est-elle la solution?

Le mode de vie occidental actuel nous entraîne vers notre fin ou, du moins, vers un changement dévastateur, selon de nombreux rapports, dont, au début du mois, un avertissement signé par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GEIC) de l'ONU.

Ces scientifiques donnent l'alerte sur le risque accru du réchauffement climatique et soutiennent que les années à venir seront les plus déterminantes pour notre société, car les changements deviendront bientôt irréversibles.

L'an dernier, une mise en garde signée par 15 000 scientifiques avertissait des risques élevés que représente notamment la croissance continue de la population mondiale. Cet argument interpelle de plus en plus de personnes, inquiètes d'ajouter un pollueur de plus aux 7 milliards déjà actifs (à plus ou moins grande échelle).

Le salut de l'humanité réside-t-il alors dans une décroissance de la population? C'est ce que croit le groupe Démographie responsable, qui oeuvre «pour la stabilisation, voire la diminution, de la population humaine, en incitant à l'autolimitation de la natalité». Les Ginks (pour Green Inclination No Kids), elles, sont des femmes qui renoncent à procréer puisque les problèmes environnementaux sont liés à la surpopulation.

«Plus il y a d'humains, moins il y a de ressources pour tous, note la Montréalaise Sandra Lachance, 21 ans. À cause de notre mode de vie de surconsommation, notamment en Occident, on est en train d'épuiser les ressources planétaires.» Elle sait déjà qu'elle n'aura pas d'enfants biologiques. Elle considère comme «plus sage» de devenir famille d'accueil ou d'en adopter si elle décide un jour de fonder une famille.

Moins consommer

Les personnes soucieuses de l'environnement n'adoptent évidemment pas toutes l'idée voulant que faire un enfant soit nuisible à la planète. Même parmi les personnes intéressées par la collapsologie, certaines ont confié à La Presse ne pas vouloir s'empêcher de fonder une famille.

Pour beaucoup, c'est à la surconsommation qu'il faut s'attaquer au plus vite plutôt qu'à un problème démographique.

Martin Carpentier, père de deux enfants, refuse de croire que «tout est foutu», même si «ça sent l'effondrement de nos sociétés». 

«Je pense qu'en éduquant mes enfants de manière à avoir un impact minimum sur la planète, ils seront plus à même de convaincre ou d'entraîner d'autres enfants dans cette direction, ce qui permettra une réduction plus importante de l'impact environnemental.»

Sa famille possède un potager de permaculture et prépare sa maison dans l'objectif d'atteindre un maximum d'autosuffisance.

Florian Besset dit de son côté être contre l'idée que c'est le «nombre global qui joue comme poids sur la planète». Il croit que les populations occidentales n'ont pas à se priver de procréer, mais qu'il faut plutôt réduire ses besoins pour que l'existence d'une partie de la population ne soit plus considérée comme néfaste.

«Le 1 % bouffe autant de ressources [qu'une grande partie] des plus pauvres. Le problème n'est pas démographique, dit-il. Moi, je vis en Occident et consomme comme un Indien. Et je n'ai pas l'intention de me priver d'avoir une famille!»

Photo Martin Chamberland, archives La Presse

Récemment, la chroniqueuse Josée Blanchette a avoué durant l'émission Gravel le matin à ICI Radio-Canada Première que «si c'était à refaire», bien qu'elle «adore» son fils, elle n'aurait pas eu d'enfant elle-même.