Elle a vendu plus de 40 000 billets, fait une tournée du Québec, rempli des salles à craquer, et fera même la clôture du Grand Montréal comédie fest l'été prochain. Avec qui? Des femmes, seulement des femmes, toutes des mères, ordinaires, par-dessus le marché. La Presse a voulu savoir comment Bianca Longpré, qui vend, prêche et défend une maternité tout sauf sexy, attire ainsi les foules. Récit.

Fin avril. Nous sommes à Saint-Eustache, à la cabane à sucre Sous le charme des érables. Tranquillement, le stationnement se remplit. Un brigadier dirige les voitures et aide les conducteurs à se placer. Des femmes arrivent par petits groupes, en jasant et rigolant, et se placent tranquillement dans la file. Parce que oui, il y a file. Une vraie belle file comme devant les restaurants tendance le dimanche, à l'heure du brunch. Les portes ouvrent dans une trentaine de minutes, mais déjà, des dizaines de femmes attendent, billets en main, le cheveu lissé et le look travaillé, juste assez, mais pas trop arrangées. Pas de doute: on assiste ici à une vraie de vraie soirée de filles.

Six cent mères ordinaires

Bianca Longpré, la chroniqueuse qui vient de publier un livre et de lancer un magazine, est surtout connue par son surnom: «mère ordinaire», et fière de l'être, pourrait-on ajouter.

À l'heure des filtres et des photos parfaites sur Instagram, la blogueuse a en effet choisi de faire un pied de nez au culte de la perfection, et publie religieusement ses réflexions, photos ou vidéos pour ses 200 000 abonnés sur Facebook, mettant en scène ses trois enfants (des experts pour mettre la maison en désordre) ou son mari (l'humoriste François Massicotte, alias son «quatrième enfant»). Elle raconte sa cour crottée au printemps, ses lundis matin difficiles, ou ses journées de congé où elle est épuisée. Sans oublier ses photos ratées à côté des photos parfaites de ses amies parfaites. Son slogan? «J'ta boutte», avec beaucoup d'humour et autant de sincérité, sans oublier un beau grand verre de «vino» et plusieurs sacres bien sentis pour faire passer le tout. Et trouver la force de continuer.

Mais mine de rien, celle qui a déjà traité son fils de «p'tit ben Laden», qui a tant semé la controverse avec une chronique coup de gueule adressée aux gens sans enfant («Tu m'en dois une», laquelle lui a carrément valu des menaces de mort), attire ici non seulement la sympathie, mais surtout la complicité des femmes.

La preuve: fin avril, elles étaient 600 à la cabane à sucre. Six cent, venues de Saint-Eustache, évidemment, mais aussi de Laval, de Terrebonne ou de Montréal, pour assister à une «conférence» de leur seule et unique «mère ordinaire». Et non, à part le photographe de La Presse, et quelques employés, il n'y avait pas l'ombre d'un homme sur place.

Il faut dire qu'ils n'étaient pas invités, la soirée étant vendue comme une «thérapie déculpabilisante» pour femmes seulement: «les mères, belles-mères, grand-mères ou juste amies». Et de toute évidence, elles s'étaient passé le mot.

L'art de déculpabiliser

Plusieurs étaient venues en groupe, à deux, quatre, huit ou carrément vingt-deux. Et personne ne s'est fait prier pour nous expliquer pourquoi.

«Je suis Bianca depuis je ne sais pas combien de temps, elle représente tellement ce qu'on est, confie Marie-Josée Gascon, croisée dans la longue file d'attente du bar, quelques minutes avant le début du spectacle. Quand tu la lis, ça dédramatise: oui, c'est le bordel, t'es fatiguée et à boutte, mais elle vit la même chose. À sa façon, elle dit: "T'es pas toute seule, c'est normal." [...] Je pense que ça peut éviter des thérapies, le fait de rire, de ne pas se sentir isolée, juste de voir comme maman que tu es comme les autres, c'est rassurant!»

C'est sa fille Anabelle Gascon, 22 ans, qui l'a invitée. «C'est mon chum qui a acheté les billets, parce qu'il trouve que je suis une bonne maman, il voulait m'offrir une soirée de maman», dit la jeune mère d'un bébé de 7 mois. Et oui, elle en avait grand besoin. «Parce que c'est dur de décrocher quand t'es une jeune maman...»

Une réflexion partagée par toutes les mères interrogées. «C'est une sortie de filles, la première depuis longtemps!», dit en riant Nadia Caron, accompagnée de deux amies, toujours dans la file, en attendant un verre au bar. «Et c'est beau à voir, chaque fille ici s'est préparée pour cette soirée, juste pour elle, wow, on ne fait tellement pas ça souvent.»

«Je suis super contente de voir ça, ce rassemblement de femmes ici, pour la même raison!», ajoute Denise Perreault, 64 ans, venue, à l'invitation de son gendre, avec sa fille, sa belle-fille et sa bru.

«Cru, direct et explicite»

L'alcool coule à flots et la salle commence à se réchauffer. Quand la «mère ordinaire» monte enfin sur scène, elle est accueillie par un déluge d'applaudissements. Des fous rires. Et d'autres applaudissements encore. Et pendant l'heure et demie du spectacle, ça ne dérougira presque pas. Il faut dire que le public est déjà conquis. Et ne sera visiblement pas déçu, à voir les rires fuser de toutes parts.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les portes ouvrent dans une trentaine de minutes, mais déjà, des dizaines de femmes attendent, billets en main, le cheveu lissé et le look travaillé, juste assez, mais pas trop arrangées.

Parce que Bianca Longpré lance ici plusieurs blagues peut-être connues des initiées (le récit de ses adoptions, sa haine viscérale des devoirs, des amis parfaits ou du lavage) avec plusieurs craques sur les planchers sales, les vacances d'été ou son chum à Disney. Le tout entrecoupé de plusieurs «ostie», «j'ta boutte» et blagues de boules, de fesses, de vulve ou de poisson pourri.

On s'en doutait, c'est confirmé: Bianca Longpré n'a pas la langue dans sa poche. Et visiblement, ça marche. Elle n'a pas non plus peur des étiquettes et s'assume au cube. 

«Je suis une Germaine, je gère et je mène.»

On ne vous vendra pas la finale, mais glissons simplement qu'elle vire trash, tantôt scato, toujours vulgaire. Et le public en pleure de rire.

«C'est vraiment mon genre, cru, direct et explicite. C'est la réalité. Et il faut rire du quotidien, sinon on va en pleurer», confirme notre voisine de siège, Caroline Aumont, 41 ans.

Et s'il y avait eu des hommes? Pourquoi pas, croit Stéphanie Caron, 26 ans. «Ils pourraient mieux comprendre notre réalité!»

Un bémol, un seul, dans cette acclamation générale. «C'est vraiment vulgaire, je suis un peu traumatisée, confie tout bas Jennifer Harris, 35 ans. Ça manque de classe. Je n'inviterais pas ma belle-mère ou mon boss ici...»

Il est 21 h 30, et Bianca Longpré vient de descendre de scène. La piste de danse à l'arrière se remplit à vue d'oeil. Les filles se paient des shooters, achètent des verres affichant les expressions «plotte à terre», «fuck demain» ou pourquoi pas «fuck toute», et se déhanchent fièrement avec leurs t-shirts «vindredi» sur La Macarena. C'est leur soirée, et elles ont de toute évidence l'intention de l'étirer.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Les femmes, un public déjà conquis, attendent le début du spectacle.