Entre les Fêtes et l'été, la semaine de relâche permet aux enfants de prendre une pause. Les adultes ont-ils aussi besoin de s'arrêter ? Vaut-il mieux s'accorder cinq précieux jours de répit en mars, profiter de longues vacances d'été ou égrainer les congés par-ci, par-là, pour parer aux imprévus ?

Des vacances à la relâche?

« Depuis que je prends congé à la relâche, je ne m'en passerais plus », dit Martine Picard. Avant d'avoir sa fille, aujourd'hui âgée de 16 ans, cette réviseure ne prenait pas de pause entre les Fêtes et l'été. Elle réalise maintenant que prendre des vacances en mars permet de « se reposer dans une période où nous sommes généralement plus fatigués en raison du manque d'ensoleillement, note-t-elle. C'est vraiment profitable ».

« C'est une très bonne chose, les vacances, confirme Émilie Genin, professeure agrégée à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal. Il y a un consensus selon lequel les congés payés sont une avancée sociale majeure. Ça contribue au bien-être des enfants, des familles et des communautés. Les employeurs y trouvent aussi leur compte : ils ont intérêt à récupérer des employés reposés, plus dynamiques, plus créatifs et plus productifs au retour des vacances. »

Au Québec, la Loi sur les normes du travail donne droit à deux semaines de vacances annuelles aux salariés qui travaillent depuis plus d'un an pour le même employeur. La durée du congé payé grimpe à trois semaines dès le cap des cinq ans de service franchi.

Est-ce assez ? « Dans le contexte nord-américain, c'est la norme, répond Michel Archambault, professeur émérite en tourisme à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. Mais comparativement aux pays européens et à la majorité des pays du G8, c'est insuffisant. »

En France, les travailleurs ont droit à « grosso modo sept semaines de vacances par an, calcule Mme Genin. Mais la semaine de travail est plus intense. L'horaire classique, ce n'est pas vraiment de 9 h à 17 h. Les gens terminent tard. On a moins de semaines de vacances au Québec, mais mon impression, c'est qu'on travaille plus cool ».

Les besoins varient

A-t-on néanmoins besoin de plus de vacances ? « Je vais vous donner une réponse de chercheur: ça dépend, dit Mme Genin. Un jeune de 25 ans, qui vient de finir ses études, qui n'a pas d'enfant, peut passer deux ans sans prendre de vacances. Peut-être que ça ne le dérangera pas, parce qu'il s'éclate dans son travail. Mais les besoins changent au fil de la vie. C'est sûr que les gens qui ont de jeunes enfants sont les plus sensibles aux problèmes de conciliation emploi-famille. Ce sont eux qui auraient le plus besoin de temps. »

Petit rappel: les élèves québécois ont 9 semaines de vacances estivales, 2 semaines aux Fêtes et 1 semaine à la relâche, pour un total de 12 semaines de congé par an. Sans compter les jours fériés et pédagogiques...

Jamais de vacances pour 10% des Québécois

Un Québécois sur dix affirme ne jamais prendre de vacances, selon un sondage Forum Angus Reid réalisé en avril 2015 pour la chaîne hôtelière InterContinental Hotels Group. C'est plus que dans toute autre province canadienne. Et ça finit par être dangereux.

« Notre organisme est un peu comme la terre : lorsqu'on surcultive, à un moment donné, on produit moins, illustre Michel Grisé, psychologue spécialisé en santé mentale au travail chez PsyGym. On ne fournit plus. Comme la nature, ce qui nous régénère, c'est de ne rien faire, ou faire le contraire de ce qu'on fait d'habitude. La grande clé, c'est de bien se connaître soi-même et de connaître son corps d'emploi. Si vous travaillez dans une banque, vous avez avantage à vous reposer avant la grosse période des REER, et à récupérer ensuite pour pouvoir passer à autre chose. »

Seulement 25% des familles profitent vraiment de la relâche

Est-ce nécessaire de s'arrêter en mars, autour de la période de la relâche scolaire ? « Ça peut être très bon pour se remettre un peu de l'hiver et se donner un coup de pouce d'ici aux vacances d'été, estime M. Grisé. Mais ça dépend du rythme de travail de chacun. Il y en a qui ne sont pas fatigués à ce moment-là, qui n'en ont pas nécessairement besoin. »

Seulement « 25 % des familles profitent de la relâche » en allant dans une région de ski du Québec, dans le Sud ou en croisière, indique M. Archambault. Les autres bricolent toutes sortes de formules : un jour de congé avec les parents, deux avec les grands-parents, deux au camp...

« L'idéal, c'est sûr que c'est d'être en vacances avec ses enfants, parce qu'on n'a pas tant d'occasions que ça de passer du temps en famille, à faire des activités agréables, observe Mme Genin. Ces moments sont très importants pour les parents, pour les enfants, pour la réussite scolaire. »

Vaut-il mieux s'accorder une semaine de vacances en mars, ou garder ces jours de congé pour répondre aux besoins au fil de l'année ? « Idéalement, il faudrait les deux, affirme Mme Genin. Pour vraiment se reposer, il faut prendre une semaine complète sans travailler. Mais avoir des jours qu'on peut utiliser en cas d'urgence et d'imprévu, ça réduit considérablement le stress au travail. »

La durée idéale des vacances

William Taft, 27e président des États-Unis, aimait les longues vacances. « Deux ou trois mois » de vacances « sont nécessaires afin de poursuivre, l'année suivante, son travail avec l'énergie et l'efficacité qu'on doit avoir », estimait-il dans un article publié dans le New York Times, en 1910. Cent six ans plus tard, quelle est la durée idéale des vacances ?

Jessica de Bloom, psychologue du travail et chercheuse à l'University of Tampere, en Finlande, s'est penchée sur la question. Avec des collègues, elle a mené une méta-analyse et quatre études portant sur trois types de congés : de courtes vacances de quatre ou cinq jours aux Pays-Bas, des vacances actives de neuf jours aux sports d'hiver et de longues vacances estivales.

Résultats : une amélioration de la santé et du bien-être est notée en vacances, comparativement à avant le départ. Un effet positif moyen est observé, peu importe le type de voyage. Malheureusement, ce bel impact disparaît dans la première semaine de reprise du travail, indépendamment de la durée du congé.

En scrutant particulièrement les vacances de 14 jours ou plus, Mme de Bloom a noté que le niveau de santé et bien-être monte rapidement chez les vacanciers, avant de culminer dès le... huitième jour.

Faut-il se contenter de partir huit ou dix jours ? « Il est impossible de dire exactement combien de vacances les gens ont besoin, répond Mme de Bloom, jointe par courriel. Il y a toutefois quelques indications selon lesquelles une longue période sans vacances est préjudiciable à la santé des gens. »

Son conseil ? « Il semble utile de répartir ses congés en plusieurs courtes vacances, au lieu d'une seule longue période », tranche la chercheuse. Cela permet de bénéficier des effets positifs des congés plusieurs fois par an - surtout dans un contexte européen, où les travailleurs bénéficient de généreuses vacances.

« Aussi, il y a toujours le risque que quelque chose se passe mal - on peut se disputer avec son compagnon de voyage, être dans un mauvais hôtel, tomber malade -, de sorte que les vacances ne procurent pas les effets souhaités, souligne Mme de Bloom. Ainsi, la répartition du congé annuel en plusieurs périodes de vacances plus courtes divise le risque. »

Cinq ans sans vacances

« Ça fait cinq ans que je n'ai pas pris de vacances, dit Matthieu Bonin, 25 ans. C'est un choix personnel. J'ai pris la décision de concilier plaisir et travail, de sorte que je n'aie jamais l'impression de travailler. Et donc, jamais besoin de prendre de vacances. »

Ça n'a pas toujours été le cas. « J'étudiais pour être arpenteur, je travaillais pour une compagnie de forage et j'étais vraiment malheureux, se souvient-il. Là, oui, j'avais besoin de mes deux semaines de vacances par année. Puis, du jour au lendemain, j'ai tout sacré ça là pour me consacrer à ce que je voulais vraiment faire dans la vie : de la télé. Ç'a été long, mais ça a fini par payer. »

En effet : jusqu'à récemment, le jeune homme animait une émission de type tribune téléphonique ne portant rien de moins que son nom (Bonin) à MusiquePlus. La chaîne le présente comme étant « éditorialiste, vlogueur et star du web ».

« J'adore ce que je fais »

« Je suis suivi par 157 000 personnes sur Facebook, précise-t-il. J'ai un site, buzzbonin.com, avec lequel je génère des revenus supplémentaires. »

« J'adore ce que je fais, observe-t-il. J'aimais aussi le faire quand c'était moins payant. Je suis convaincu que c'est ça, le secret. Ne pas faire quelque chose pour l'argent, mais parce qu'on aime ça. C'est ça, la liberté. Ne pas avoir à prendre une semaine de congé chaque année pour se reposer d'un travail et d'une vie qu'on déteste. »

Témoignages

Bruno Lévesque

Minimum un mois par an 


En couple depuis 20 ans, Bruno Lévesque a trois grands enfants. Depuis cinq ans, toute la famille part en voyage, aux Fêtes. Dernières destinations : l'Argentine et le Chili. « Nous utilisons nos vacances pour réunir notre famille, explique M. Lévesque, de Québec. Nous sommes tous très occupés durant l'année. Même si nous vivons tous ensemble, les rapports entre nous sont différents en voyage. Nous trouvons que ça renforce les liens. » Tout le monde devrait « avoir un minimum d'un mois de vacances par année », estime-t-il. En plus d'un voyage de trois semaines aux Fêtes, M. Lévesque s'accorde deux semaines de vacances l'été « et quelques jours en couple ici et là, durant l'année », précise-t-il.

Martine Picard

«Un savant dosage»


Un savant dosage des vacances, c'est ce qu'a développé Martine Picard, qui vit avec sa fille de 16 ans. Dès la fin des classes, la salariée prend deux semaines de congé - c'est l'occasion de faire un voyage, pour commencer l'été en douceur.

Seconde pause d'une semaine, à la fin du mois d'août. À l'origine, c'était par nécessité : le camp de jour fréquenté par sa fille était fermé. Aujourd'hui, la tradition demeure. « Ça permet de faire une transition », explique Mme Picard. Ce congé donne l'occasion de faire les achats de la rentrée et de passer deux jours dans les Laurentides.

Deux autres répits ponctuent l'année : les Fêtes (Mme Picard ne travaille pas entre Noël et le jour de l'An) et la semaine de relâche, au début du mois de mars. Bien de ces jours de vacances sont simplement passés à Montréal, « à prendre le temps de vivre - lecture, télé, patinage, tennis, grasse matinée, etc. », illustre Mme Picard.

PHOTO FOURNIE PAR BRUNO LÉVESQUE

Bruno Lévesque, Suzanne Gagné et les enfants Charles, Gabrielle et Florence dans un vignoble argentin, aux Fêtes.

Daniel Mercier

«Besoin de peu de vacances»

« Je prends une semaine de congé après les vacances de la construction, parce qu'il y a moins de monde dans les hôtels et sur les routes, dit Daniel Mercier. Ça coûte moins cher. »

En 2015, le vacancier s'est envolé vers Cuba. Les années précédentes, il restait au Québec, en raison d'un budget plus serré.

Sinon, M. Mercier prend « trois ou quatre jours de congé aux Fêtes, vers le 24 juin et le 1er juillet », énumère-t-il. « Je n'ai pas besoin de plus de vacances. »

Martial Lalancette

«Profiter du calme hors saison»

Camionneur à Montréal et dans les environs, Martial Lalancette a droit à trois semaines de vacances par an. Il prend une semaine en mai et une autre au début de l'automne. « Il ne reste pas grand-chose quand mon tour arrive, parce que les plus anciens choisissent les plus belles périodes, c'est-à-dire l'été », explique-t-il.

Pour ses vacances, M. Lalancette loue « une petite hutte » au bord d'un lac. « J'aime quand ce n'est pas achalandé, dit-il. J'ai besoin de calme, surtout avec l'emploi que j'occupe. » Pour ce qui est de sa dernière semaine de congé, il prend quelques vendredis pour s'offrir « un week-end de trois jours », indique-t-il.