Se fondre dans la masse n'est pas toujours possible pour Émilie* et Julie St-Georges. Contrairement à la plupart des garçons et des filles de leur âge, quand elles vont deux par deux dans les rues de Montréal, c'est souvent en tenant la main d'un bout de chou de 3 ans. À 21 et 24 ans, elles sont déjà mamans, ce qui en fait des oiseaux rares dans les rues de la métropole où on les prend souvent pour la grande soeur ou la petite gardienne.

« On me rappelle tout le temps que je suis jeune. Dans les yeux de certaines personnes, il y a un jugement par rapport à la façon dont j'élève mon enfant », estime Julie, qui aimerait bien qu'on lui fiche la paix avec son âge. Émilie, elle, a déjà entendu des étrangers plaindre sa fille d'avoir une mère si jeune. « Comme si je n'étais pas capable de m'en occuper », s'offusque-t-elle.

« J'ai autant le droit d'être mère qu'une autre. Je pense être une aussi bonne mère qu'une femme de 30 ans », fait-elle valoir. Comme Julie, elle se sent parfois observée dans la rue. Ce qui l'énerve le plus, toutefois, c'est de se sentir infantilisée par des gens qui, comme c'était le cas dans l'ancienne garderie que fréquentait sa fille, vouvoyaient tous les parents... sauf elle. « Pour une fille moins sûre d'elle, ça pourrait être nuisible », croit Émilie.

Julie et Émilie ne se connaissent pas. Pas encore. Julie a lancé un appel sur Facebook pour rencontrer d'autres mamans de son âge et Émilie est de celles qui ont répondu. Les jeunes mamans ne se sont pas encore réunies, toutefois. Julie a déjà fréquenté des groupes de mères, mais n'avait pas accroché. « Je n'arrivais pas à connecter avec les mamans d'une trentaine d'années », explique-t-elle. Le fossé était trop grand entre sa réalité et la leur.

Bébés surprises

En général, les Québécoises deviennent mamans à 30 ans en moyenne. Par ailleurs, c'est à Montréal, Laval et Québec que les femmes âgées de 20 à 24 ans sont le moins susceptibles de devenir mères, selon les chiffres de l'Institut de la statistique du Québec. Environ deux fois plus de femmes du même âge ont des enfants dans les Laurentides et trois fois plus dans le Centre-du-Québec.

« Je suis la cinquième dans mon groupe de finissantes du secondaire à avoir un enfant, dit Julie, qui a grandi à Saint-Michel-des-Saints. Il y en a une qui en a même déjà trois. Dans mon groupe d'amies à Montréal, j'étais la première. » Sa grossesse n'était pas prévue. « Je n'étais même pas en couple avec le papa. Disons que c'était une belle fin de semaine », dit-elle avec un large sourire.

Sa décision de garder l'enfant, prise avec le père, a été mal reçue dans son groupe d'amies. « J'ai même eu droit aux interventions à trois ou quatre pour me convaincre que ça n'avait pas d'allure à mon âge. » Julie et le père de l'enfant ont été en couple pendant deux ans avant de se séparer. Elle dit qu'ils sont en très bons termes et que c'est un « super papa ».

Émilie a eu moins de chance : son copain, avec qui elle était depuis trois ans, l'a laissée quand, à 18 ans, elle a décidé de garder leur enfant. « On ne se protégeait pas, il le savait, mais pour lui, c'était ma faute », dit-elle. Son ex-belle-mère lui a même fourni l'adresse d'une clinique qui pratiquait des avortements. Six mois après son accouchement, elle a quitté l'appartement de sa mère pour vivre seule avec sa fille. « J'avais besoin de mon indépendance », dit-elle.

Cassandre Lemay-Collard et Alexandre Marcotte, tous deux âgés de 22 ans, n'avaient pas non plus prévu d'avoir un enfant tout de suite. « On ne cherchait pas à provoquer la chose, mais on ne cherchait pas à l'éviter non plus », résume Alexandre. Cassandre, contrairement à Émilie et Julie, ne se sent pas du tout extraterrestre à Saint-Jérôme, où elle vit. « J'ai au moins cinq ou six amies qui ont des enfants, dit-elle. Et je n'ai pas été la première.

« Mes amis de Montréal sont loin d'être prêts : ils sont aux études et ils sont plus sur le party, poursuit-elle. Ce n'est pas la même atmosphère. » Alexandre et elle disent ne pas sentir le poids du regard des autres, contrairement aux jeunes mamans de Montréal. « Les seules personnes qui m'arrêtent, ce sont des retraités et ils disent que j'ai un beau bébé », explique-t-elle.

Repenser sa vie

L'arrivée d'un bébé a provoqué des remises en question chez ces jeunes femmes. Toutes ont interrompu leurs études. Julie et Cassandre envisagent un retour à l'automne. Émilie a déjà repris les cours pour devenir travailleuse sociale. « C'est rushant », dit-elle. Son père et sa mère lui donnent un coup de main lorsqu'elle a besoin d'étudier. « Je ne fais pas garder ma fille pour sortir, mais pour étudier. Je ne fais pas la fête », insiste-t-elle.

« Je sors à temps partiel », illustre pour sa part Julie, qui partage la garde de son fils avec le papa. Celui-ci va aussi l'épauler quand elle reprendra les cours. « On a décidé que c'est lui qui allait continuer ses études quand mon fils est né. Qu'il continue ses études de génie avait plus d'allure que je poursuive les miennes en théâtre, explique-t-elle. Il est conscient que c'est à mon tour d'aller aux études. » Elle a mis une croix sur son envie de devenir metteure en scène et a opté pour l'éducation à la petite enfance.

« Des fois, je suis une mère indigne, comme toutes les mères. Ça fait du bien. »

Elle en est aussi à se reconstruire un cercle social : Émilie et elle ont en effet perdu la plupart de leurs amis après la naissance de leur enfant. On ne sort pas jusqu'aux petites heures quand on a un bébé, c'est plutôt avec lui qu'on passe nos nuits blanches. Et rencontrer un gars lorsqu'on a 20 ans et un bébé, ça se peut ? Poser la question, c'est y répondre...

Émilie confirme que, lorsqu'elle précise qu'elle a un enfant, ça en refroidit plusieurs... « Ce n'est pas ce que je cherche, dit-elle de toute façon. Mon but, c'est de finir l'école. Les gars, ce n'est pas ma priorité. » Julie trouve que c'était perçu négativement sur les sites de rencontres, mais pas lors de rencontres en personne dans un bar. « Je suis assez charmante pour que ça passe », dit-elle avec un sourire... charmant.

Elle ajoute que, en apprenant qu'elle avait un enfant, les gars avaient même une attitude un peu plus respectueuse envers elle. « Ils avaient tendance à moins me prendre pour un objet », juge-t-elle. Julie parle au passé, car elle a un nouvel amoureux. Qui vient parfois exprès pour voir son petit garçon. « On s'attache à ces petites bêtes-là ! », dit-elle, radieuse.

* La jeune femme ne souhaitait pas révéler son nom de famille