Les restos exotiques, c'est tout de même quelque chose. Rien à voir avec les bistros et les restos à la mode. Ceux-ci nous sacrifient sur le bûcher de leurs (de nos) vanités. Les premiers triment pour leur survie. Contrairement aux temples de la frime qui doivent en mettre plein la vue puisque les nourritures ne paient souvent pas de mine, les restos d'ailleurs misent surtout sur la cuisine, faite sur place (oui, oui, ne riez pas) et par un membre ou deux de la famille.

C'est le cas de ce Magdala, installé dans un ancien pub chic anglais mais qu'on a divisé en espace trop grand, trop vaste, trop froid et trop... lounge. Sur deux étages s'il vous plaît! On a gardé le look miroirs et boiseries d'un club privé auquel on a rajouté quelques affiches, quelques télés diffusant des documentaires sur une danse folklorique tremblotante éthiopienne (par ailleurs assez étonnante), et des tables basses sur lesquelles sont installées des messob (des paniers d'osier à couvercle conique qui servent de tables et d'assiettes).

 

Au-delà des entorses à la température, au décor trop spacieux et trop... anglais, à l'ambiance carrément absente ce soir-là, puisque nous étions seuls au monde - à table en tout cas - on pourrait penser que cette cuisine des sens est assez sublime, si on se concentre suffisamment sur ce qu'il y a dans notre bouche : un complexe épicé, des notes fruitées et acides, des textures (puisque l'on touchera à tout avec ses doigts) en tout genre, et en prime, une palette chromatique stupéfiante.

C'est une cuisine comme nulle autre, à part peut-être l'indienne ou la thaïe, qui jouent des mêmes contrastes saisissants. Et parfois violents. Ces plats sont faits pour les gens en décalage horaire ou pour les gens un peu abîmés. C'est saucier, riche, pimenté et épicé.

Car l'Éthiopie a bénéficié de sa situation géographique sur la route des épices, profitant du commerce entre l'Asie et le nord de l'Afrique et plus tard, l'Europe. D'un côté sont venues les épices indiennes et, du Portugal, le piment; mais le résultat est complètement original et ne s'apparente ni aux uns ni aux autres. Et à cause des jeûnes chrétiens (plus de 200 jours par an, et deux jours par semaine), la cuisine est largement végétarienne.

D'une carte assez complexe, on peut aussi se simplifier la tâche en choisissant des combinaisons végétariennes ou non. Mais comme nous sommes rebelle, nous préférons prendre tout à la carte, des plats qui sont presque entièrement des ragoûts de viande ou de légumineuses à base de sauce onctueuse et relevée. Lesquels sont versés directement au centre d'un plat commun au fond duquel on a couché une galette de teff, spongieuse et molle, que l'on est invité à saisir pour prendre la nourriture. Certes, l'exercice est périlleux, vos doigts sentiront les épices et vous aurez à manoeuvrer avec la délicatesse d'un rhinocéros au milieu d'un magasin de porcelaine.

Les ragoûts sont exquis et rendent vite accros. Le Doro Wat par exemple, du poulet braisé dans un mélange de gingembre, de piments et d'une quantité impressionnante d'épices chaudes, est servi avec un oeuf. Ou le kifto, du tartare de boeuf mariné et parfumé (non! surparfumé) à la cardamome et au chili, servi avec une sorte de fromage à la crème, ou le Tibs d'agneau, une sorte de sauté très aromatique servi avec des épinards hachés également sautés. Tout cela se mange à la main (la droite de préférence) à l'aide de morceaux de galette. En une seconde, on y plonge presque la main en entier.

Comme tout le monde mange dans le même plat, vous êtes tout de même encouragé à rester de votre côté de l'assiette. Autour des ragoûts viandeux, nous commandons un trio de ragoûts de légumes, des lentilles et des haricots jaunes, et une sorte de sauté de chou et de carottes qui donnera des couleurs à nos peaux blafardes.

En finale, du thé ou plus de bière si vous en voulez. Les desserts sont inexistants. Vous vous demandez si l'on a aimé? La réponse dépendra de vous. Oui, pour changer. Oui pour le soin apporté à la cuisine. Non pour tout le reste: décor, service et ambiance.

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MAGDALA

1222, rue Bishop 514-866-7667

On y retourne? Hmmmmm. Peut-être. Or, si vous deviez dîner à l'étage, demandez tout de même qu'on monte le chauffage!

Prix : des plats facturés entre 13$ et 17$. Aucun légume servi avec les plats sur l'injera, il faudra compter un plat supplémentaire.

Faune : euh!

Service : très lent, très approximatif et en anglais seulement, mais bon! Ça vous étonne?

Vin : bière à 7$ (la locale s'entend), la carte des vins étant pratiquement... indisponible ce soir-là (ils manquaient de tout, pauvres eux).

Le plus: Si vous aimez (et recherchez) l'exotisme, vous serez servi. On mange la galette qui sert à la fois d'assiette, d'ustensile et de serviette de table! Pas banal!

Le moins:  Le froid, brrrrrrr! Malgré tout le bois sur les murs et les planchers, il y a un problème avec le chauffage... ou avec le budget de chauffage!