Au téléphone, Mireille Voisard s'étonne de notre intérêt, encore plus de notre intention de lui rendre visite. « Je n'ai rien fait, je vous assure », se défend-elle. Après qu'on eut insisté et parlé de cette jolie lettre de Marjolaine Cloutier, elle accepte de nous rencontrer. « D'accord. Mais vous n'avez pas peur des chiens, j'espère ? J'en ai deux. »

Au téléphone, Mireille Voisard s'étonne de notre intérêt, encore plus de notre intention de lui rendre visite. « Je n'ai rien fait, je vous assure », se défend-elle. Après qu'on eut insisté et parlé de cette jolie lettre de Marjolaine Cloutier, elle accepte de nous rencontrer. « D'accord. Mais vous n'avez pas peur des chiens, j'espère ? J'en ai deux. »

En fait, ce sont deux molosses qui nous accueillent. Cochise - du nom d'un chef apache - est le doberman fringant marron ; Geisha est le danois gris géant. À eux deux, ils forment le système d'alarme de Mireille et de son conjoint Philippe Trabat, installés à Melbourne depuis 14 ans.

C'est en faisant des travaux manuels chez les Cloutier, qui habitaient à moins de cinq minutes de chez eux, que Philippe a fraternisé avec Jean Cloutier, professeur de communications à la retraite et consultant globe-trotter, fasciné par l'Afrique ; mais aussi avec sa femme Christiane, d'origine alsacienne.

« Un jour, on s'est invités pour l'apéro, se rappelle Mireille, 60 ans, qui travaille au Maxi de Richmond. Il nous racontait ses voyages humanitaires en Afrique, il adorait nos chiens. Lui-même en avait un. Il avait aussi des poules, comme nous, et même un âne ! On ne se côtoyait pas toutes les semaines, nuance Mireille, mais on s'appréciait. »

UN DEUIL DIFFICILE

Il y a environ trois ans, Christiane est morte quelques semaines à peine après avoir appris qu'elle souffrait de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. À 82 ans, Jean Cloutier s'est retrouvé seul dans sa ferme estrienne. Moins de 18 mois plus tard, c'est lui qui a appris qu'il avait un cancer métastatique... Il a décidé de rester à Melbourne.

« Quand il a perdu sa femme, Philippe allait le voir un peu plus souvent et moi, j'ai commencé à lui faire des petits plats. »

- Mireille

« Je me suis dit qu'il ne devait pas avoir faim et qu'il ne devait pas manger comme il faut, donc je me suis mise à en faire un peu plus pour lui... Du pâté chinois, des sauces à spaghetti, des coquilles Saint-Jacques, ça, c'était son plat préféré ! », dit Mireille.

Deux fois par semaine, elle allait lui porter ses petits plats. « Le week-end, je ne le dérangeais pas parce que ses enfants venaient le voir », précise-t-elle.

Mireille se rappelle un homme cultivé, toujours engagé dans des projets. « Je l'appelais "Mon M. Cloutier". J'avais beaucoup d'affection pour lui. Il ne m'a jamais rien demandé, ce que je faisais, je le faisais de plein coeur, sans aucune obligation. C'était pas une tâche, c'est pour ça que ça me faisait si plaisir et que, pour moi, ce n'était pas grand-chose... »

Jusqu'à la fin de sa maladie, Jean Cloutier a mangé les petits plats de Mireille. Quand il s'est éteint l'été dernier, sa voisine avoue s'être ennuyée de ne plus cuisiner pour lui... Elle a continué à prendre son courrier dans les mois qui ont suivi. « Vieux, il était parfois bougon, nous a écrit sa fille Marjolaine. Pourtant, il disait de Mireille : "Quelle fille extraordinaire !" »

« C'est rien d'aider quelqu'un en deuil, quelqu'un qui est vulnérable, plaide Mireille. Quand on est en fin de vie, peu importe notre situation, si on a beaucoup d'argent ou non, si on est important ou pas, qu'on soit fermier ou millionnaire, ce qui compte, c'est l'amour et la chaleur humaine. L'orgueil ne compte plus, tout ce qui importe, c'est quelqu'un qui te tend la main. »

« Pendant un an, elle lui a apporté de bons petits plats sans qu'il sente qu'elle prenait soin de lui », précise Marjolaine dans sa lettre envoyée à La Presse. Après la mort de Jean Cloutier, Marjolaine a offert à Mireille un pendentif émeraude d'Afrique, en souvenir de son père. « Ça m'a fait pleurer, avoue la voisine de Jean. Qu'on me qualifie d'ange, c'est le plus beau compliment qu'on m'ait fait de toute ma vie. Moi, j'ai juste voulu l'aider un peu. »

Les mois ont passé, Mireille et Philippe voisinent un peu avec Renaud, le fils de Jean, mais voilà, ce n'est pas la même chose... « C'est surtout Philippe qui le voit, parce qu'ils font du quatre-roues... » Mireille interrompt soudainement son récit et ouvre une petite glacière branchée à l'extérieur. « J'oubliais, je vous ai préparé des petites bouchées au saumon fumé ! J'ai aussi de l'ail des bois... »

Photo Maxime Picard, La Tribune

« C'est rien d'aider quelqu'un en deuil, quelqu'un qui est vulnérable, plaide Mireille Voisard. Quand on est en fin de vie, peu importe notre situation, ce qui compte, c'est l'amour et la chaleur humaine. »

Photo Maxime Picard, La Tribune

Mireille Voisard