Aussi huilée soit-elle, la machine commence un jour à rouiller, à se briser. Après avoir carburé à l'adrénaline et vécu la pédale au fond depuis l'enfance, plusieurs athlètes olympiques se retirent avant même d'avoir soufflé 30 bougies. Ils ont le corps usé, le coeur brisé ou, tout simplement, rêvent d'une vie plus équilibrée.

Caroline Brunet, 39 ans, a définitivement accroché sa pagaie. Pour une première fois en 20 ans, la grande dame du canoë-kayak n'est pas du rendez-vous olympique. L'athlète de Lac-Beauport a tiré sa révérence en 2004, après avoir participé à cinq olympiades et remporté trois médailles. «Je vis ces jours-ci un curieux mélange de soulagement et de nostalgie», confie-t-elle.

Au bout du fil, la voix est empreinte d'émotion. «Je réalise à quel point j'ai laissé derrière moi la plus belle partie de ma vie. J'ai vécu des moments inoubliables aux JO, mais la pression est très intense. L'entraînement qui précède aussi. Je n'étais plus capable.»

«Le kayak, ça me tenait tout le temps allumée et alerte, ajoute-t-elle. Plus qu'une passion, c'était un feu qui brûlait tout le temps. J'ai fait ça pendant 23 ans, j'ai tout mis là-dedans, je n'avais rien d'autre.»

«Le principal défi pour l'athlète est de trouver quelque chose d'aussi passionnant et valorisant. Certaines expériences sont si intenses qu'elles ne se remplacent pas», explique le psychologue sportif Bruno Ouellette. Il compte parmi ses clients le plongeur Alexandre Despatie et la patineuse de vitesse Kalyna Roberge. «Il ne quittent pas qu'un job, mais un réseau social, un mode de vie. C'est un processus de deuil qui se fait.»

Ann Dow, 37 ans, parle d'un sevrage. Après avoir remporté la médaille de bronze aux Mondiaux FINA en 2005, l'ex-capitaine de l'équipe canadienne de water-polo a tout arrêté d'un coup. «Ce n'est pas conseillé d'y aller aussi brusquement, mais j'en avais assez. J'ai souffert de maux de tête, d'engourdissements et de troubles de sommeil pendant six mois. Mon corps, habitué à 35 heures d'entraînement par semaine, en demandait encore. Ça a fini par passer», raconte-t-elle. La Montréalaise a passé 22 ans de sa vie dans l'eau et participé aux JO de Sydney (5e) et d'Athènes (7e).

L'équipe féminine de water-polo, amputée de sept vétérans, ne s'est pas qualifiée pour Pékin. «J'aurais tellement voulu les aider, ça me démangeait. L'esprit d'équipe et la camaraderie me manquent, mais jamais je n'ai regretté ma décision», précise Ann Dow, aujourd'hui conseillère en communication au Casino de Montréal.

Retraitée depuis mai, Maryse Turcotte, 33 ans, a plus de difficulté à couper le cordon. L'haltérophile ne se résigne pas à ranger les poids: elle s'entraîne tous les deux jours.« Je suis incapable d'arrêter du jour au lendemain.»

La Québécoise était à Sydney en 2000 (4e) et à Athènes en 2004 (11e). Elle a tenté sa chance pour Pékin, sans succès. Ses études en médecine ont pris le dessus sur l'entraînement. «J'ai des semaines de fous à l'hôpital, je n'arrivais plus à maintenir un niveau d'entraînement optimal. J'ai essayé, mais je ne suis plus de taille. Je n'avais pas envie de retarder la fin de mes études.» Elle est soulagée d'échapper au stress lié à la compétition. «C'était devenu négatif dans mon cas», souligne-t-elle.

Le judoka Nicolas Gill, porte-drapeau à Athènes, a aussi mis un terme à sa carrière à Athènes sur une déception. Contre toute attente, il a été éliminé en première ronde. «J'ai toujours cru qu'il y aurait un signe m'indiquant la sortie», confiait-il à l'époque. Il est à Pékin comme entraîneur cette fois.

«Je reste impliqué dans mon sport, mais le stress olympique est moins lourd à porter. Je joue un rôle de soutien à Pékin, mon travail est déjà fait. Les hauts sont moins hauts et les bas moins bas, dit-il. Quoi qu'il arrive, la roue continue de tourner. D'autres athlètes comptent sur nous.» Envieux? Nostalgique? «Pas du tout. Quand j'ai pris ma retraite, je me suis donné le droit de changer d'idée. Ça n'est jamais arrivé. Je n'ai même pas eu un pincement au coeur.»

Une vie réglée au quart de tour

«Pendant sa carrière, un athlète olympique a bien peu de soucis autres que celui de performer. Tout est clair: les objectifs, les revenus, les horaires. La vie est très structurée, très planifiée, explique le psychologue Bruno Ouellette. Quand il arrive à la fin de tout ça, il doit apprivoiser la vraie vie.» Avec crainte ou soulagement.

«Pendant des années, ta vie est tellement encadrée, tu n'as à penser à rien, confirme Ann Dow. Du billet d'avion à la chambre d'hôtel, en passant par la composition des repas et les heures d'entraînement: tout est planifié. Je rêvais d'une vie normale, d'un travail. Quand tu te retrouves seule et libre, c'est excitant mais difficile. Tu dois apprendre la débrouillardise, même pour les choses les plus simples.»

«Même si on est préparé, c'est paniquant. On se retrouve devant un certain vide, on ne sait pas où est notre place, dit Maryse Turcotte. J'ai de la difficulté à vivre le train-train quotidien comme tout le monde. Il faut que j'apprenne à m'asseoir et relaxer, à m'écraser devant la télé. Mon copain m'aide beaucoup.»

«Je crois qu'on n'est jamais totalement prêt pour la retraite», affirme la gymnaste Amélie Plante, 24 ans. Elle a mis fin à sa carrière en 2004, après les JO d'Athènes (23e aux barres). «Ça fait déjà quatre ans, ça passe tellement vite!» lance-t-elle. «J'ai réalisé mon rêve d'aller aux Olympiques, j'étais allée au bout, j'étais fatiguée. Le deuil s'est donc fait rapidement.» Elle est consultante en kinésiologie et entraîneur au club Gymnix «pour garder un pied dans le milieu».

«Il n'y a pas de solution miracle, chacun vit cette épreuve à sa façon», dit Bruno Ouellette.

Caroline Brunet en sait quelque chose. «J'ai mis du temps à retomber sur mes pieds. Je commence à être heureuse dans ce que je fais.» Elle est aujourd'hui représentante corporative et spécialiste en kinésiologie chez Peak Centre de Haute Performance. Elle fait du vélo et du ski de fond. «De façon modérée, comme tout le monde», précise-t-elle.

Même si elle a tourné la page, elle garde un oeil sur la relève. «Je vais mettre mon réveille-matin pour regarder les épreuves de canoë-kayak, mais ce ne sera pas festif. Ne comptez pas sur moi pour aller crier à la Cage aux sports!» dit-elle, en riant.