En plus des réserves de vaccins Tamiflu déjà constituées, le gouvernement du Québec s'apprête à investir 50 millions supplémentaires dans sa préparation à une éventuelle pandémie de grippe aviaire, a appris Le Soleil.

Ces sommes serviront à stocker des antibiotiques en vue de combattre les «infections secondaires», comme la pneumonie, qui accompagnent souvent le virus de l'influenza.

Il y a un an, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a réuni une équipe d'experts pour dresser une liste de médicaments autres que les vaccins antigrippaux qui pourraient se faire rares pendant une pandémie de grippe.

«On est à l'étape de constituer une réserve des médicaments qui ont été désignés. Les achats doivent débuter à l'automne, et constituer la réserve progressivement», dit Dominic Bélanger, pharmacien au MSSS et membre du comité de préparation à l'éventuelle pandémie.

«L'exercice n'est pas facile, poursuit-il, parce que la menace n'a pas de contour bien défini. Le virus, on ne le connaît pas bien, il n'existe pas encore de souche transmissible entre humains.» En outre, plusieurs types d'antibiotiques différents devront être stockés «parce qu'on ne sait pas d'avance quelles bactéries ou virus vont être opportunistes».

Selon Pierre Laflamme, coordonnateur du comité du MSSS sur la pandémie, les achats s'étaleront sur 12 ou 18 mois et entraîneront des dépenses de l'ordre de 50 millions de dollars. «On a aussi considéré la durée de vie des médicaments et signé des ententes pour s'assurer d'en avoir toujours en quantité suffisante», ajoute-t-il.

Cette précaution est rendue d'autant plus nécessaire que, pour réduire leurs dépenses, les hôpitaux gardent leurs réserves relativement basses et se font livrer ce dont ils ont besoin au fur et à mesure.

De plus, le vaccin antigrippal dont on dispose en ce moment - le Tamiflu - a ses limites, affirme Robert Day, professeur de pharmacologie à l'Université de Sherbrooke qui travaille à un médicament contre la grippe aviaire. «Il faut le donner très tôt dans l'infection virale, dans les 48 heures ou dans les premiers jours. Après, la quantité de virus et la réplication deviennent très difficiles à stopper.»

Or, explique M. Day, les gens qui attrapent la grippe doivent souvent se battre avec d'autres envahisseurs, qui profitent de la faiblesse momentanée du système immunitaire pour attaquer et causent les fameuses infections secondaires. Il faut alors d'autres médicaments pour soigner la nouvelle infection - des antibiotiques pour les bactéries et des antiviraux pour les virus.

C'est une pénurie de ces médicaments que craint le MSSS en cas de pandémie. Si des dizaines de millions de personnes dans le monde contractent la fameuse souche grippale H5N1 en même temps, nombre d'entre elles risquent de contracter des infections secondaires, ce qui multipliera la demande pour certains médicaments.

Notons que ces microbes opportunistes peuvent faire autant, sinon plus de dégâts que la grippe elle-même. Dans la revue scientifique Emerging Infectious Disease de ce mois-ci, deux chercheurs américains se penchent sur la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919, qui a tué entre 20 et 100 millions de personnes dans le monde. Ils concluent que la grippe elle-même a fait des dégâts limités et rarement fatals mais qu'elle a permis à des souches de bactéries de produire des pneumonies très mortelles.

Cependant, il semble que la souche H5N1 soit assez virulente pour faire ce travail toute seule. M. Day souligne en effet que les victimes de la grippe aviaire ont reçu des traitements antibiotiques, mais cela n'a pas suffi à les sauver.