Avec la hausse des prix des matières premières, on assiste à un pillage d'un nouveau genre aux États-Unis: de plus en plus d'objets recyclables sont dérobés dans les poubelles des particuliers déposées sur les trottoirs avant le ramassage des ordures.

Chaque mercredi soir, Bruce Johnson, habitant de San Francisco, sort consciencieusement ses poubelles devant son domicile avant le passage des éboueurs. Et chaque fois, il peste en voyant des inconnus fouiller ses détritus pour collecter des déchets qu'ils espèrent transformer en dollars sonnants et trébuchants.

Ces chiffonniers sont organisés «comme une armée», raconte M. Johnson. «Ils ont des camionnettes, des téléphones portables. C'est un business».

Les déchets recyclables suscitent un intérêt accru aux États-Unis en raison de la hausse du prix de l'aluminium, du carton et du papier journal, et du ralentissement économique qui pèse douloureusement sur les finances de nombreux Américains.

L'équivalent d'une benne remplie d'objets recyclables peut se vendre plus de 1000 dollars, les journaux seuls pouvant être cédés quelque 600 dollars.

«Ces gens sont de plus en plus organisés», souligne Robert Reed, porte-parole de Norcal Waste Systems, une société de recyclage des ordures qui opère à San Francisco et d'autres villes du nord de la Californie. «Cela n'a rien à voir avec le sans-abri isolé qui ramasse des canettes. Nous voyons des cohortes organisées de 'braconniers» professionnels avec des camionnettes.»

La question a attiré l'attention des autorités locales, qui veulent une réglementation plus stricte pour lutter contre ces vols qui selon eux leur menacent la viabilité financière des programmes de recyclage.

Le chapardage dans les poubelles de canettes, bouteilles en verre et autre objets recyclables est interdit dans de nombreuses villes américaines. À San Francisco, les contrevenants risquent en théorie jusqu'à 500 dollars d'amende et six mois de prison. À New York, ils peuvent être arrêtés, écoper de 5000 dollars d'amende et voir leur véhicule saisi.

En Californie, les parlementaires envisagent une loi qui rendrait plus difficile ce trafic en imposant la présentation d'une pièce d'identité à toute personne apportant pour plus de 50 dollars de canettes, bouteilles ou journaux, ainsi que le paiement par chèque plutôt qu'en espèces.

Les entreprises de ramassage des ordures prennent également des mesures. Norcal Waste a engagé des enquêteurs privés et installé des caméras de surveillance dans des lieux de San Francisco fréquentés par les voleurs. Des dizaines de photographies de vieilles camionnettes couvertes de graffitis et remplies d'objets recyclables présumés pillés ont été prises.

L'hebdomadaire gratuit East Bay Express, qui couvre Oakland, Berkeley, et d'autres villes de la baie de San Francisco, a engagé un ancien policier et commencé à modifier les présentoirs de rue de ses journaux pour les rendre résistant au vol, car des milliers d'exemplaires neufs disparaissent certaines semaines. «Nous ne voulons pas consacrer toute notre énergie à imprimer des journaux que des gens emmènent directement au recyclage», explique Hal Brody, le président de la publication.

Selon Norcal Waste Systems, la valeur des déchets recyclables volés par des centaines de ces camionnettes dans le nord de la Californie a atteint 469 000 dollars en 2007. La ville de Concord, à 50 kilomètres à l'est de San Francisco, estime que le phénomène lui coûte 40 000 dollars par an, la ville de Berkeley chiffrant de son côté la facture à 50 000 dollars par an.

Les prix de l'aluminium sur le marché du métal de Londres (LME) est passé de 65 cents la livre en 2003 à un niveau record de 1,50 dollar la livre début juillet. Les cours du papier recyclé et du carton se sont également envolés, en grande partie à cause de l'émergence d'un marché d'exportation du papier recyclé. «Il y a une forte demande de papier recyclé en Chine et en Inde», souligne Mark Arzoumanian, rédacteur en chef d'Official Board Markets, une revue traitant de l'économie du papier.

L'an dernier, les États-Unis ont exporté 20 millions de tonnes de papier recyclé, 75% de ce volume ayant pour destination la Chine, où le matériau est retraité pour être transformé en journaux et emballages pour produits manufacturés.