Invité à Québec samedi dernier dans le cadre du festival gastronomique Québec gourmande, le chef franco-new-yorkais Jean-Georges Vongerichten a proposé un menu exceptionnel au Château Frontenac, épaulé par l'équipe de Jean Soulard, à l'occasion des fêtes du 400e anniversaire de la Vieille Capitale.

Le chef a réussi le pari de reproduire aussi fidèlement que possible non pas les plats de plusieurs de ses 17 restaurants disséminés à travers le monde, mais quelques-uns de ses plats-signature. Cinq d'entre eux provenaient directement de la carte du restaurant Jean-Georges, le restaurant phare de Vongerichten à New York, lequel fait partie de la chaîne Relais et Châteaux.

C'est le cas de l'oeuf sur toast et caviar. «Un plat qui est le résultat d'une erreur, un oeuf qu'on a oublié et qui a continué à cuire à basse température pendant plus de deux heures et dont la texture finale rappelle un peu celle du caviar. Voilà donc pourquoi j'ai pensé les assembler pour un faire une sorte d'amuse-gueule», explique-t-il.

Autre plat remarquable, le thon cru découpé comme des nouilles, et mariné au gingembre et aux radis épicés. Un plat tonique dont les saveurs sont comme un coup de timbale au milieu d'une messe dominicale. Avec des notes secondaires citronnées, d'herbes et de chili frais, c'était à la fois provocateur et époustouflant. Jean-Georges n'a pas peur de travailler les jus comme celui de tomates cerises et de coques fraîches versé sur un omble de l'Arctique légèrement confit ou d'intégrer des notes douces comme le litchi à la chair de homard et de lui imposer un vigoureux contrepoint avec des morceaux de céleri cru.

Et enfin son intégration de piments secs et frais dans une croûte laquée pour l'agneau, étonne par un mordant persistant, contrasté avec une singulière purée de piments verts. Je pourrais aussi vous parler d'un sorbet rouge sang de cerises qui soutenait une sorte de soupe de cerises et d'un sabayon au champagne et pistaches, mais vraiment, ce serait tourner un peu le fer dans la plaie...

Quoi qu'il en soit, pour ce très grand repas, il faut remercier les gens qui ont permis aux amateurs de Québec de profiter enfin de l'enseignement et de l'expérience que ce genre d'échange international favorise. À la façon du festival Montréal en lumière, le festival Québec gourmande met en valeur les talents locaux tout en tissant des liens avec de grands chefs d'ailleurs. McCartney et Vongerichten au cours du même week-end: quel beau cadeau !

Une influence marquante

On pourrait croire que Jean-George Vongerichten, né en Alsace, mais dont la carrière de chef s'est presque entièrement déroulée aux États-Unis, principalement à New York, a suivi une route semblable à celle d'autres grands chefs voyageurs, notamment Alain Ducasse.

Pourtant, à la différence de Ducasse le Méditerranéen, Vongerichten, formé chez Bocuse, a adopté une approche plus globale, largement inspirée de l'Asie. Arrivé à New York au début des années 80, explique-t-il, il a vite dû s'ajuster au fait que les Américains en avaient un peu marre de manger des plats en sauce, «eux qui passaient six soirées par semaine au restaurant, à la différence des Français qui n'y vont en général qu'une fois par mois».

À la barre du restaurant Lafayette, à New York, il a revu et corrigé une cuisine qu'il estimait surannée en lui donnant une orientation exotique. Il a ainsi amalgamé les principes de précision et de rigueur de la cuisine française aux condiments et ingrédients de la cuisine thaïlandaise où il a résidé trois années. Le résultat, selon la critique du New York Times de cette époque Ruth Reichl: «À couper le souffle.»

Vongerichten a donc été l'un des pionniers de cette cuisine qu'on a subséquemment baptisée fusion, et qui insufflait une bonne dose d'oxygène et d'originalité dans une tradition de restauration un peu essoufflée. En ce sens, son influence sur la direction de la gastronomie des 20 années suivantes a été majeure.

Relevée, odorante, panachée, la cuisine de Jean-Georges reste toujours harmonieuse même si elle est marquée par une utilisation du condiment parfois extrême. Il a réussi à soutenir l'équilibre entre l'acidulé et le pimenté dans une cuisine repensée en fonction de la fraîcheur et de l'astringence, mais dont la charpente reste tout de même bien française.

Il a aussi intégré l'idée des essences de légumes et de fruits, et des émulsions acides et parfois douces pour remplacer les sauces classiques, les vinaigrettes et les bouillons de légumes comme on le fait couramment en Asie, et les huiles infusées aux herbes et aux épices à une époque où personne ou presque, n'avait pensé à cela.

Il faut se rappeler qu'à Montréal à cette époque, tout pataugeait encore dans les beurres blancs, les demi-glaces et les espagnoles. Depuis, les techniques de Jean-Georges ont fait école et nous en devons certainement la paternité aux huit restaurants new-yorkais du chef, en plus de ses maisons de Chicago, Las Vegas, Shanghai, Tokyo et depuis peu, Paris, où, dit-il, il passe pour un chef... américain. Des maisons qui ont littéralement bouleversé la carte gastronomique et dont les ramifications sont dorénavant internationales.

Pour en savoir plus: www.quebecgourmande.com

> www.quebecgourmande.com

> www.jean-georges.com

> Vongerichten a aussi publié quatre ouvrages de cuisine hors du commun qui sont encore offerts (en anglais uniquement) dans la plupart des bonnes librairies, sinon sur Amazon.ca