Pour certains, le Viagra est une vraie bénédiction. Mais pour d'autres, la popularité de la petite pilule bleue est le fait d'une société qui met l'accent sur la performance. Une chose est sûre, les tabous entourant la dysfonction érectile ne sont pas tous tombés.

«Je viens chercher ma p'tite pilule du bonheur!» Voilà le genre de remarque qu'entend la pharmacienne Geneviève Duperron au comptoir d'une pharmacie à Blainville. Des commentaires qu'on n'aurait pu entendre il y a une dizaine d'années.

«Au fil des ans, les gens sont moins gênés; prendre le Viagra est devenu moins tabou. Il y a eu une bonne campagne de sensibilisation», ajoute la pharmacienne. Elle observe qu'environ un client par jour vient chercher son Viagra à la pharmacie où elle travaille.

«On devrait mourir sans avoir eu de problème d'érection», affirme de son côté le Dr François Bénard, urologue au CHUM. Car ce n'est pas parce qu'on vieillit qu'on ne devrait pas être capable d'avoir des relations sexuelles satisfaisantes. Il constate qu'il rédige quatre fois plus d'ordonnances qu'il y a 10 ans, mais l'évolution s'est faite lentement.

Pudding et Viagra

Réjean Brunet, 65 ans, prend du Viagra depuis près de huit ans. Marié depuis 33 ans, il considère que c'est une invention «qui marche extraordinairement bien». Sa femme est aussi très satisfaite de l'effet de la petite pilule bleue. «Parfois, elle prépare un dessert, comme un pudding, et dépose la pilule sur le dessus», dit-il en riant.

M. Brunet, aujourd'hui retraité, explique qu'à plusieurs reprises, il a été incapable de maintenir son érection. Il a passé des tests, est allé consulter une sexologue. Mais les petits trucs qu'elle a proposés au couple n'ont rien donné. Finalement, il est allé à la clinique de dysfonction érectile de l'hôpital Saint-Luc, et on lui a proposé le Viagra.

«Pendant un mois, je n'ai pas dit à ma femme que je prenais du Viagra, c'était comme une surprise, elle croyait vraiment que tout était revenu à la normale.» Il a essayé les deux autres pilules sur le marché, Cialis et Levitra, mais préfère le Viagra.

Il a même convaincu son assureur de rembourser complètement l'achat du médicament. Résultat : il a pu se procurer l'équivalent de 500$ en petites pilules bleues, soit 40 pilules de 100mg chacune. Comme la dose normale est de 50mg, il les coupe en deux et se retrouve avec 80 pilules par année. Sans oublier les échantillons qu'il conserve précieusement.

M. Brunet, qui a pris sa retraite en 2003, précise qu'il n'a pas systématiquement recours au Viagra. «Si je planifie une grosse bouffe avec ma femme, que la soirée sera longue et que je veux prendre mon temps, notamment avec les préliminaires, je vais prendre du Viagra pour être sûr d'avoir une érection.»

Contrairement à ce que certaines personnes croient, la prise de Viagra n'entraîne pas une érection pendant des heures. Après l'éjaculation, l'érection prend fin. Il faut une autre excitation pour que l'érection revienne.

Le tabou persiste

Même si le Viagra peut fêter ses 10 ans en grand, il reste que la gêne est toujours présente. «Lorsque je prescris du Viagra et un autre médicament, des patients me demandent de faire deux prescriptions séparées, sur deux feuilles. Ils vont chercher leur Viagra dans une pharmacie loin de chez eux, pour ne pas être reconnus», indique le Dr François Bénard.

Si Réjean Brunet est très à l'aise de parler de Viagra, il constate qu'autour de lui, les choses évoluent lentement. «Il y a encore le sentiment de ne pas être un homme si on a besoin du Viagra. On entend encore les gens dire: Ah moi, je n'ai pas besoin de ça! Mais c'est pire de rester avec son problème et de ne pas consulter.»

Pour le Dr François Bénard, le Viagra permet d'entretenir une certaine qualité de vie, mais pour la sexologue Jocelyne Robert, la pilule bleue est une sorte de poison.

«J'ai un regard très critique face au Viagra, car ce produit reflète notre société qui met l'accent sur la performance. On oublie de questionner la relation», dit-elle.

Elle rappelle que le produit n'a aucun impact sur le désir ou l'érotisme. «Ce qui est sous-entendu avec le Viagra, c'est que bander égale être heureux. Il existe une pression dans toutes les sphères de la société et même dans la sexualité, alors que la sexualité doit justement être un abandon. On est dans une société folle, folle, folle», lance-t-elle.

Elle souligne d'ailleurs qu'aucune pilule du genre n'existe pour les femmes. «Pour les femmes, tout se passe dans la tête, il n'y a pas d'automatisme.»

Bref, si on peut plus facilement traiter les problèmes érectiles des hommes, la sexualité des femmes, elle, demeure encore un mystère...

LE CONTRE

J'ai 62 ans et je suis mère de six enfants aujourd'hui adultes. Il y a deux ans, quand j'ai commencé à voir diminuer l'ardeur de mon mari, qui a 64 ans, ce fut une immense joie pour moi. Et qu'est-il arrivé? On a inventé un médicament du nom de Viagra, et voilà mon satyre de mari à nouveau en selle. J'aime vraiment mon mari, mais j'estime avoir largement mérité du repos. Sans compter que ce médicament coûte 10$ le comprimé - la semaine dernière, il en a pris quatre...»

Source: Courrier international. Extrait d'une lettre d'une lectrice publiée dans le quotidien américain The Observer.