Christer Bäckström prend délicatement une fine tranche de pain enroulée qui dégage une odeur franchement nauséabonde: Qu'est-ce que c'est bon!", s'exclame-t-il, avant de prendre une nouvelle bouchée de sa préparation au surströmming, du hareng fermenté.

Tous les ans en Suède, le troisième jeudi du mois d'août, c'est le Surströmmingspremiär, premier jour de dégustation de ce "mets", enfin... du hareng pourri à l'odeur de chien mouillé que les gens adorent ou détestent.

Cette tradition, vieille de plusieurs siècles, est originaire du Norrland, au nord du pays, où le poisson ne pouvait être pêché dans les eaux scandinaves, gelées l'hiver.

La fermentation était alors une technique de conservation bon marché, qui permettait de manger du poisson toute l'année, principalement du hareng, foisonnant dans les eaux de la mer Baltique.

Aujourd'hui, les eaux ne sont plus aussi froides et les techniques permettent de pêcher toute l'année mais la tradition, elle, est restée.

Les Suédois, du moins, les plus téméraires, se retrouvent alors en famille ou entre amis pour déguster la "chose". L'ouverture des conserves est toutefois déconseillée dans les appartements, l'odeur étant insoutenable.

Certains en raffolent tellement qu'une Académie et un musée ont été spécialement créés dans le Norrland.

Dans la capitale scandinave, un restaurant perpétue cette tradition.

Jeudi, 16H30. Dans les cuisines de Tennstopet, on commence à s'activer. Une dizaine de boîtes de conserve attend dans un évier rempli d'eau. 250 seront ouvertes dans la soirée.

Six-cents personnes sont attendues dans ce restaurant réputé. Le menu est évidemment unique. "Surströmming pour tout le monde", s'enthousiasme Mattias Qvarfordt, le chef cuisinier, originaire du Norrland, qui bien sûr en raffole.

Pour déguster le plat comme il se doit, il faut des pommes de terre rattes, de l'oignon frais émincé, de la crème fraîche et un filet de hareng, le tout enroulé dans une fine tranche de pain, détaille le chef.

Lorsque le poisson arrive sur les tables dans sa boîte de conserve, les yeux s'illuminent.

Les verres de schnaps et de bière s'entrechoquent tandis que les plus puristes préfèrent boire un verre de lait. "Ca fait ressortir le goût du hareng", assure Anders Bäckström venu avec ses deux frères. Un goût, tout comme l'odeur, plutôt surprenant.

"C'est une question d'habitude. Au début, c'est comme pour le café ou le vin, on n'aime pas. Puis on essaie une deuxième fois pour faire comme les grands et à la fin, on se met à vraiment aimer ça", raconte-t-il, précisant qu'il a réservé sa table il y a un an "pour être sûr d'avoir une place".

Non loin, un client raconte avoir vomi la première fois qu'il a mangé du surströmming. "Mais je ne sais pas très bien si c'était à cause de l'alcool ou du goût du poisson", plaisante-t-il.

Irène Lövgren, venue avec deux amies, reconnaît, elle, que hareng ou pas, le surtrömmingspremiär, "c'est avant tout une occasion de faire la fête".

Son amie Anna Mellin goûte le hareng pourri pour la première fois. "Ce n'est pas si mal", assure-t-elle après une pleine bouchée avant de boire trois grandes gorgées de bière.

Retour en cuisine. Les boîtes reviennent vides et les serveurs repartent les bras chargés. C'est bientôt la fin du deuxième service. Christer Bäckström s'inquiète: "le plus difficile, c'est quand je vais rentrer chez moi. A cause de l'odeur, ma femme va encore m'obliger à dormir sur le canapé".